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n'exige pas un engagement fi important ? A qui eft-ce, ou de nous, ou de ceux qui nous gouvernent, qu'un pareil accord a impofé de plus grandes obligations? Eftce nous qui avons facrifié notre liberté ? ou n'est-ce pas plûtôt ces hommes publics qui fe font affervis à tous les befoins des particuliers, & à cette foule de devoirs qui accompagnent indifpenfablement l'autorité ?

Comptables à leur Patrie, je ne dis pas du mal qu'ils font, ou de celui qu'ils tolèrent, mais de tout le bien qu'ils ne font pas, lorfqu'ils le peuvent engagez par leur ministère à prêter aux bonnes mœurs & à la vertu, non-feulement le fecours du pouvoir & de l'autorité, mais encore celui de l'exemple; obligez de concilier l'exacte obfervance des loix avec les tems & les conjonctures; chargez de maintenir parmi le peuple l'ordre & la tranquillité, malgré les divers intérêts des particuliers, malgré l'étrange contrariété des efprits & des fentimens; eft-ce affez de tout leur tems pour des fonctions de cette étenduë? Est-ce affez de tous leurs foins pour des, devoirs de cette importance? Non, MESSIEURS, que les hommes élevez

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aux dignitez ne fe flatent point: il faur qu'ils optent; il faut qu'ils renoncent à leftime publique, ou qu'ils l'acquièrent au prix de leurs plaifirs, de leurs plus chers intérêts, & de leur liberté. Ils ne font plus à eux-mêmes, à leurs proches, à leurs amis ils appartiennent au Public, le plus dur & le plus injufte de tous les Maîtres, Toûjours dans le Confeil ou dans l'action; leur loifir n'eft qu'une moindre contention d'efprit ; leur repos, qu'un travail plus modéré; leur fupériorité enfin, qu'une fervitude honorable.

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Il n'en eft pas ainfi de ceux qui culti vent les talens de l'efprit & les Belles-Lettres. Bien loin de facrifier à l'étude leur repos & leur liberté, c'est à elle au contraire qu'ils doivent, & le goût, & l'ufage de ces biens fi precieux. Qui les connoît mieux, qui en joüit plus fûrement que l'Homme de Lettres? Tranquille au dedans de lui-même: Eh! comment ne le feroit-il pas ? L'étude lui a appris que l'homme n'eft heureux qu'autant qu'il eft parvenu à fçavoir règler fes défirs: elle lui en a découvert, elle lui en a facilité les moyens; elle l'a retiré des occafions dangereufes, où ces défirs auroient pû s'itriter

& s'aigrir. Tranquille au dehors, ni la faveur des Grands, ni les jugemens du Peuple, ni le tumulte de la Cour, ni l'embarras des affaires, ni les plus grands évènemens, rien ne le frappe, rien ne le trouble. Que Syracufe foit emportée d'affaut qu'elle foit déja livrée au feu & au pillages que le Soldat furieux fe répande par tout, Archimède, attentif à fon travail, fent à peine le coup mortel dont il eft frappé.

Telle eft la tranquillité de l'Homme de Lettres. Que dirons - nous de fon indépendance? Libre d'une infinité de devoirs attachez aux autres Profeffions, il eft seul arbitre de fon travail & de fon tems. Libre de mille paffions qui agitent les autres Hommes, il n'eft fortement remué, il n'eft entraîné que par le goût & l'attrait de fes exercices. Libre des préjugez qui fuivent toûjours l'ignorance, il ne s'attache qu'à la vérité & à la raison ; & c'eft fans doute fur ces idées que les Stoïciens ont prétendu que leur Sage étoit le feul dans l'Univers qui fût véritablement fouverain,

Quelle différence de ceux qui cherchent ainfi à fe faire un grand Nom par l'étude se

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& le fçavoir, à ceux qui prétendent s'illuftrer par l'éclat des honneurs & des dignitez! Les prémiers, en travaillant pour la gloire, acquiérent fouvent des biens plus précieux encore; je veux dire, raison & la vertu, au lieu qu'il en coûte aux autres leur repos & leur liberté. Tout eft avantage, tout eft profit pour ceux-là, tandis que pour ceux-ci tout eft facrifice: facrifices fouvent inutiles, fi la Fortune ne prend foin de les faire valoir; & c'est encore ici une différence avantageuse pour l'Homme de Lettres.

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Quelque puiffant, quelque étendu que foit l'Empire de la Fortune, les talens de l'efprit & le fçavoir ne font pas de fon Reffort; au lieu que c'eft fur les dignitez qu'elle exerce fa plus cruelle tyrannie, & que c'eft-là le grand Théatre de fes Jeux: & de fes caprices. Je ne parle pas feulement de ces Infortunez qu'elle précipite tout d'un coup du faîte des grandeurs, & qui en perdant leurs dignitez, perdent auffi l'eftime publique, parce qu'auprés du vulgaire le mérite malheureux ceffe prefque toûjours d'être mérite: mais ceux que la Fortune laiffe dans les places éminentes, quelque grandes qualitez qu'ils ayent,

font-ils fûrs de fe concilier l'approbation du Public? Non, MESSIEURS, les intentions les plus droites, la conduite la plus régulière, l'administration la plus fage ne fuffifent pas : elles ne fçauroient garantir le fuccès des évènemens : & c'eft à ces fuccès que le Peuple injufte attache le plus fouvent fon eftime.

Mais s'il en coûte fi cher, s'il eft fi incertain de parvenir à la gloire par l'autorité, eft - il plus aifé de l'acquérir par la valeur? Je parle de la valeur ambitieufe ; de cette valeur prefque toûjours formée par la vanité, & conduite par la paffion; fouvent téméraire, & ne devant fon éclat qu'à la Fortune & au Hazard; toûjours tumultueuse, & l'écuëil funefte du repos & de la tranquillité. Si nous ne la regardons qu'en paffant, fon éclat nous ébloüira fans doute mais fouvenons - nous que ce qui eft le plus brillant n'eft pas toûjours le plus folide. Ce ne font pas les tonner res & les éclairs qui font les beaux jours une férénité douce eft bien plus agréable & moins dangereufe qu'une clarté fi vive & fi éclatante,

Nous fommes nez pour la fociété : c'est à elle que nous devons tous nos foins ; &

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