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SCENE II.

JULIETTE, DORI ZÉ E.

MAD

JULIETTE.

ADAME veut-elle bien attendre un moment, je vais avertir ma Maîtreffe. DORIZ É E.

Non elle est dans fon cabinet avec un homme d'affaires, je ne veux pas la déranger; & d'ailleurs je fuis bien-aife, ma chere Juliette, de caufer un peu avec vous. Après une abfence de dix mois, & revenue feulement depuis huit jours, j'ai bien des queftions à vous faire.

JULIETTE.

Je vous dois tout, Madame, mon édu cation, mon fort, mon existence, je tiens tout de vos bontés; ainfi vous devez être bien fûre de ma fincérité, elle fera auffi entiere que ma reconnoiffance eft vive.

DORIZÉ E.

Votre attachement, ma chere Juliette, pour ma niece & pour moi, eft la récompenfe la plus douce que je pouvois efpérer des foins que j'ai pris de votre enfance. Je connois la folidité de votre efprit, & la fureté de votre caractere; je fuis bien certaine que vous donnez à ma niece les confeils les plus fages; mais les fuit-elle exactement?.... J'arrive, je ne fais rien en

core; cependant je vous avoue que j'ai déja vu ici plufieurs petites chofes qui me déplaisent....

JULIETTE.

Ah, Madame, que votre absence nous a été funefte!...

DORIZÉ E.

O Ciel! vous m'effrayez!....

JULIETT E.

Raffurez-vous, Madame, tout peut encore fe réparer. Madame de Germini eft toujours honnête, elle est toujours digne de votre tendreffe: mais ne nous quittezplus.

DORIZÉ E.

Hélas! vous favez avec quelle peine je la quittai: l'arrangement de mes affaires m'y forçoit; je comptois fur fon caractere, fur l'éducation que je lui ai donnée; d'ailleurs elle avoit vingt ans, & fa raifon me paroiffoit au-deffus de fon âge : j'avois guidé fes premiers pas dans le monde; & après l'avoir obfervée & fuivie pendant près d'un an, je crus pouvoir me féparer d'elle fans danger, & je la laiffai entre les mains de fa belle-mere, non fans chagrin, mais du moins avec fécurité.

JULIETT E.

Et un de nos premiers malheurs, c'eft que Madame fa belle-mere eft fort vieille, d'un caractere affez foible, & que depuis fix mois elle eft prefque entiérement tombée en enfance.

DORIZ É E.

Et comment ne m'avez-vous pas mandé cela?

JULIETT E.

Parce qu'ayant peu d'occafions de la voir, quoique nous logions chez elle, je ne l'ai fu que très-tard, & dans le temps où nous vous attendions tous les jours. DORIZÉ E.

Il est vrai que mon retour a été différé.
JULIETTE.

Madame, féparée de vous & de M. le Marquis, livrée à elle-même, n'ayant qu'une demi-expérience, (peut-être plus funefte qu'une ignorance entiere, parce qu'elle donne de la confiance & de la préfomption,) Madame, enfin, bonne, honnête, fenfible, mais foible & légere, n'a pu résister au danger des mauvais confeils; elle fe rui'ne en folles dépenfes, achete tout, ne paye rien, perd le goût de l'occupation, néglige fes talents pour fe livrer à une diffipation qui ne l'amufe même pas. Je la vois revenir le foir, fe répentant de l'ufage qu'elle a fait de fa journée, le cœur & l'efprit également vuides, excédée, fatiguée, & le lendemain, fans plaifir, mais par habitude, recommençant le même genre de vie. DORIZE E.

Jufte Ciel que m'apprenez-vous ? & que dira fon mari, lui qui avoit une idée fi parfaite de fon caractere & de fa raifon; hui qui, craignant pour elle l'ennui de vivre dans une terre éloignée de Paris, l'a

mena

mena ici, la dépofa entre les bras de fa mere, & partit, en ordonnant à fon Intendant de lui donner tout l'argent qu'elle pourroit defirer? Eh quoi, tant de confiance & d'eftime n'ont pu la retenir? Ignore-t-elle donc qu'en abufer, c'eft, en fe déshonorant, s'en rendre à jamais indigne? JULIETT E.

Ah! Madame, n'accufez point fon cœur. DORIZ É E.

Mais à quoi fert un bon cœur, fi la conduite & les actions de la vie en démentent les fentiments?

JULIETTE.

"

A gémir de fes fautes, à les réparer.
DORIZ É E.

Les réparer! eh! le peut-on toujours? Non. Celui qui peut en commettre de graves, ne réfléchit guere à la poffibilité de la réparation; ou pour mieux dire, la fup pofition d'un tel calcul eft chimérique : entraîné, féduit, égaré, conferve-t-on encore P'ufage de fa raifon, & la faculté de réfléchir? Comment ces idées fi fimples, que j'ai fi fouvent préfentées à ma niece, ont elles pu s'effacer de fon fouvenir?

JULIETT E.

Enfin, Madame, peut-être que mon attachement m'exagere les dangers de fa fitnation; je ne fuis pas entiérement au fait de fes affaires, le défordre eft peut-être moins grand que je ne l'imagine.

DORIZÉ E.

Il faut toujours y remédier promptement,
Tome I.

M

& avant le retour de M. de Germini, qui doit être prochain.

JULIETTE.

Ah! Madame, pourquoi l'a-t-il différé fi long-temps?

:

DORIZÉ E.

Hélas! il comptoit n'être abfent que fix mois la même fatalité qui me fixoit dans mes terres, le retenoit en Allemagne, où vous favez qu'il fut appellé pour la fucceffion de fon oncle. Enfin, il me mande que fes affaires font finies, & qu'heureufement quitte de tout embarras, il fe flatte de pouvoir être ici fur la fin du mois.

JULIETTE.

Quelle révolution va caufer ce retour!... Madame le craint & le defire.

DORIZÉ E.

L'inconféquence, le repentir & les regrets, voilà les fruits de l'imprudence & de la légéreté. Il femble, ma chere Juliette, que, malgré la fragilité de l'efpece humaine, notre état naturel foit d'être raifonnables; fi nous ceffons de l'être, le trouble & l'agitation nous tourmentent & nous dévorent; nous ne fommes plus d'accord avec nous-mêmes; fans la raifon enfin, il n'eft plus pour nous de bonheur & de tranquillité, & le dégoût suit toujours les faux plaifirs qu'elle réprouve. (Elle regarde à fa montre.) Mais l'heure s'avance; ma niece va bientôt venir nous trouver, & j'ai encore mille queftions à vous faire. Dites-moi, Juliette, quel eft le

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