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rer eft plus difficile, que d'en manger de groffieres avec délices.

Un jour on lui avoit fervi des œufs pochés à l'eau, & en parlant d'œufs, il avoit coutume de dire après S. Bernard, que l'on martirifoit les pauvres œufs en cent manieres ; & comme il les eut mangés, il commença à tremper fon pain dans l'eau qui étoit dans le plat, ainfi qu'il l'avoit trempé dans les œufs.

Ceux qui étoient à table commencerent à fourire de cette inadvertance; s'étant enquis de la cause : Certes, leur dit-il, vous avez grand tort de m'avoir découvert une fi agréable tromperie, car je vous affure que je n'ai guéres mangé de fauce avec plus de goût que celle-ci; il eft vrai que mon appétit y contribuoit un peu, tant le proverbe est véritable, qu'il n'eft fauce que d'appétit.

Ce trait a du raport à celui de S. Bernard, qui but de l'huile au lieu de vin fans s'en appercevoir, tant il étoit peu attentif à ce qu'il buvoit & mangeoit.

CHAPITRE XVIII.

Quels alimens on peut permettre à des Soldats en Carême dans le cas de néceffité.

L arriva que des Capitaines, dont les foldats

I en

me, me vinrent demander permiffion pour leurs foldats de manger des œufs & du fromage.

Moi qui n'avois point coutume de donner ces permiffions qu'aux infirmes, je me trouvai embarraffé, fur-tout en un pays où le Carême est si étroitement obfervé, que les paysans fe fcandalisent quand on leur permet de manger du beurre.

Je

Je dépechai donc au Bienheureux, dont la réfidence n'étoit qu'à huit lieues de diftance de Belley, un courier qui ne fervoit qu'à porter au Bienheureux toutes mes dépêches, ce qui arrivoit fréquemment; & voici quelle fut fa refolution là-deffus. Je révére, m'écrivit-il, la foi & la pieté de ces bons Centeniers qui vous ont préfenté cette requête, laquelle eft très- digne d'être enterinée, vû qu'elle édifie, non la Synagogue, mais l'Eglife: au reste que je ne la devois pas feulement accorder, mais l'étendre ; & au lieu d'œuf, leur permettre de manger des bœufs : & au lieu de fromage, les vaches mêmes, du lait defquelles on les faifoit.

Vraiment, ajoûtoit-il, vous avez bonne grace de me confulter fur ce que des foldats mangeront en Carême, comme fi la loi de la guerre, & celle de la néceffité, n'étoient pas les deux plus violentes de toutes les loix, & au-deffus de toute exception.

Dieu veuille qu'ils ne faffent rien de pis que de manger des œufs ou des boeufs, des fromages ou des vaches; s'ils ne faifoient pas de plus grands dé fordres, il n'y auroit pas tant de plainte contr'eux.

CHAPITRE XIX.

Ses auftérités, & le foin qu'il prenoit de les cacher.

N

Otre Bienheureux durant fa vie fçut fi adroitement fe fervir de tous les inftrumens de pénitence, & les cacher fi fecretement, que jamais celui qui le fervoit à fon lever & à fon coucher ne s'en apperçut, la feule mort ayant revelé ce miftere, & découvert ce qu'il avoit toujours tenu fi fecret. Une particularité vous fera juger du refte. Un

L

jour fon homme de chambre trouva dans une aiguiere un refte d'eau roufsâtre, & comme teinte de fang; ne pouvant deviner d'où cela venoit, car c'étoit de l'eau qu'il avoit apportée pour laver les mains du Bienheureux; il fit fi bien le guet qu'il s'apperçut que dans cette aiguiere il avoit lavé fa difcipline, qui étoit teinte de fang ; & puis en ayant jetté l'eau, il en refta quelque peu au fond, qui donna lieu à la conjecture.

M

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que

Prédiction du Bienheureux à M. de Belley. E voyant trop difficile à donner des permiffions, ou à accorder des difpenfes, & fans ceffe je l'accablois de confultations à ce fujer: vous me confultez affez pour autrui, me dit-il un jour, mais vous-même en pareil befoin que faitesvous ? je m'y porte, lui dis-je, felon que ma confcience me dicte, y appellant quelquefois au secours l'avis de mon Confefleur ordinaire.

Que ne faites-vous le même pour les autres? Mais ni moi ni mon Confeffeur ne fommes l'Evêque de Genêve.

pas

Et bien, me dit-il, fouvenez-vous qu'un jour viendra que vous confulterez cet Evêque là pour vous-même, & que vous ne le croirez pas fi aifément que vous faites aux confultations qu'il vous répond pour autrui.

Comme je lui proteftois de le rendre mauvais Prophete, & que je le croirois encore plus facilement en ce qui me regarderoit, qu'en ce qui touchoit les autres: notre bon S. Pierre, reprit-il, en difoit bien autant à Notre-Seigneur, vous fçavez pourtant comme il lui tint fa parole.

Souvenez-vous encore que lorfque vous commencerez à être indulgent aux autres, vous deviendrez févere à vous-même ; car c'eft l'ordinaire que ceux qui fe pardonnent trop, font fort rigoureux à autrui; & ce fera alors que l'Evêque de Genève aura plus de confultations de votre part, & qu'il fera la pauvreCaffandre;elle dira vrai,&on ne la croira

pas.

O certes, mon Bienheureux Pere fut Pontife cette année-là, car il prophetifa, & les chofes arriverent précisément comme il me les avoit dites.

CHAPITRE XXI.

Des avantages de la folitude.

Ous entrâmes un jour ensemble dans la cel

Nulle d'un

Chartreux,perfonnage diftingué par

la beauté de fon efprit, & par fa rare piété, & nous y trouvâmes ces deux vers d'un Poëte ancien.

Tu mihi curarum requies, tu nocte vel atra

Lumen, & in folis tu miki turba locis,

Ce qu'on peut traduire ainsi :

Vous êtes mon repos dans les foins les plus rudes ; Dans la plus fombre nuit vous m'êtes un beau jour : Et je fuis avec vous au fond des folitudes

Moins feul qu'au milieu de la Cour.

que

Lá-deffus nous nous mîmes à les glofer: le Bienheureux nous dit Dieu étoit l'unique repos de ceux qui avoient quitté tous les foins du fiécle pour écouter Dieu parlant à leur cœur en la folitude, & que fans cette attention la folitude feroit un long martyre, & une fource d'inquiétudes, plûtôt que le centre de la tranquillité.

Au contraire que ceux qui avoient les follicitudes de Marthe fur les bras, ne laiffoient pas de jouir dans un profond repos de la très bonne part de Marie,

Tibulle.

1

pourvû qu'ils raportaffent tous leurs foins à Dieu. Pjal, 131. 14. Nous vimes auprès, ces paroles du Prophete, Hat requies mea in faculum fæculi, hic habitaboquoniam elegi eam. C'est en Dieu, dit le Bienheureux, plûtôt qu'en une Cellule qu'il faut faire élection de domiPfal. 83. 5. cile pour ne le changer jamais. O que bienheureux font ceux qui habitent en cette maison-là, qui eft non-feulement au Seigneur, mais le Seigneur même, car ils le loueront dans les fiécles des fiécles.

Pjal. 26. 4

Nous en vîmes une autre qui portoit, Unam petii à Domino, hanc requiram, ut inhabitem in domo Domini omnibus diebus vita mea, ut videam voluptatem Domini, & vifitem templum ejus. Cette vraye demeure du Seigneur, dit le Bienheureux, c'est fa fainte volonté,

Nous revînmes à nos vers, & nous arrêtant à ces paroles, tu nocte vel atra lumen, il dit: Jefus naiffant en Béthléem fit un beau jour au milieu de la nuit, & en fon incarnation n'eft-il pas venu éclairer ceux qui étoient affis dans les ténébres, & dans la région de l'ombre & de la mort. Certes il eft notre lumiére & notre falut, & quand nous marcherions au milieu de l'ombre de la mort, nous n'aurions rien à craindre, fi nous l'avions à nos côtés. Il est la lumiere du monde, il habite une lumiere inacceffible, lumiere que les ténèbres ne peuvent ni di

minuer ni effacer.

Et in locis tu mibiturba locis. Oüi, certes, dit-il, la converfation avec Dieu dans la folitude, vaut mieux que la foule qui preffe la porte des Grands du monde, lefquels ne peuvent maintenir leur grandeur que dans la foule des affaires, dans l'oppreffion des importunités, & dans la perte de leur repos. Miférable grandeur qui s'acquiert & fe conferve par tant de peines, & que l'on

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