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rieuse prostituée qui court le monde à la suite des armées, s'abandonnant dans la mêlée au plus téméraire et au plus heureux, qu'à la vierge souriante et sauvage qui de siècle en siècle, et comme à regret, place une palme dans la main du peintre, un laurier sur le front du poète.

Le geste de cette femme, qui devrait attirer les regards de la foule que le peintre a groupée dans l'hémicycle, la laisse distraite et indifférente; pas un seul de ces personnages ne paraît le remarquer, et ils ont raison. Aucun d'eux ne paraît non plus soupçonner la présence des trois grands artistes grecs, auxquels presque tous tournent le dos; l'allégorie, timidement mêlée à la réalité, devait inévitablement conduire à ce résultat. Ou bien ces personnages sont visibles, et alors l'attention de l'assemblée doit se porter exclusivement sur eux; ou bien ils restent invisibles, et alors quelle froideur ne jettent-ils pas dans une composition à laquelle ils sont si complètement étrangers! L'homme qui possèda le sentiment le plus exquis des convenances de l'art, Raphaël, n'a jamais placé d'allégories inutiles dans ses fresques monumentales. Dans sa Ba. taille de Constantin contre Maxence, les anges qui volent sont autant de combattans prêts à écraser l'armée ennemie, que leur aspect seul précipite dans le fleuve. Dans l'Héliodore, les deux anges d'un si grand caractère et si manifestement descendus du ciel, d'où ils semblent avoir apporté avec eux quelque chose de la majesté de Dieu, ces deux anges se lient merveilleusement à l'action par leur seule présence plutôt encore que par leur geste; mais, dans l'École d'Athènes, dans le Parnasse, compositions analogues au sujet que M. Delaroche a traité, cet esprit délicat et profond s'est bien gardé de placer aucune allégorie superflue. Aussi, tous ces personnages, si heureusement disséminés sur la toile et formant divers groupes occupés chacun à une action particulière, tous ces personnages peuvent-ils se livrer à leurs méditations, à leurs causeries, à leurs recherches même, sans paraître étrangers à l'action principale, à laquelle ils sont rattachés par un intérêt commun, facile à saisir et naturel. Nulle préoccupation extérieure ne vient les distraire; s'ils ne lèvent pas les yeux, s'ils ne détournent pas la tête, c'est qu'ils n'ont rien à voir. Chez M. Delaroche, ce groupe majestueux des artistes grecs, ces belles femmes qui les entourent, cette Gloire qui prend ses ébats à leurs pieds, placés, comme ils sont, au centre de la composition, devraient faire converger de leur côté les regards de l'assemblée que leur groupe divise en deux parties; d'où vient qu'ils la laissent si complètement inattentive?

Si de ces personnages antiques et allégoriques que nous condamnons en principe, mais que nous regretterions peut-être de n'avoir pas connus, nous arrivons à l'assemblée qui les entoure et qui représente l'art moderne, M. Delaroche nous paraîtra avoir côtoyé la perfection de bien près. L'ingénieux agencement de ces figures, la savante disposition des groupes, l'attitude pleine d'aisance de chacun de ces personnages, leurs poses si nobles et si naturelles, leurs gestes si conformes à leur caractère, leurs costumes si exacts, et qui, par leur richesse et leur variété, ajoutent encore à l'harmonie de l'ensemble loin de la détruire, tout concourt à flatter l'œil, à satisfaire le goût, à contenter l'esprit.

L'abbé Gobelin disait de Mme de Coulanges, qu'il venait de confesser : Chaque péché de cette dame est une épigramme. On pourrait dire également de M. Delaroche: Chaque portrait de ses personnages est un trait d'esprit; chacune de leurs poses est une anecdote; impossible de grouper avec plus d'intelligence, de rapprocher avec plus de finesse ceux qu'animent des sympathies semblables. On les voit, on les écoute, on les comprend; on s'intéresse à eux comme s'ils vivaient et qu'on vînt d'être mis en rapport avec eux; on a envie de mêler ses observations aux leurs. Il a fallu un tact parfait, une connaissance approfondie de toutes les ressources de l'art, un ingénieux emploi de tous ses moyens, et par-dessus tout un sentiment exquis de la réalité, pour captiver à ce point avec tant de personnages au repos.

Nous savons bien que des critiques chagrins ou systématiques refuseront de joindre leurs suffrages à ceux du public, cette fois dispensateur équitable de l'éloge. Ils s'écrieront, comme par le passé, que ces admirations de la foule ne prouvent rien, que les médiocrités de premier ordre ont seules droit de la satisfaire. M. Delaroche doit dédaigner ces vaines critiques. Il en est de plus fondées, dont il pourra reconnaître la justesse sans croire que pour cela le mérite de son œuvre soit diminué. Si l'on accuse son Raphaël écoutant les conseils de Léonard de Vinci de modestie un peu affectée, si l'on reproche à Michel-Ange, que le peintre a si convenablement isolé, son air de mauvaise humeur farouche, à Rembrandt ses façons de grand seigneur, à Rubens son sans gêne par trop vulgaire et sa face d'une rougeur fort équivoque; si l'on cherche vainenement dans Fra Giovanni de Fiesole quelque chose de cette mysticité délicate, de cet ascétisme raffiné qui valurent au moine florentin, peintre adorable des ineffables visions, la canonisation et ce titre de Beato Angelico qu'il a gardé; M. Delaroche avouera franchement ces imperfections sans que cela porte en rien préjudice à sa gloire. Pourquoi lui serait-il donné plus qu'à tout autre d'atteindre à la perfection absolue?

Nous ne chicanerons pas non plus le peintre sur ses préférences et ses oublis; nous avouerons cependant qu'il nous eût paru désirable et juste que le sacrifice portât moins complètement sur notre école française. Permis aux peintres d'outre-Rhin d'exclure absolument la France de compositions analogues; de ne pas trouver, par exemple, un seul de nos poètes dignes de s'asseoir sur leur Parnasse à côté de Schiller, de Wieland et de Klopstock. Laissons de côté tout ridicule amour-propre national, mais ne faisons pas si bon marché de nos gloires.

En nous éloignant de l'École des Beaux-Arts, emporté par le flot de la foule auquel succédait un autre flot, un triste souvenir s'est tout à coup présenté à notre esprit. Il y a vingt ans, à pareil jour peut-être, un concours aussi nombreux se pressait aux abords de Sainte-Geneviève, gravissait au sommet du dôme, et se récriait d'admiration devant les brillantes peintures dont Gros venait de décorer la coupole. Le triomphe du peintre était complet; les sympathies du public lui étaient acquises; la presse unanime le célébrait dans ce style dithyrambique alors de mode. Un prince, depuis roi, lui jetait avec un

compliment le titre de baron. C'était le succès avec toute son ivresse et tous ses dangers; le malheureux homme de génie y succomba. Comme tant d'autres, forts d'imagination et faibles d'esprit, il s'abîma dans son triomphe au lieu d'y puiser une nouvelle force et une seconde jeunesse. Si du moins il eût cessé de produire ! Mais, loin de là, chaque exposition nous donnait de nouvelles et nombreuses preuves de cette décadence progressive qui aboutit au désespoir, au suicide peut-être! La leçon est terrible; elle doit profiter aux héritiers du grand peintre.

Credette Cimabue nella pittura

Tener lo campo, ed ora ha Giotto il grido,
Si che la Fama di colui oscura (1),

s'écrie Dante en parlant du vieux peintre florentin dont nous rappelions tout
à l'heure l'ovation. Depuis Cimabue et Giotto, combien de ces gloires d'un
jour se sont éteintes ou momentanément éclipsées! Nous ne pouvons trop
le répéter, ces génies incomparables auxquels l'avenir et le suffrage una-
nime des peuples sont acquis, les Raphaël, les Michel-Ange, les Vinci, ceux-
là ont moins cherché à contenter la foule qu'à se satisfaire eux-mêmes, qu'à
plaire à leur conscience et à leur cœur. Ceux-là ont amené à eux le public au
lieu d'aller à lui; aller vers le public, c'est se précipiter dans le mauvais goût
si le goût du public est corrompu; c'est se condamner à la banalité, c'est
prendre l'art par la queue. L'art! il faut le saisir aux cornes comme un tau-
reau furieux, le dompter et dompter avec lui ce monstre aux mille têtes qu'on
appelle le public. M. Delaroche a tout ce qu'il faut pour séduire notre nation,
esprit, clarté, élégance; que lui manque-t-il encore pour atteindre à la gloire
impérissable, universelle, et pour se placer à côté des plus grands maîtres de
l'art? Un peu plus de chaleur, un peu plus d'énergie, une étincelle de ce feu
qui dévorait le peintre d'Aboukir, des Pestiférés de Jaffa et d'Eylau. M. Dela-
roche n'a eu qu'à toucher le sol de l'Italie pour en rapporter la précision, la
largeur et quelque chose du calme antique et de la majesté des maîtres pri-
mitifs. Qu'il aille quelquefois encore se réchauffer à son soleil, se baigner dans
sa lumière, se consumer devant ses chefs-d'œuvre ; que maintenant il étudie
plutôt les grandes fresques de Raphaël et les immortelles peintures dont le
sombre et ardent génie de Michel-Ange a décoré la chapelle Sixtine, que les
vieux maîtres de Florence et du Campo-Santo; qu'il dérobe à Michel-Ange quel-
ques-uns de ses terribles secrets, et nous nous ferons les garans de sa gloire
à venir. M. Delaroche, auteur de Jane Gray, promettait un peintre inté-
ressant; M. Delaroche est déjà plus, c'est un peintre d'une prodigieuse habi-
leté et d'un admirable savoir-faire. Ira-t-il plus loin encore? Nous venons de
nous livrer à un examen approfondi et consciencieux de son dernier ouvrage,
le plus capital qu'il ait encore produit, et nous répondrons franchement :
Oui, car nous avons confiance en lui.
F. M.

(1)«Cimabue se croyait maitre du champ de la peinture, et maintenant Giotto a toute la gloire et obscurcit la renommée de son maître. » (Dante, Purg. c. XI.)

BULLETIN.

Les députés arrivent lentement. On ne rencontre guère encore que ceux que des fonctions particulières appellent à Paris plus tôt que le reste de leurs collègues, ou bien les hommes politiques qui viennent un peu à l'avance reconnaître la situation : le gros du bataillon parlementaire n'a pas encore paru. On quitte sa province et ses électeurs d'autant plus difficilement que la certitude d'une dissolution prochaine devient plus grande. On ne croit jamais pouvoir prendre assez de précautions et de garanties contre l'inconstance de l'avenir et les chances de l'urne électorale. Rien ne ressemble moins au député qui ouvre la première année d'une législature que celui qui voit suspendre sur sa tête une réélection. Devant les yeux du premier, un long avenir se déroule, il marche dans sa force, dans son indépendance: il ne songe pres que plus aux électeurs qui viennent de le créer souverain; il a du pouvoir pour trois, quatre ou cinq ans; c'est un siècle. Combien différente est l'allure du député dont le mandat expirera bientôt ! Il ne se sent vivre que d'une existence précaire; il est inquiet, l'électeur lui apparaît comme l'arbitre de sa destinée. Comment garder les voix acquises, comment en conquérir d'autres? Voilà désormais sa seule pensée, son unique souci. Aussi dans une session que tout le monde sait être la dernière, les préoccupations personnelles abondent; chacun songe à soi.

Tout dépend également, dans une dernière session, des impressions récentes que les députés ont reçues de leurs électeurs : ils s'y montrent fidèles avec un scrupule religieux. Une législature qui commence ou qui n'est qu'au milieu de sa carrière peut jusqu'à un certain point s'isoler, dans sa politique et dans ses votes, des sentimens présumés du corps électoral; mais une chambre qui va finir s'attache à être l'expression sincère de ceux auxquels elle va demander un nouveau mandat. Nous espérons que les députés auront surtout trouvé dans le pays des pensées sages et généreuses, un égal amour pour l'ordre et pour le progrès de nos institutions constitutionnelles, enfin le culte de la dignité nationale.

Sous l'empire de ces impressions salutaires, la chambre pourra se montrer jalouse d'affirmer son caractère politique plus qu'elle ne l'a fait jusqu'à présent. La législature qui s'est réunie en 1839 et qui a vu successivement fonctionner devant elle les ministères du 12 mai, du 1er mars et du 29 octobre, voudra-t-elle se séparer sans laisser de son passage quelque trace dans le développement de nos institutions et l'ensemble de notre politique? Les deux partis qui dans la chambré sont les plus puissans et exercent sur la marche du gouvernement une influence véritable, sont le centre droit et le centre gauche. Le centre droit, quoique vaincu de quelques voix par la coalition, a conservé dans la législature de 1839 des forces imposantes. Le centre gauche reçut, il y a trois ans, des élections, la prépondérance, sinon numérique, du moins morale au sein du parlement; mais il se divisa après la victoire, et ses chefs, qui dans leur union eussent trouvé une force durable, ne parvinrent, en se séparant, qu'à s'emparer d'un pouvoir précaire. Quelles qu'aient été les vicissitudes et les fautes de ces deux partis, ce sont eux qui pèsent le plus dans la politique du présent. Or, ils ont déjà fait connaître quelles seront, dans la session qui va s'ouvrir, leurs tendances et leurs intentions.

Il est de la nature du centre droit de s'appuyer d'une part à la droite, et de l'autre au centre proprement dit qui est l'expression permanente de l'intérêt gouvernemental et ministériel. Du côté de la droite, le centre droit a fait, il y a quelques années, une précieuse conquête : c'est M. de Lamartine. Jusqu'en 1838, M. de Lamartine était resté dans les généralités et, il faut le dire, dans les nuages d'une certaine poésie politique; il se contentait de produire à la tribune, d'intervalle en intervalle, de nobles pensées et de brillantes images; parfois il parlait magnifiquement du passé, mais il semblait se désintéresser beaucoup trop du présent. Peu à peu cet éclatant esprit devint plus pratique; peu à peu M. de Lamartine se mêla d'une manière positive et heureuse aux débats des intérêts les plus actuels; il adhéra sans détour, avec cette franchise inséparable d'un vrai talent, à l'ordre politique fondé par la révolution de 1830, et il prit rang, un rang glorieux, parmi ses défenseurs. Il arriva qu'au moment où M. de Lamartine entrait ainsi dans le centre droit, une autre illustration long-temps chère aux conservateurs semblait en sortir. M. Guizot combattait dans les rangs de la coalition: depuis il a redemandé à ses anciens amis de reprendre au milieu d'eux la place que ceux-ci l'avaient vu quitter avec tant de surprise et de douleur. Les conservateurs, il faut leur rendre cette justice, paraissent vouloir se conduire aujourd'hui avec l'intelligence d'un parti politique. Ils ont accueilli M. Guizot, ils n'ont pas mis entre eux et un homme aussi éminent une rancune inflexible; mais en même temps ils songent à témoigner d'une manière formelle leur reconnaissance et leur estime à M. de Lamartine car, ne l'oublions pas, c'est du sein du parti conservateur qu'est venue la pensée de la présidence de M. de Lamartine; ce sont des membres de ce parti, et des membres nombreux, qui ont pris l'initiative de cette candidature. Il est inutile d'insister sur l'honorable attitude de l'éloquent député de Mâcon dès l'origine de cette affaire; il

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