페이지 이미지
PDF
ePub

:

l'ennemi fi cependant on ne pouvoit faire mieux, ou qu'on n'eût point de fortereffes fur cette frontiere, ce feroit le feul parti qu'il y auroit à prendre, quels qu'en puiffent être les inconvénients.

Si l'Etat étoit entouré de grandes Puiffances, il lui faudroit autant d'armées pour affurer le pays de tous côtés; mais il n'eft guere de Royaumes en Europe qui puillent fournir long-temps, fans fe ruiner, à la dépenfe de plufieurs grandes armées à la fois. Il faut par conféquent que les frontieres foient couvertes par de bonnes places qui les affurent contre les invafions de l'ennemi. Comme ces places ne peuvent pas être toutes attaquées dans le même tems, les troupes qui les occupent, & celles que l'Etat doit toujours avoir fur pied, difperfées dans les provin ces, peuvent, en cas de befoin, fe réunir & former un corps d'armée capable de s'opposer aux entreprises des Puiffances voifines.

Mais quand un Etat a beaucoup de fortereffes, il a befoi de bien des troupes pour les garder. Si leur nombre en exigeoit autant qu'il en faut pour former plufieurs armées, on pourroit en conclure que l'avantage de ce grand nombre de places fortes ne feroit qu'apparent, &

qu'il feroit réellement préjudiciable au bien de l'Etat.

En effet, outre la dépenfe des troupes, qui feroit la même que fi l'on n'avoit point de fortereffes, il faudroit encore y ajouter celle de la conftruction & de l'entretien de ces places; ce qui formeroit un autre objet de dépenfe très-confidérable à ajouter au premier.

Dans ce cas, les fortereffes, au lieu d'affurer les frontieres avec moins de dépenfe que par le moyen des armées, augmenteroient cette dépenfe & par conféquent la charge des peuples.

Il fuit de-là que, quelque utiles que foient les places fortes, il eft très-important de ne les multiplier qu'avec beaucoup de circonfpection. Leurs fortifications ne doivent pas être trop immenfes, afin de ne point exiger de trop fortes garnifons. Il eft à propos de ne point perdre de vue l'objet des fortifications, qui eft de mettre un petit nombre de troupes, qui ne pourroit pas fe foutenir en campagne devant l'ennemi, en état de lui refifter long-temps dans les places, par l'avantage qu'elles procurent à l'affiégé fur l'affiégeant.

Il faut que ces places foient non feu

ement très-bonnes, mais qu'elles foient bien approvifionnées ou munies de tout ce qui eft néceffaire pour une longue & vigoureuse réfiftance, fans quoi l'ennemi s'en rendroit maître trop aifément : comme alors elles lui ferviroient de places d'armes, ou de points d'appui qui favoriferoient fon entreprife, loin d'être avantageufes à l'Etat qui les auroit fait conftruire, elles ne le dédommageroient point de cette dépense & de celle de leur entretien.

Ce n'eft point une chofe aifée, que de régler le nombre des fortereffes que chaque Etat doit avoir, relativement à la nature de fes frontieres & aux forces des Puiffances voisines. Ce qu'on peut dire en général fur cet important objet, c'est que les places fortes doivent former une efpece de barriere qui ne permette point à l'ennemi de pénétrer dans le pays fans les attaquer.

Outre celles qui couvrent immédiatement la frontiere, & qu'on appelle Places en premiere ligne, parce qu'elles font expofées les premieres aux attaques de l'ennemi, il en faut encore une feconde ligne qui couvre, autant qu'il eft poffible, les intervalles qui fe trouvent entre les places de la premiere, ou qui occupent les

poftes les plus favorables pour l'empêcher de s'étendre & de s'avancer trop aifément dans le pays.

Si l'ennemi veut négliger ces places & les laiffer derriere lui, c'eft une impru dence qui peut lui coûter cher. Les troupes qui y font renfermées peuvent interrompre ou couper fes communications le harceler fur fes derrieres, empêcher le transport de fes munitions; &, s'il fe trouve contraint de rétrograder, ou s'il lui arrive d'être battu, lui fermer toute retraite & achever de détruire fon armée.

C'est pour éviter ces inconvénients, que les Généraux prudents ne s'avancent point inconfidérément dans le pays ennemi ils connoiffent trop les inconvénients qui peuvent résulter des places fortes qu'ils laifferoient derriere eux. C'est pourquoi ils cherchent d'abord à battre l'ennemi, s'il eft en campagne, ou à l'éloigner de fes places pour en faire le fiege. Mais alors le temps qu'il y emploie, donne cclui de raffembler les forces qu'on peut avoir pour s'oppofer à fes entreprises.

Quoique la ville de Tyr ne fût point fous la domination des Perfes, cependant, comme elle leur étoit affectionnée, & qu'elle pouvoit incommoder Alexan dre dans fon entreprise contre Darius,

il voulut s'en affurer avant que de pénétrer dans les Etats de ce Prince. Il s'en rendit maître après un fiege de fept mois, qui lui coûta bien des fatigues & bien des foins. Il est très-vrai-femblable que fi Da rius avoit eu plufieurs places de cette efpece, les batailles d'us & d'Arbelles n'auroient pas décidé de fa deftinée.

Pour citer un exemple plus récent; fi Vienne, qui a foutenu deux fieges contre les Turcs, n'avoit point été fortifiée, peutêtre que l'Allemagne feroit à-préfent une province de l'Empire Ottoman.

Sans les places fortes, une bataille perdue peut entraîner la perte d'un Etat, furtout quand le Général ennemi fait profiter de fa victoire ; car alors rien ne peut plus l'arrêter, le pays eft à fa difcrétion : mais de bonnes places l'empêchent d'aller en avant. Il faut qu'il faffe des fieges pour fe procurer des points d'appui. Si les villes font une longue & vigoureuse réfistance, ces fieges ruinent, ou du moins affoiblif fent fon armée. Ils donnent le temps de raffembler de nouvelles troupes, & de fe fortifier contre lui.

Si l'on n'est point affez fort pour tenir la campagne, on occupe des poftes avantageux, foit fous la protection des places dont on eft le maître, ou dans des

« 이전계속 »