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Le Bienheureux après avoir effayé de détourner fes yeux de la terre pour les élever en Dieu, lui demanda, fi Dieu ne lui étoit pas non-feulement plus que ces biens, mais que toutes chofes ; & fi l'ayant aimé avec beaucoup de chofes, elle n'étoit pas prête de l'aimer fans toutes ces chofes.

Cette ame lui ayant répondu que ce difcours étoit plus fpéculatif que pratique, & plus aifé à dire qu'à

réduire en effet.

Certes, reprit le Bienheureux, celui-là est trop avare, à qui Dieu ne fuffit.

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Ce mot d'avare toucha fi vivement ce cœur paravant endurci aux remontrances, qu'elle ne put s'empêcher de verfer des larmes, ayant toujours été fort ennemie de l'avarice.

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IMER quelqu'un n'eft pas feulement lui vouloir & fouhaiter du bien, mais lui en faire quand on en a le pouvoir; autrement on tombe dans le reproche que fait S. Jacques à ceux qui ne donnent aux C. 2. v. 15. pauvres que des paroles de confolation, fans les foulager effectivement, quoiqu'ils en ayent le pouvoir.

Le bienheureux Prélat avoit un fi tendre amour pour les pauvres, qu'en cela feulement il fembloit avoir acception de'perfonnes, les préferant aux riches pour le fpirituel, foit pour le corporel, faifant comme les Médecins qui courent aux plus malades.

foit

Un jour j'attendois avec plufieurs autres pour me confeffer, tandis qu'il entendoit la confeffion d'une pauvre vieille femme aveugle, qui alloit demandant fon pain aux portes ; & comme je m'étonnois

de la longueur de cette confeffion : Elle voit, me dit-il, plus clair aux chofes de Dieu, que plufieurs qui ont de bons yeux.

Une autre fois j'étois en batteau avec lui fur le lac d'Anneffy, & les bateliers qui ramoient l'appelloient mon Pere, & traitoient avec lui affez familierement: Voyez vous, me disoit-il, ces bonnes gens, ils m'appellent leur Pere, & c'eft la verité qu'ils m'aiment comme cela; ô qu'ils me font bien plus de plaifir que ces faifeurs de complimens qui m'appellent Monfeigneur.

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CHAPITRE XIV.
Son fentiment fur Seneque.

E lui parlois un jour de ce trait de Seneque : Celui-là eft grand de courage, qui fe fert de plats de terre avec autant de contentement & de fatisfaction, que s'ils étoient d'argent; mais celui-là eft plus grand qui mange en des plats d'ar» gent, & en tient aufii peu de compte que s'ils » étoient de terre.

Ce Philofophe, me dit-il, a raifon de parler aini; car le premier fe repaît d'une imagination creufe qui peut être fujette à la vanité ; mais le second montre bien qu'il eft au-deffus des richeffes, puisqu'il ne s'en foucie non plus que de la pouffiere.

Et comme je continuois à louer ce Philofophe, eftimant que fes maximes approchoient bien fort de celles de l'Evangile.

Oui, me dit-il, quant à la lettre, nullement selon l'efprit.

Pourquoi cela? dis-je. Parce que, reprit-il, l'ef prit de l'Evangile ne vife qu'à nous dépoüiller de

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nous-mêmes, pour nous revêtir de Jesus-Chrift & de la vertu d'enhaut ; à renoncer à nous-mêmes pour dépendre entierement de la Grace; au lieu que ce Philofophe nous rappelle toujours à nous-mêmes, ne veut point que fon Sage emprunte fon contentement ni fa félicité hors de foi, ce qui eft un orgueil manifeste.

Le fage Chrétien doit être petit à fes propres yeux, & fi petit qu'il fe tienne pour un rien; au lieu que ce Philofophe veut que le Sage qu'il s'imagine foit audeffus de toutes chofes, & s'eftime maître de l'Univers & l'ouvrier de fa propre fortune, ce qui eft une vanité insupportable.

CHAPITRE XV.

Il refufe une penfion que le Roi lui offroit.

L

E grand Henri IV. Roi de France, faifant beaucoup de cas de la vertu de notre Bienheureux, & attendant qu'il vaquât quelqu'Evêché de plus grand revenu que celui de Geneve, & fçachant que le bien qui lui reftoit étoit peu de chose, lui offrit une penfion affez confidérable.

Le Bienheureux qui ne vouloit, ni quitter fon Eglife, ni donner de la jaloufie au Prince dans les Etats duquel étoit fa réfidence, s'il fe rendoit penfionnaire d'un autre, trouva un expédient qui para en même-tems ces deux coups, rendant de trèshumbles actions de graces de la pensée que Sa Majefté daignoit avoir de fon avancement, eftimant à un extrême honneur de fe voir placé dans le fouvenir d'un fi grand Monarque; mais le fuppliant de le laiffer dans le pofte où Dieu l'avoit mis en fon Eglife, ne croyant pas qu'il fallût eftiiner les Evê

chés par les revenus, mais par le plus grand fervice l'on y pouvoit rendre à Dieu, en quoi il pensoit fon Diocèse ne cédoit à aucun autre.

que

que

Et quant à la penfion, qu'il ne la refufoit pas, venant d'une main royale, fi digne d'être réverée; mais qu'il fupplioit Sa Majefté d'agréer qu'il la laifsât en dépôt entre les mains du Tréforier, jufqu'à ce qu'il en eût befoin pour le fervice de la Religion Catholique, ou des pauvres; Dieu, jufqu'alors, lui ayant affez largement fourni les chofes néceffaires à la vie.

Le Grand Henri admira fon adreffe & fon jugement, & loüa hautement fa prudence, difant: voilà le plus agréable & le mieux affaifonné refus qui m'air jamais été fait. Cet homme eft hors de toute corruption, puifqu'il eft fi élevé au-deffus des préfens.

N

CHAPITRE XV I.

De la vie commune.

OTRE Bienheureux prifoit beaucoup la vie commune, c'eft pourquoi il n'a point voulu que les filles de la Vifitation, dont il a été l'Inftituteur, euffent d'aufterités pour le vêtement, le lit & la nourriture qui fuffent extraordinaires, réglant leurs viandes, leurs jeûnes & leurs habillemens par les loix communes, à tous ceux qui veulent vivre chrétiennement dans le monde ; en quoi ces bonnes Filles font imitatrices de Jefus-Chrift, de fa fainte Mere & des Apôtres, qui ont vêcu de cette forte, remettant au jugement & à la difcretion des Superieurs, de permettre & d'ordonner des mortifications extraordinaires, felon les befoins des particuliers à qui ces remedes fe trouveroient néceffaires.

Ce n'eft pas que notre Bienheureux ne fît état des aufterités corporelles, mais il vouloit qu'on s'en fervît avec un zele accompagné de fcience, confervant par elles la pureté du corps, fans ruiner la fanté. En un mot, il préferoit la vie de Jefus Chrift à celle de S. Jean-Baptifte.

CHAPITRE XVI I.

Manger ce qui eft présenté.

L répetoit fouvent cette maxime de l'Evangile : I Mangez ce qui fera mis devant vous, o en gun- Luc. 10. 8. cluoit, que c'eft une plus grande mortification de pouvoir tourner fon goût à toutes mains, que de choifir toujours le pire.

Il arrive fouvent que les viandes les plus délicates ne font pas pourtant à notre goût; y étendre donc la main fans marquer aucune averfion, n'eft pas une petite mortification. Il n'incommode que celui qui fe furmonte en cela..

Il tenoit pour une espece d'incivilité étant à table, non-feulement de prendre, mais de demander quelque viande éloignée, en laiffant celle qui eft plus proche, difant que c'étoit montrer un efprit attentif aux plats & aux fauces. Que fi on le fait, non par fenfualité, mais pour choifir les viandes les plus viles, cela fent l'affectation, laquelle ne fe fépare non plus de l'oftentation que la fumée du feu.

Comme on peut être gourmand avec des choux, on peut auffi être fobre avec des perdrix: mais être indifférent en l'un & en l'autre mets, c'eft témoigner une mortification de goût qui n'eft pas vulgaire. Manger d'excellentes viandes fans les favou

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