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HUITIEME PARTIE.

CHAPITRE PREMIER.

De l'obéiffance.

'EXCELLENCE de l'obéiffance ne confifte

à fuivre les volontés d'un Superieur doux & gracieux, qui commande par prieres plûtôt que comme ayant autorité ; mais à plier fous le joug de celui qui eft févere, rigoureux & impérieux.

C'étoit le fentiment de notre Bienheureux; & quoiqu'il defirât que ceux qui conduifent les ames les gouvernaffent en peres, non en maîtres, plûtôt par exemple que par domination, & que lui-même gouvernât de cette façon avec une douceur nompa reille; néanmoins il vouloit un peu de verdeur en ceux qui font en fuperiorité, & il défaprouvoit dans les inferieurs cette tendreffe fur eux-mêmes, qui les rendoit impatiens & peu endurans.

Pour infinuer fon fentiment, il fe fervoit de ces comparaifons. La lime rude ôte mieux la rouille & polit davantage le fer, qu'une plus douce & moins mordante. Voyez-vous comme l'on fe fert de chardons fort aigus pour gratter les draps & les rendre plus liffés & plus fins, & avec combien de coups de marteaux on rend fine la trempe des meilleures lames d'épées.

L'indulgence des Superieurs eft caufe quelquefois, quand elle eft exceffive, de beaucoup de dé

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fordres dans les inferieurs. On ôte le fucre aux enfans, parce qu'il leur engendre des vers.

Quand un Superieur commande avec tant de douceur, outre qu'il met fon autorité en compromis & la rend méprifable, il attire tellement à lui la bienveillance de fes fujets, que fouvent fans y penfer il la dérobe à Dieu; de maniere qu'ils obéiffent à l'homme qu'ils aiment & parce qu'ils l'aiment, plûtôt qu'à Dieu er l'homme, & parce qu'ils aiment Dieu. C'est la douceur du commandement qui donne infenfiblement ce change.

Mais la févérité d'un Superieur rigoureux éprouve bien mieux la fidelité d'un cœur qui aime Dieu tout de bon; car ne trouvant rien de fuave dans ce qui eft commandé que la douceur du divin amour, pour lequel feul on obéit, la perfection de l'obéiffance eft d'autant plus grande que l'intention eft plus pure, plus droite & plus immédiatement portée à Dieu.

Notre Bienheureux ajoutoit cette comparaison. Obéir à un Superieur farouche, chagrin, de mauvaife humeur, & à qui rien ne plaît; c'eft puifer l'eau claire dans une fontaine qui coule par la gueule d'un lion de bronze. C'eft, felon l'énigme de Samfon, tirer la viande de la gorge de celui qui dé vore: c'eft ne regarder que Dieu dans le Superieur, quand même il lui feroit dit pour notre égard com47. 10. 13. me à S. Pierre: Tue & mange.

CHAPITRE II.

De la fcience, & de la confcience.

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ERTES, la fcience eft un grand ornement pour la piété, ce que nous montrent les exemples des anciens Peres & Docteurs de l'Eglife, qui ont joint le fçavoir avec une exquife vertu : mais s'il faut comparer l'une à l'autre, il n'eft perfonne qui ne préfere la bonne conscience à la fcience la plus exquife, & la charité qui édifie à la science qui enfle.

Comme on loüoit un jour en présence de notre Bienheureux un Pafteur pour fa bonne vie, & que l'on blâmoit fon défaut de science, il dit : Il eft vrai que la science & la piété font les deux yeux d'un Eccléfiaftique, mais comme on ne laiffe pas de recevoir aux Ordres ceux qui n'ont qu'un œil, principalement s'ils ont celui du Canon ; auffi un Curé ne laiffe pas d'être un ferviteur propre au Ministere, pourvu qu'il ait l'œil du Canon ; c'est-à-dire, la vie exemplaire & canonique, c'est-à-dire, bien reglée.

Il eft vrai, ajoutoit-il, qu'il y a un certain degré d'ignorance craffe & fi groffiere, qu'elle eft inexcufable, & qu'elle rendroit un aveugle conducteur d'un autre aveugle; mais quand on loüe la piété d'un homme, c'est figne qu'il a la vraie lumiere qui le mene à Jefus-Christ. S'il n'a pas ces grands talens de fçavoir & d'érudition qui le faffent éclater dans la chaire, c'est affez qu'il puiffe, comme l'Apôtre Ad Tit. 1. 9. difoit, exhorter en faine doctrine, & reprendre ceux qui s'égarent de leur devoir. Voyez, disoit-il, que Dieu fait enfeigner le Prophete Balaam par fa Num. 22. 28, propre monture.

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C'eft ainfi que fa charité couvroit adroitement les défauts du prochain, & par-là nous apprenoit à eftimer davantage une once de bonne confcience, que plufieurs livres de la fcience qui enfle.

CHAPITRE I I I.

Patience dans les douleurs.

Laffiftoit un jour une perfonne extrêmement malade, & qui non - feulement faifoit paroître, mais avoit en effet une prodigieufe patience parmi des douleurs exceffives. Elle a trouvé, dit le BienJudic. 14. 8. heureux, le rayon de miel dans la gorge du lion.

Mais parce qu'il aimoit les vertus folides & vraiment parfaites, il voulut fonder fi cette patience étoit chrétienne, & fi cette perfonne enduroit purement pour l'amour de Dieu & fa gloire, & non pour l'eftime des créatures; il commença donc à louer fa conftance, à exagerer fes fouffrances, à admirer fon courage, fon filence, fon bon exemple, fçachant que par ce moyen il connoîtroit les vrais fentimens de fon cœur.

Il ne fut pas trompé ; car cette perfonne vraiment vertueufe, & pourvûë de certe patience dont l'EcriJac. 1. 4. ture dit que l'œuvre eft parfaite, lui dit auffi-tôt :

Mon Pere, vous ne voyez pas les revoltes de mes fens & de la partie inferieure de mon ame: certes, tout y eft en défordre & fens-deffus-deffous; & fi la grace de Dieu & fa crainte ne faifoit une fortereffe dans la partie fuperieure, il y a long-tems que la défection feroit générale & la révolte univerfelle. Représentez-vous que je fuis comme ce Prophete que l'Ange portoit par un cheveu, ma patience ne tient

A

qu'à un petit filet; & fi Dieu ne m'aidoit puiffam- Ezech. 8. 3. ment, je ferois déja habitante de l'enfer. Ce n'est donc

Dan. 14. 35.

Pfal. 93. 7.

pas moi, mais la grace de Dieu en moi, laquelle me fait 1.Cor. 15. 10. tenir fi bonne contenance. Tout mon jeu n'est de ma part que feinte & hypocrifie. Si je fuivois mes propres mouvemens, je crierois, je me débattrois & dépitterois, je murmurerois & maudirois ; mais Dieu bride mes lévres avec un frein qui fait que je n'ose me plaindre fous les coups de sa main, que j'ai appris par fa grace à aimer & à honorer.

Le Bienheureux fe retirant d'auprès de cette perfonne, dit à ceux qui le reconduifoient: Elle a la vraie patience chrétienne. Nous avons plus à nous réjouir de fes douleurs qu'à la plaindre; car cette vertu ne fe perfectionne que dans les infirmités. 2. Cor. 12.9. Mais avez-vous pris garde comme Dieu lui cache la perfection qu'il lui donne, dérobant cette connoiffance à fes yeux ? La patience n'eft pas feulement courageufe, mais amoureuse, mais humble, & femblable au pur baume qui va au fond de l'eau, quand il n'eft point mêlangé. Mais gardez bien de lui rapporter ce que je viens de vous dire, de peur qu'elle n'en prenne vanité, & que cela ne gâte en elle toute l'economie de la grace, dont les eaux ne coulent que dans les vallées de l'humilité. Laiffez-la poffeder paifiblement fon ame en fa patience, elle Luc. 21, 19. eft en paix en cette amertume très-amere.

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