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Aujourd'hui l'on fait bon marché de ces prescriptions arbitraires, de ce ridicule échafaudage à l'ombre duquel l'école s'imaginait avoir abrité le style sacré. Le compositeur religieux ne se permet guère la fugue que pour donner une preuve de son habileté. On rapporte que, lorsqu'il échappait à Rossini, dans ses premiers ouvrages, d'écrire quelques mesures suivant les lois rigoureuses d'un contrepoint irréprochable, il traçait à la marge quelques mots que nous ne traduirons pas littéralement, mais qui revenaient à ceux-ci : Voici pour les niais. La fugue n'est plus bonne qu'à cela. Peu à peu nous nous acheminons vers le vrai, à travers ces destructions partielles d'un faux système. Une chose persiste pourtant: c'est le sentiment toujours impérissable de la distinction des deux genres. Mais, si l'on vient à se demander en quoi consiste cette distinction, en quoi consiste la musique sacrée, tout à coup commencent les incertitudes, les doutes, les hésitations. On n'ose remonter jusqu'au système de Palestrina, de peur de nier tout le système qui a suivi. Enfin, après force tergiversations, on insinue, sans toutefois rien affirmer formellement, que cette musique religieuse ne doit pas être d'un caractère bien différent des morceaux conventionnellement religieux que l'on applaudit à la scène, la prière de la Muette par exemple, et celle de Moïse. L'on ne voit pas qu'ainsi l'on fait une confusion des deux genres, que l'on crée un système monstrueux et bâtard, qui participe à la fois du temple et du théâtre, ou plutôt du théâtre seul, puisque c'est à la scène que l'église irait demander ses inspirations.

Parlons à présent du Stabat de Rossini. Nous ne savons, mais il devait y avoir, ce nous semble, quelque chose de prodigieusement tentant pour Rossini, en qui l'intelligence est certes à la hauteur du génie, pour Rossini, dégoûté du théâtre ainsi qu'on l'assure, et à portée comme il l'est aujourd'hui d'étudier et de méditer les monumens de l'école romaine; il devait y avoir, disons-nous, quelque chose de prodigieusement tentant dans la pensée de donner à son siècle la véritable musique religieuse qu'il attend. Cette idée aurait dú stimuler vivement celui qui tient le sceptre de la musique dramatique, celui qui s'est élevé si haut dans les belles scènes de Semiramide, de la Gazza, d'Otello, dans Moïse, dans Guillaume Tell; qui, avec son insouciante fécondité, a semé à pleines mains les ravissantes mélodies, les exquises cantilènes dans une foule d'ouvrages plus légers; celui principalement qui, dans l'inimitable Barbier, la Cenerentola, le Comte Ory, a lutté d'esprit, de raillerie mordante, d'ironie, d'entrain et de verve avec Voltaire et Beaumarchais.

Ajoutons qu'il eût été aussi curieux que profitable pour l'art de voir le maître appliquer à la musique sacrée ce don extraordinaire que nul compositeur n'a sans contredit possédé au même degré que lui, le don du chant, que nous distinguons ici à dessein de la mélodie proprement dite, lequel n'est pourtant autre chose que la mélodie ayant directement pour organe l'instrument le plus naturel et le plus parfait, la voix.

Disons-le en toute franchise: ce n'est pas d'après ces idées que le Stabat

a été conçu et exécuté, car, malgré les beautés d'un ordre supérieur qu'il renferme, il ne diffère nullement, quant au caractère et à l'inspiration, de la musique dramatique du compositeur.

Le premier verset s'ouvre par une introduction dont le début rappelle singulièrement le commencement de l'ouverture de Guillaume Tell. Après cette introduction, les voix se posent successivement en dessinant une imitation à l'octave. Mais, dès que le sujet est ainsi majestueusement exposé, l'auteur abandonne la forme qu'il a adoptée, comme s'il reculait devant l'effort nécessaire pour la développer. Heureusement, une belle phrase de basses amène magnifiquement la conclusion de ce remarquable morceau.

Le fac ut ardeat cor meum est un chœur à six voix d'un style plein et large, mais qui emprunte ses effets beaucoup plus à l'harmonie qu'à la mélodie. Nous n'approuvons pas le changement de mouvement qui s'opère sur les paroles: In amando Christum Deum. Cela détruit l'unité et fait perdre de sa gravité au verset. Signalons en passant un bel effet de la voix de basse sur le mot complaceam.

Nous voici arrivés à l'une des plus ravissantes créations de Rossini, au quatuor en la bémol, Sancta mater, istud agas. Bien que le motif principal repose sur une idée assez vulgaire, la mélodie qui en jaillit est si élégante, elle se déroule en contours si gracieux, en périodes si riches, elle parcourt des modulations d'une si rare distinction et si naturelles, les voix s'y enchaînent avec un art si admirablement ménagé, que toutes ces qualités concourent à former un des morceaux les plus achevés de l'auteur. Mais, dans ce morceau, un des principaux de la partition, le musicien n'est plus à la hauteur de Moïse et de Guillaume Tell. Loin de là, il se met au niveau du ton enjoué, coquet et badin de ses opéras italiens. C'est de la grace sensuelle, de la volupté châtouilleuse et enivrante. Le compositeur ne se perd jamais un instant de vue. L'on cherche vainement ici la peinture des ineffables tristesses, des angoisses déchirantes, de l'agonie divine de la mère du Christ. Cette musiqne est délicieuse, mais elle n'a pas d'entrailles. Et c'est que l'on ne conçoit pas aujourd'hui la prière dégagée de toute expression humaine; le sentiment religieux n'est plus assez vivant dans les cœurs, pour que l'artiste ne prête pas involontairement à ses invocations quelque chose de sensible et de terrestre.

Il y a de beaux mouvemens dans le verset: Quando corpus morietur, à l'exception cependant du paradisi gloriâ, dont l'expression déclamatoire et théâtrale est par trop choquante.

Cette analyse est nécessairement incomplète. Nous sommes obligés de nous reporter aux souvenirs de la première audition du Stabat dans les salons de M. Zimmermann, où il faut toujours se rendre lorsqu'on veut jouir des prémices de toutes les manifestations importantes qui se produisent dans le monde musical. Notre énumération se borne donc aux seuls morceaux qu'il nous ait été permis d'entendre, exécutés au piano et sans orchestre. Mais cela suffit amplement, quant à la question qui nous préoccupe.

Le Stabat de Rossini, nous ne faisons nulle difficulté d'en convenir, est

une œuvre plus brillante, aux formes plus variées et plus développées, que le Stabat de Pergolèse, dont nous connaissons toutes les parties faibles, l'inégalité de style et la monotonie, si toutefois la monotonie est ici un défaut. Mais que font les formes? c'est de la vérité d'expression, de la sincérité d'inspiration qu'il s'agit; et nous persistons à soutenir que, sous ce rapport, l'œuvre de Pergolèse est bien supérieure à celle du maître moderne. Mais le père Martini ne fait presque aucune différence entre le style de la Serva Padrona de Pergolèse et celui de son Stabat. Sans doute, et il a très fort raison (1). Ce qui veut dire que, si le père Martini vivait de nos jours, il prononcerait une condamnation semblable contre le Stabat de Rossini. Mais observons bien que la musique dramatique de notre époque est bien plus avant dans l'expression humaine et passionnée qu'elle ne l'était au temps de Pergolèse, d'après ce qui a été dit plus haut que plus on remonte vers le xvIe siècle, plus on voit la musique profane se rapprocher de la musique religieuse, tandis que, plus on descend vers les temps modernes, plus la musique religieuse se confond avec l'art mondain.

Que l'on n'argue pas du peu d'effet produit de nos jours par des compositions anciennes. On sait trop que l'on ne doit pas demander à des chanteurs, pour la plupart gens de métier et de routine, et toujours disposés à défigurer les œuvres dont ils sont les interprètes au profit de leur amour-propre, l'intelligence des monumens des époques antérieures. Où trouver des exécutans capables de pénétrer l'esprit de ces œuvres, de s'en assimiler la substance, d'en rendre religieusement l'expression? N'entendons-nous pas dire à chaque instant, à propos d'ouvrages beaucoup plus modernes comparativement, que l'on a perdu les traditions de la musique de Gluck, par exemple, de certains opéras même de Mozart?

Que l'on ne nous parle pas non plus des circonstances de lieu, de ces accessoires tels que l'appareil des cérémonies imposantes de l'église, qui peuvent sans doute prêter momentanément une valeur exagérée à des œuvres éphémères, comme aussi, par l'absence de ces conditions, le mérite d'une composition peut passer inaperçu. Tout cela est indépendant de l'expression essentielle de la musique. Toute musique est ou religieuse ou mondaine, par la constitution de la tonalité à laquelle elle appartient. Nous n'en voulons d'autre preuve que le sentiment de dégoût qu'éprouve, nous ne disons pas seulement l'homme pieux, mais l'homme éclairé, à l'audition de ces mélodies abjectes, effrontées, si minaudièrement grimaçantes, si grossièrement fardées, qui s'introduisent, on ne sait comment, dans quelques églises de Paris, à certaines

(1) Le passage est d'ailleurs trop curieux et trop court pour ne pas le citer en entier: «Questa composizione del Pergolesi, Stabat mater a due voci con istrumenti, se si confronti con l'altra sua dell'intermezzo intitolato la Serva padrona, si scorge affatto simile a lei, e dello stesso carattere, eccettuatine alcuni pochi passi. In ambedue si veggono lo stesso stile, gli stessi passi, le stesse stetissime delicate e graziose espressioni. » (Voir la préface de l'ouvrage du P. Martini déjà cité, p. 7.)

solennités. Que ces chants se taisent et que les voix des enfans de chœur ou celles des chantres viennent à articuler un simple verset du plain-chant, l'on se retrouve dans le lieu saint, à l'ombre du sanctuaire, en harmonie avec les mystères augustes de l'autel on peut prier.

Il existe donc un domaine pour la musique religieuse et un domaine pour la musique dramatique, distincts l'un de l'autre, ayant chacun leurs limites respectives, en ce sens que l'un ou l'autre de ces deux genres de musique ne saurait dépasser certaines bornes sans cesser d'être ce qu'il est; mais domaine illimité en ce sens que, dans chaque ordre, l'activité humaine se déploie conformément à la marche progressive des idées sociales. Ainsi l'on dit vrai quand on avance que la musique religieuse de notre siècle ne peut être celle du siècle de Palestrina. Rien ne saurait être immobile dans les manifestations du génie de l'homme. Oui, notre musique religieuse ne peut être celle des âges passés, en tant que les formes se modifient ou se développent, que les ressources se multiplient, mais non en tant que la tonalité exclusivement propre à cette musique vienne à changer. Ainsi les procédés si compliqués du contre-point, les imitations, les inversions, les artifices canoniques, tout ce qui constitue le mécanisme du style de Palestrina, est du temps. La tonalité dans laquelle il a écrit ses immortels chefs-d'œuvre appartient au genre. Il est avéré aujourd'hui, et l'analyse d'habiles critiques l'a constaté, que les deux tonalités tendent à se dilater, à agrandir leurs sphères particulières, non par les progrès de la musique religieuse, mais par l'extension de la musique dramatique, ou, pour mieux dire, par les excursions qu'elle se permet dans le domaine de la première. Quel est l'homme qui s'emparera vigoureusement de la tonalité ecclésiastique, qui s'en rendra maître, qui lui assimilera cette foule d'élémens sympathiques que les progrès de la science moderne élaborent lentement et mettent déjà à sa disposition? Par quels moyens opérera-t-il cette transformation? Quand et comment? C'est le secret de l'avenir. Ce qu'il y a de positif, c'est que la chose arrivera tôt ou tard, et, comme les procédés du génie sont toujours d'une extrême simplicité, l'on s'étonnera alors que ce qui semblait un problème presque insoluble ne soit en réalité qu'un jeu d'enfant.

JOSEPH D'ORtigue.

IMITATIONS EN VERS.

TRADUIT DE MOSCHUS:

I.

Sous un souffle apaisé quand rit la mer sereine,
Tout mon cœur s'enhardit, et pour l'humide plaine
La terre est oubliée : ô mer, je viens à toi!
Mais qu'un grand vent s'élève et réveille l'effroi,
Que l'écume du flot blanchisse et fasse rage,
Tout mon amour alors se reprend au rivage;
Je ne veux que les bois, et l'ombre, et les gazons:
Le pin, par un grand vent, rend encor de doux sons.
Pêcheur, que je te plains, dans ta nef pour demeure,
Chassant ta proie errante au péril de chaque heure!
A moi le bon sommeil sous un platane épais!

A moi les jours couchés au sein d'un antre frais,

Et la source au long bruit, qui, roulant sous la voûte, Charme et ne peut troubler le pasteur qui l'écoute!

DE MOSCHUS.

II.

Pan aimait Écho, sa voisine,

Qui pour le Satyre brûlait,

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