페이지 이미지
PDF
ePub

en Dieu. Il ajouta que la confiance en Dieu & la défiance de foi-même, étoient comme les deux baffins d'une balance, & que l'élévation de l'un étoit l'abbaiffement de l'autre. Plus nous avons de défiance de nous-mêmes, plus nous avons de confiance en Dieu. Moins nous avons de défiance de nous-mêmes, moins nous avons de confiance en Dieu. Si point du-tout de confiance en nous, alors nous l'avons entierement en Dieu.

Mais ne puis-je pas, répliquai-je, me défier entierement de moi-même par une claire connoiffance de ma mifere & de mon impuiffance, fans pour cela jetter ma confiance en Dieu.

Non pas, me dit-il, fi vous êtes fondé & enraciné en la charité, & fi vous agiffez par cette vertu ; autrement ce ne feroit pas une défiance de vous-même chrétienne & furnaturelle. Cette défiance dont vous parlez ne produiroit en vous que chagrin, découragement & lâcheté, mais la vraie défiance de foi-même, chrétienne & procedante de la charité, eft une défiance gaie, courageufe & généreuse, qui nous fait dire, non moi, mais la grace de Dieu avec 1.Cor.15.10. moi ; fans elle je ne puis rien, non pas même avoir Joan. 15. so la moindre bonne penfée. Avec elle je puis toutes Philip. 4. 13. chofes, fçachant que ce qui eft impoffible à l'hom- Mat. 19. 26. me, eft très facile à Dieu, qui peut tout ce qu'il veut au Ciel & en la terre. A raifon de quoi NotreSeigneur difoit à fes Apôtres : Ayez confiance, j'ai Joan. 16. 336 vaincu le Monde. Ceux qui fe confient au Seigneur fe- Pfal. 124. 3. ront, dit le Prophete, comme la montagne de Sion,

qui ne s'ébranle pour aucun orage.

2. Cor. 3. 5.

CHAPITRE XVI.

De l'égalité du faint Amour.

'UNE des plus belles fentences que j'aie ouie de la bouche de notre Bienheureux, eft celle-ci : » C'est le vrai figne que nous n'aimons que Dieu » en toutes chofes, quand nous l'aimons également » en toutes chofes; puifqu'étant toujours égal à » foi-même, l'inégalité de notre amour envers lui "ne peut tirer fon origine que de la confidération de quelque chofe qui n'eft pas lui.

[ocr errors]
[ocr errors]

J'aurois fouhaité que cette fentence fût écrite à tous les endroits les plus remarquables de vos maifons, & à la tête de tous les Livres fpirituels que l'on vous donne à lire, afin que l'ayant toujours devant les yeux, vous la pratiquaffiez mieux.

C'eft la vraie pierre de touche pour connoître fi notre charité & notre dévotion font vraies ou feintes. O fi notre Arche étoit arrivée à ce point, nous pourrions dire qu'elle feroit comme celle de Noé, pofée fur le faîte des plus hautes montagnes, & fondée fur les collines les plus élevées de la piété.

Tout nous feroit égal, vie, mort, fanté, maladie, pauvreté, richeffes, & toutes les inégalités des évenemens de cette vie ne pourroient, je ne dis pas un peu agiter, mais renverfer notre barque, parce que nous en tiendrions le timon ferme & droit, & que nous verrions toutes ces chofes en la main de Dieu, également aimable quand il nous châtie comme quand il nous careffe; car fa juftice n'eft pas moins que fa miféricorde, fille de fa bonté. Nous connoîtrions que fa main, lorfqu'elle nous châtie, eft comme celle du Chirurgien, qui ne blesse que

pour guérir, & qu'à la fin fes foudres fe convertitfent, comme dit le Prophete, en pluyes, & en Pfal. 67. 10. pluyes volontaires que Dieu réferve pour l'héritage

de fes Elûs, dont il est dit : Bienheureux ceux qui Matt. 5. 5. pleurent, car ils feront confolés.

C'eft en cette ferme & inébranlable affiette d'efprit que le grand Apôtre bravoit toutes les créatu- Rom. 8. 39. res, & les défioit de le féparer de l'amour de Jesus

Christ.

CHAPITRE XVII.

De l'estime qu'il faifoit de la fimplicité.

N

OTRE Bienheureux après avoir prêché l'Avent & le Carême à Grenoble, eut defir de vifiter la grande Chartreufe, qui n'en eft éloignée que de trois lieuës.

Alors étoit Prieur & Général de tout l'Ordre, Dom Bruno d'Affrinques, natif de Saint-Omer en Flandres, perfonnage de profonde doctrine & d'humilité, & fimplicité encore plus profonde.

Il reçut notre Bienheureux avec un accueil digne de fa piété, candeur & fincerité, dont vous allez entendre un trait que notre Bienheureux élevoit jusqu'aux étoiles.

Après l'avoir conduit à une des chambres des hôtes, convenable à fon rang, & s'être entretenu avec lui de propos tout céleftes, il prit congé de lui pour fe difpofer à aller aux Matines fuivantes, s'excufant beaucoup de ne pouvoir lui tenir compagnie plus long-tems.

Le Bienheureux approuva beaucoup cette exactitude; le bon Prieur s'excufant encore fur la fêre

d'un Saint fort recommandé en fon Ordre. Le congé pris avec tous les complimens de refpect & d'honneur qui fe peuvent defirer; comme il fe retiroit en fa cellule, il fut rencontré par un des Procureurs de la maison, qui lui demanda où il alloit, & où il avoit laiffé Monfeigneur de Geneve. Je l'ai, dit-il, laiffé en fa chambre, & j'ai pris congé de lui pour me ranger en notre celiule, & aller cette nuit à Matines à caufe de la fête de demain.

Vraiment, lui dit ce Religieux, Pere Reverend, vous entendez fort les cérémonies du monde ; & quoi, ce n'eft qu'une fête de l'Ordre : avons-nous tous les jours en ce defert des Prélats de ce mérite ne fçavez-vous pas que Dieu fe plaît aux hofties de l'hofpitalité. Vous aurez toujours affez de loifir pour chanter les louanges de Dieu, les Matines ne vous manqueront pas d'autres fois ; & qui peut mieux entretenir un tel Prélat que vous? quelle honte pour la maifon que vous l'abandonniez ainfi feul?

Mon enfant, dit le Réverend Pere, je crois que vous avez raison & que j'ai mal fait, & de ce pas il retourna vers Monfeigneur de Geneve, & lui dit tout ingénuement, Monfeigneur, j'ai en m'en allant rencontré un de nos Officiers, qui m'a dit que j'avois fait une faute de vous avoir laiffé feul, & que je ne manquerai pas de retrouver Matines une autre fois, mais que nous n'aurons pas tous les jours Monfeigneur de Geneve ; je l'ai crû, & je m'en fuis revenu tout droit vous demander pardon, & vous prier d'excufer ma faute, car je vous affure que je l'ai fait fans y penfer, & que je ne ments point.

Le Bienheureux fut ébloui de cette notable franchife, candeur, ingénuité & fimplicité, & me dit qu'il en fut plus ravi que s'il lui eût vû faire un miracle.

CHAPITRE XVIII.

Sur la pondualité, la modération, & les marques d'une bonne vocation.

OTRE Bienheureux loüoit extrêmement ce bon Général des Chartreux de fa ponctualité : car il étoit tellement exact à la moindre obfervance, qu'il n'eût pas cedé au moindre Novice en cette attention; auffi n'eût-il pas voulu paffer les regles d'une ligne par une ferveur immodérée, de peur d'y entraîner les autres par fon exemple.

Notre Bienheureux faifant comparaifon de lui avec fon prédéceffeur en la charge de Général, qui faifoit des mortifications fi exceffives qu'il fembloit, ou n'avoir point de corps, ou en avoir un de fer : il reffembloit, difoit-il, à ces Médecins qui font les cimetieres boffus, car le defir de l'imiter en fes exercices fi âpres, en faifoit tomber quantité dans la foffe, , qui par un zele fans fcience vouloient aller au-deffus de leurs forces; au lieu que celui-ci douceur & modération confervoit la paix & l'humilité dans les efprits & la fanté dans les corps.

par

fa

Il fe préfenta à ce bon Général un jeune homme. Le Révérend Pere le voyant fi délicat, comme font ordinairement les enfans de bonné maison, lui repréfenta l'austerité de l'Ordre & la rigueur du lieu. Le jeune homme lui dit qu'il avoit prévu tout cela, & que Dieu feroit fa force.

Le Général le voyant parler avec tant de résolution: Comment, lui dit-il d'un ton févere, que penfez-vous en voulant entrer dans notre Ordre ? Vous imaginez-vous que ce foit un jeu d'enfans;

« 이전계속 »