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recevoir fa bénédiction avant que de mourir.

Le Bienheureux qui fe donnoit à tous ceux qui le demandoient, y alla, & trouva ce bon Paysan aux portes de la mort, mais avec un jugement fort fain. Ravi d'aife de voir avant que de mourir fon faint Evêque, il lui dit, Monfeigneur, je bénis Dieu de pouvoir, avant que de fermer les yeux, recevoir votre fainte bénédiction. Il demande à fe confeffer, chacun fe retire, & après cette réconciliation, fe voyant feul avec le bon Prélat, il lui dit, Monfeigneur, mourrai-je ?

Le Bienheureux eftimant que la frayeur le faifit, pour le raffurer un peu lui dit: j'en ai vû revenir de plus loin, & ajouta qu'il falloit mettre toute fa confiance en Dieu, qui étoit le maître de notre vie &

de notre mort.

Monfeigneur, lui dit le bon Payfan, mais mourrai-je, à votre avis?

Mon fils, lui dit le bon Pasteur, un Médecin répondroit à cela mieux que moi : ce que je vous puis dire, eft que je vois votre ame en fort bonne affiette, & que poffible vous feriez appellé en un autre tems auquel vous n'auriez pas tant de difpofition à partir. Ce que vous fçauriez faire de mieux, eft en quittant le foin & le defir de vivre, de vous abandonner totalement au foin de la Providence & de la miféricorde de Dieu, afin qu'il faffe de vous felon fon bon plaifir, & fon bon plaisir sera sans doute toujours votre mieux.

O Monfeigneur, reprit le bon Payfan, ce n'est pas de crainte de mourir que je vous demande ceci; mais c'eft plûtôt de peur de ne pas mourir ; car j'ai de la peine à me réfoudre à revenir de cette maladie.

Le Bienheureux fe trouva fort furpris de ce langage, fçachant bien que le defir de mourir ne tombe

ordinairement que dans les ames extrêmement parfaites, ou en des imparfaites, & qui panchent quafi vers le défefpoir, ou au moins qui font dans une profonde mélancolie. Il lui demanda donc s'il avoit quelque regret de vivre, & d'où lui procédoit ce dégoût de la vie, de laquelle l'amour eft fi naturel. Monfeigneur, dit le bon-homme, c'est fi peu de chofe que ce monde, que je ne fçai comment tant de gens l'aiment; & fi Dieu n'avoit commandé de demeurer jufqu'à ce qu'il nous en retire, il y a longtems que je n'y ferois plus.

Le Bienheureux s'imaginant que cet homme fût faifi de quelque grand déplaifir qui lui fit abhorrer la vie & fouhaiter la mort avec tant d'inftance, lui demanda s'il avoit des incommodités fecrettes, ou en fon corps ou en fes biens.

Nullement, dit-il, j'ai mené une vie fort faine jufqu'à l'âge où vous me voyez, qui eft feptuagénaire. De bien, je n'en ai que trop. Je ne fçai ce que c'eft que pauvreté, par la grace de Dieu.

Le Bienheureux lui demanda encore s'il n'avoit point quelque mécontentement de fa femme ou de Les enfans.

Tous les contentemens qui fe peuvent fouhaiter, reprit-il, jamais ils ne m'ont caufé la moindre fâcherie; & fi j'avois peine à quitter ce monde, ce feroit à caufe qu'il faut s'en féparer.

Le Bienheureux ne pouvant deviner d'où lui venoit ce dégoût de la vie, lui dit; d'où vous vient donc, mon frere, ce defir de la mort ?

Monseigneur, répondit-il, c'est que dans les prédications, j'ai toujours oui faire tant de cas de l'autre vie & des joies du Paradis, qu'il me femble que ce monde ici eft un cachot & une vraie prifon.

Alors parlant de l'abondance de fon cœur fur un

fi agréable fujet, il lui en dit tant de merveilles, que le bienheureux Evêque en étoit ravi & tout baigné de larmes de tendreffe, voyant bien qu'il avoit été enfeigné de Dieu même là-deffus, & que la chair & le fang ne lui avoient point révelé ces chofes, mais l'Esprit divin.

Defcendant de ces hautes & céleftes fpéculations, il dépeignit les baffeffes des plus éminentes grandeurs, des plus fomptueufes richeffes & des plus exquifes délices du Monde, de maniere qu'il en imprima un nouveau dégoût dans l'ame de notre Bienheureux.

Ce que fit le faint Evêque fut d'acquiefcer aux fentimens de ce bon-homme; mais pour le retirer des extrêmités où il s'emportoit, il lui fit faire plufieurs actes de réfignation, & d'indifférence de vivre ou de mourir, à l'imitation de S. Paul & de S. Martin ; & de-là à peu d'heures après avoir reçu l'onction derniere des mains du faint Evêque, il expira doucement fans fe plaindre d'aucune douleur, & demeura plus beau mort qu'il n'avoit été durant fa vie.

CHAPITRE XXV.

On ne sçauroit trop vuider fon cœur des defirs

de la terre.

Ly a des defirs terreftres & des defirs célestes. De ces derniers on n'en fçauroit trop avoir; ce font autant d'aîles qui nous élevent à Dieu, ce font ces Pfal. 57. 4. aîles de colombe que le Prophete demandoit à Dieu pour voler dans le vrai repos. Pour les autres, qui ne regardent que les biens paffagers & caducs & qui

nous lient à la terre, on ne fçauroit en avoir trop peu. S. Auguftin les appelle la glue des aîles fpirituelles.

Serm. 311.

aliàs de i verf. 115.

C'eft de cette espece de defirs dont notre Bien- cap. 4. heureux étoit fort vuide. Voici comme il en parloit. Je veux fort peu de chofes, & ce que je « veux, je le veux fort peu. Je n'ai prefque point de defirs, & fi j'étois à renaître, je ne voudrois « point en avoir du-tout.

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Et à dire le vrai, la terre eft bien peu de chofe,. ou, pour mieux parler, n'eft rien, à qui aspire au Ciel; & le tems n'eft qu'une ombre, à qui tend à

l'Eternité.

CHAPITRE XX V I.

Des fcrupules d'un homme riche & très

aumônier.

U voyage qu'il fit à Paris en l'anné 1619. fe préfenta à lui un perfonnage fort accommodé des biens de la fortune, mais encore plus riche en piété & en miféricorde envers les pauvres.

Ce bon perfonnage lui demanda s'il pouvoit fe fauver avec toutes fes richeffes, & lui témoigna être en grande crainte de ne pouvoir avec fes grands biens faire fon falut.

Le Bienheureux lui demanda d'où lui venoit cette crainte..

Il répondit ; de ce que je fuis trop riche, & vous

fçavez que l'Evangile met à un tel degré de diffi

culté le falut du riche, qu'il femble être du tout im- Luc. 18. 24. poffible.

Le Bienheureux ne pouvant former fur cette ré

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ponfe 'aucun jugement, lui demanda s'il avoit du bien mal acquis.

Nullement, dit-il, mes peres qui étoient trèsgens de bien ne m'ont rien laiffé de cette nature; & ce que j'ai de plus a été amaffé de mon épargne & de mon jufte travail. Dieu me préferve d'avoir du bien d'autrui, ma confcience ne me reproche rien de ce côté-là.

Quoi donc, lui dit le faint Prélat, faites-vous un mauvais ufage de ces richeffes?

Je m'entretiens, répondit-il, felon ma qualité, mais je crains de ne pas donner affez aux pauvres, & vous fçavez que nous ferons un jour jugés là-deffus.

Avez-vous des enfans? lui dit notre Bienheureux. Oui, répondit-il, mais ils font tous bien pourvus, & fe peuvent aifément paffer de moi.

Vraiment, reprit le Bienheureux, je ne fçai pas d'où vous peuvent venir ces fcrupules. Vous êtes le premier que j'aie rencontré qui fe plaigne de l'abondance de fes biens, la plupart n'en ont jamais affez.

Il lui fut fort aifé de remettre ce bon perfonnage en paix, trouvant en lui beaucoup de docilité à fuivre les avis.

Et depuis il me dit, qu'il avoit appris que ce bon Monfieur avoit eu autrefois de grands emplois, dont il s'étoit fort dignement acquitté, & qu'il les avoit tous quittés pour ne vacquer qu'aux exercices de piété & de miféricorde, ne bougeant des Eglifes ou des Hôpitaux, ou des maifons des pauvres honteux, dont il foulageoit les néceffiteux avec tant de largeffes, qu'il employoit plus de la moitié de fon revenu à leur foulagement. Que par fon teftament, outre quantité de legs pieux, il avoit fait JesusChrift fon premier heritier, donnant à l'HôtelDieu une portion égale à celle de fes enfans, &

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