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fi franchement de ce qui lui pefe fur le cœur, & qui expofant fi ouvertement fes playes, en rend la cure fiaifée. Cette action ne me femble pas feulement aimable, mais je la regarde comme héroïque, & procédant d'une force qui n'eft pas commune, Vous ne faites pas comme les gens du monde, qui font bonne mine & mauvais jeu. Enfuite il fui qui montra fi clairement l'injuftice de fa cause, & la raifon de fa partie, qu'elle fut contrainte de donner gloire à Dieu, & de dire qu'elle avoit gagné en perdant.

Mais pourtant, ajoûta-t-elle, cela n'empêche pas que je n'aye moins d'eftime de vous que je n'avois auparavant, car j'ai vû le tems que je vous tenois pour un Saint.

Et vous aviez tort alors, répondit le Bienheureux: car je vous affure, en vraie vérité & fans humilité, que je fuis bien éloigné de la réputation que mes amis me prêtent; mais c'eft qu'ils me fouhaitent tel, qu'ils me difent être, tant ils ont de défir que je fois tel.

Maintenant que vous n'avez plus fi bonne opinion de moi, je n'ai garde que je ne vous en aime davantage; car vous êtes de mon parti, & de mon avis. Ceux qui me flattent par leurs applaudiffemens, me trompent, fe trompent eux-mêmes, étant contraires à la vérité, & m'expofent au danger de la préfomption & de la perte de mon ame; mais ceux qui me mefeftiment, font ce que je dois faire, m'enfeignant l'humilité par effet, & me mettent en la voye du falut; car il eft écrit que Dieu fauvera les humbles de cœur.

En un mot j'aime mieux les bleffures de celui qui me dit la vérité, que les baifers de celui qui me Aate.

Pfal 140. 5.

pour

Le jufte me reprendra & me corrigera avec charité, mais le pécheur ne me parfumera point, & ne m'engraiffera point la tête. Voilà les raifons lefquelles, comme vous me faites plus de bien, je vous dois aimer, & vous aime effectivement davantage.

CHAPITRE VII I.

De l'ennemi reconcilié.

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ne faut L n'aprouvoit point ce proverbe, qu'il ne faut plus veritable la maxime contraire, & difoit que les courroux entre les amis n'étoient que des moyens pour redoubler leur amitié, les comparant à l'eau dont fe fervent les forgerons pour allumer davantage leur brafier & de fait l'expérience enfeigne que le le calus qui fe forme autour des os caffés eft fi fort, qu'ils fe rompent enfuite en un autre endroit plûtôt qu'en celui de leur premiere brifure.

Il arrive affez fouvent que ceux qui font reconciliés renoüent de plus fortes affections qu'auparavant; les offenfans, fe gardant de la rechûte, & tachant de réparer leur faute paffée par quelque service fignalé; & les offenfés faifant gloire de pardonner &d'en sevelir dans l'oubli le tort qui leur a été fait.

On voit que les Princes gardent bien plus foigneufement des places reconquifes, que celles qui n'ont jamais été forcées, ni prifes par leurs ennemis.

CHAPITRE IX.

De la continence des yeux.

N parloit un jour d'une Dame de fon pays & fa parente; & comme on disoit & comme on difoit que c'étoit la plus belle femme de cette contrée, il fe tourna vers moi & me dit, je l'ai déja oüi-dire à plufieurs.

Je lui répondis affez brufquement, vous la voyez fort fouvent, elle eft votre parente d'affez proche, en parlez-vous ainfi fur le rapport d'autrui ?

Il me repliqua avec une fimplicité merveilleuse : Il eft vrai que je l'ai vûë fouvent & que je lui ai parlé beaucoup de fois, mais je vous promets que je ne l'ai pas encore regardée.

Mon Pere, lui dis-je, comment faut-il faire pour voir les gens fans les regarder ?

Voyez-vous, cette parente eft d'un fexe qu'il faut voir fans le regarder. Il le faut voir fuperficiellement & en général, pour diftinguer que c'eft une femme à qui on parle, & non pas un homme, & fe tenir fur fes gardes pour ne la regarder pas fixement & d'un regard arrêté & trop difcernant?

Cela me fit fouvenir de ce que dit Job, qu'il avoit Ch. 31. v. 1. fait un pacte avec les yeux, pour ne penfer pas même à une Vierge, de peur que fon œil ne ravageât fon ame; & de ce que fit Alexandre, ne voulant pas voir la femme du Roi de Perfe, qu'il tenoit prifonniere avec fon mari, ni les filles de fa fuite, difant que les Dames Perfanes faifoient mal aux yeux. Notable exemple de modération dans un Prince payen, craignant que l'incontinence ne lui dérobât l'honneur de fa victoire.

Saint Ambroise donnant des avis à une Vierge pour la confervation de fa virginité, lui confeille de ménager foigneufement fes regards, de peur que les larrons, c'eft-à-dire, les mauvaises pensées & les mauvais defirs n'entraffent en fon ame par ces fenêtres. Que vos yeux, lui dit-il, fe portent in differemment fur les hommes fans s'arrêter fur aucun. Cela, n'eft-ce pas voir fans regarder, comme faifoit notre Bienheureux ?

Dans une autre occafion, comme l'on parloit d'une autre Demoifelle, qu'un Seigneur de marque avoit épousée pour fa beauté : J'ai oui dire, dit-il, qu'elle eft fort fpécieuse, mais je ne la vis jamais.

Dites, mon Pere, que vous ne l'avez jamais regardée.

Non, reprit-il en fouriant, je ne me souviens point de l'avoir vûë.

Mais pourquoi, repris-je, vous fervez-vous du mot de fpécieuse? je ne fçais'il eft favoyard, mais il n'eft pas trop françois.

Il n'eft, me dit-il, ni françois, ni favoyard, mais il eft fort eccléfiaftique; car quand des perfonnes comme nous parlent de ce fexe, il me femble que ces mots de beau, de belle, de beauté, ne font pas féans en leur bouche; parce qu'ils accufent en quelque façon le jugement de leurs yeux, & qu'il eft à propos de les moderer par des termes plus modeftes

& moins ordinaires.

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CHAPITRE X.

Madeleine au pied de la Croix.

OTRE Bienheureux avoit une révérence particuliere pour le tableau de la fainte pénitente Madeleine au pied de la Croix, & l'appelloit quelquefois fon livre & fa bibliotheque.

O, difoit-il une fois, voyant ce tableau dans ma maifon à Belley, ô que cette Pénitente fit un heureux & avantageux trafic ! elle donna des larmes aux pieds de Jefus-Chrift, & voilà que ces pieds lui rendent du fang, mais du fang qui lave toutes les fautes.

Il ajouta à cette pensée cette autre : Que nous devons bien chérir les petites vertus qui croiffent au pied de la Croix, puifqu'elles font arrofées du propre fang du Fils de Dieu.

Et quelles font ces vertus-là lui dis-je.

Ce font, reprit-il, l'humilité, la patience, la douceur, la bénignité, le fupport du prochain, la condefcendance, la fuavité du cœur, la débonnaireté, la cordialité, la compaffion, le pardon des offenfes, la fimplicité, la candeur, & autres femblables. Ces vertus-là font comme les violettes qui fe plaisent à la fraîcheur de l'ombre, qui fe nourriffent de la rofée, & qui, quoique de peu d'éclat, ne laiffent pas de répandre une bonne odeur.

Y en a-t-il donc d'autres au haut de la Croix, lui dis-je ?

Beaucoup, reprit-il, ce font celles qui ont un grand luftre, quand elles font accompagnées d'une notable charité: telles font la prudence, la juftice, la magnificence, le zele, la libéralité, l'aumône, la

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