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Il faut vous dire que notre Bienheureux étoit tellement porté pour les hôtelliers, que quand il faifoit voyage, il défendoit fort expreffement à fes gens de contefter avec eux fur le prix qu'ils demandoient, & de fouffrir plûtôt toute forte d'injuftice que de les mécontenter; & quand on lui difoit qu'ils étoient tout-à-fait déraisonnables, & qu'ils vendoient les denrées au double & au triple; ce n'eft pas cela feulement, difoit-il, qu'il faut eftimer; mais pour combien comptez- vous leur foin, leur peine, leurs veilles, & la bonne volonté qu'ils nous témoignent; certes on ne peut trop payer tout cela.

Cette bonté de notre Bienheureux étoit caufe, outre la réputation de fa piété qui étoit fi univerfelle, qu'affez ordinairement les hôtelliers qui le connoiffoient, ne vouloient pas compter avec fes gens, & fe remettoient pour leur falaire à fa difcretion, qui étoit telle, qu'il leur taxoit presque toûjours plus qu'ils n'euffent demandé,

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De l'efprit de pauvreté dans les richesses, & de l'efprit de magnificence dans la pauvreté.

Ecr fe voir en deux exemples oppofés de Saint Charles Borromée & du Bienheureux, François de Sales. S. Charles étant neveu du Pape avoit Pie . été fort enrichi par fon oncle, & l'on tient qu'il avoit plus de cent mille écus de rente, outre fon patrimoine qui étoit confidérable : néanmoins parmi ces grands biens, il avoit l'efprit de pauvreté ; car outre qu'il n'avoit ni tapifferies, ni vaiffelle d'argent, ni

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meubles précieux, fa table même pour les hôtes étoit fi frugale, qu'elle donnoit jufque dans l'austérité : car pour fa perfonne le pain & l'eau, & quelques légumes étoient fa nourriture ordinaire. Les coffres où il ferroit fes tréfors, étoient les mains les pauvres ; & ainfi il étoit pauvre parmi fes richeffes.

L'efprit de notre Bienheureux étoit different, car il avoit celui de magnificence dans fa pauvreté, qui étoit affez connuë, par le peu qui lui reftoit du revenu de fon Evêché; car pour fon patrimoine il-en laiffoit l'ufage à fes freres.

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Il ne rejettoit ni la tapifferie ni la vaiffelle d'argent, ni les beaux meubles, fpecialement ceux qui regardoient le fervice de l'autel, car il avoit fort à cœur l'ornement & l'embelliffement de la maison de Dieu.

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Il a quelquefois reçû dans fa maifon de grands Seigneurs avec tant d'éclat › que l'on s'étonnoit comment avec fi peu de bien il pouvoit faire de fi grands chofes ; tâchant en tout de relever fon miniftere; & feulement pour la gloire du Maître qu'il fervoir.

Je l'ai vû quelquefois fe contrifter de ce que les Princes & les Souverains ne regardoient les Evêques, que comme leurs vaffaux: fans confiderer qu'ils étoient leurs Peres & Pafteurs, pour le fpirituel; ce qui eft bien au-deffus de tout le temporel. On me demande lequel eft préferable de ces deux Efprits.

. ci-devant. Je réponds avec un ancien Philofophe, que celuilà eft magnanime qui ufe de plats de terre comme s'ils étoient d'argent; ayant le cœur fi bon qu'il fait de néceffité vertu, étant auffi fatisfait dans la difette que dans l'abondance: mais il eftime celui-là avoir

un plus grand courage qui fe fert de plats d'ar

gent, & en fait auffi peu d'état que s'ils étoient de
terre. Le premier eft riche en imagination, le fecond
eft vraiment pauvre d'efprit; les richesses étant auffi
peu attachées à fon cœur, que
les peaux de Jacob à
les mains & à fon col..

C'eft ce que le grand Apôtre exprimoit, quand il difoit, je fçai abonder & fouffrir la difette, également Philip. 4. 12. content de l'un & de l'autre état.

CHAPITRE IX.

Frugalité d'un grand Prélat.

ONSIEUR l'Archevêque de Lyon qui fut

M depuis Cardinal de Marquemont, ayant à

conferer avec notre Bienheureux, touchant quelques affaires qui regardoient la gloire de Dieu dans le fervice de l'Eglife, & même l'institut de la Vifitation, ils fe donnerent rendez-vous en ma maison à Belley, qui étoit prefque au milieu du chemin de leur réfidence; car Belley n'eft diftant de Lyon que de dix lieuës, & d'Anneffy de huit.

J'eus le bonheur d'être leur hôte l'espace de huit ou dix jours, durant lefquels j'eus le moyen, fi j'en euffe été bien foigneux, de me garnir de beaucoup d'exemples de vertu. Ils honorerent tous deux la chaire de notre Cathédrale de leurs prédications, notre office de leurs préfences, & nos autels de leurs facrifices quotidiens, à la grande édification de tout le monde.

Ce qui les fâchoit, & ce qui me fâchoit encore plus, étoit la plainte qu'ils faifoient qu'on les traitât trop bien, tandis, comme je leur représentois que cela ne me coûtoit prefque rien, chacun me donnant prefque plus qu'il ne ne falloit pour les traiter; Clergé, Nobleffe, & peuple concourrant à l'envi

à qui contribueroit quelque chofe au service de la table de ces deux tant illuftres Prélats. Si vous vous en allez, leur disois-je, on ne me donnera plus rien, c'est vous qui me faites bonne chere ; vous abfens, adieu les jours de fertilité.

Un jour, après le repas, comme ils me conjuroient de retrancher un peu de ce qui leur paroiffoit fuperflu, & que je les traitaffe comme S. Charles traitoit les Evêques qui palloient par Milan, & l'alloient vifiter: Je ne fçai pas, leur dis-je, comment les traitoit S. Charles, lequel partit de ce monde le même jour que j'y entrai, mais je vous dirai bien comme les traite fon coufin & fon fucceffeur M. le Cardinal Frederic Borromée à préfent Archevêque de Milan; car j'ai mangé plufieurs fois à fa table, en divers voyages que j'ai fait en Italie. Ils me prierent de leur en faire le récit.

Vous fçaurez premierement que c'est un Prélat que l'on tient riche de cinquante mille écus de rente, de quoi il fait de fi grandes chofes pour le fervice de l'Eglife & le foulagement des pauvres, qu'on le croiroit avoir les richeffes de Crefus. La fondation admirable de cette grande Bibliotheque Ambroifienne, n'eft qu'un échantillon de fa magnificence. Mais pour ce qui regarde fa perfonne, fa maison, & fa table, vous allez entendre une frugalité qui vous étonnera. Vous fçavez mieux que moi, ce que c'eft que la Parte que le Pape, les Cardinaux & les Prélats d'Italie, tant à Rome qu'ailleurs, donnent à leurs domestiques; telle eft celle de la famille du Cardinal dont je parle.

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Pour ce qui concerne fa perfonne & fa maison, je veux dire fes vêtemens & fes meubles, vous n'y

*La Parte eft en Italie une portion de pain & de vin qu'on donne chaque jour à un eftaffier ou autre domeftique chez les Cardinaux & Prélats.

voyez que le fimple néceffaire. Un jour me parlant du réglement de réformation du Concile de Trente touchant les maisons des Evêques, il fe plaignoit de ce qu'il étoit fi mal obfervé, & de ce que l'on n'y voyoit pas frugalem menfam & pauperem fuppellectilem. Il foupiroit de ce que les pauvres étoient nuds à leurs portes, & leurs murailles infenfibles revêtuës de riches tapifferies; & de ce que leurs tables régorgeoient de viandes fuperfluës, & encore de ce que ce fuperflu n'étoit diftribué aux pauvres, Comme ils me preffoient de leur expliquer la maniere & la matiere de l'un de fes repas, je leur en décrivis un célébre fait en un jour remarquable. Nous l'avions affifté Monseigneur l'Evêque de Vintimigle & moi durant la Meffe Pontificale qu'il célébra dans fon Eglife Métropolitaine au jour de la Fête de S. Charles Borromée le 4. Novembre l'an 1616. je revenois alors de Rome. Il nous retint à diner, & avec nous le Comte Charles Borromée.

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En toute fa maison l'on ne voyoit aucune tapifferie, niaucun meuble de foye. Quelques tableaux de pieté en divers endroits fur les murailles toutes nuës, mais fort blanches & nettes. Les affiettes, la faliere, les plats, tant à laver que les autres, & les aiguieres,tout étoit de terre blanche,appellée fayence. Il n'y avoit que la feule cuilliere qui fût d'argent, les fourchettes n'étoient que d'acier fort luifant, & les coûteaux pareillement.

Après la bénédiction de la table faite felon le Breviaire Romain, nous prîmes nos places. L'un des Aumôniers commença à lire un Chapitre de l'Evangile, & continua fa lecture jufqu'à la moitié du repas qui ne fut interrompuë de perfonne. Nous demeurâmes quelque-tems à écouter avant que l'on fervît aucune chose.

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