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Le premier fervice fut à chacun fa portion égale comme aux tables conventuelles, & l'on nous donna pour entrée deux plats à chacun, l'un de cinq ou fix cuillerées de ce que l'on appelle en Italie, vermicelli, qui eft comme du ris ou de la bouillie, jaunie avec un peu de faffran ; l'autre plat étoit un petit poulet bouilli, flottant dans un peu de broüet; je l'appelle petit, parce qu'il étoit d'une taille au-deffous des médiocres. Voila notre entrée, ou notre premier fervice.

Le fecond qui étoit comme le corps du festin, fut auffi de deux plats devant chacun de nous; le premier chargé de trois boulettes de chair hachée avec des herbes, groffes comme trois œufs pochés à l'eau, & dans l'autre une grive accompagnée d'une orange. Voilà le gros du banquet.

Au troifiéme fervice, nous eûmes encore chacun deux plats de deffert, dont l'un contenoit une poire crue, toute pelée, d'une groffeur au deffous des moyennes, & d'une ferviette dans l'autre, que je me figurai être pour effuyer les mains après le repas: mais m'écant apperçû que M. de Vintimigle foüilla dans la fienne, & en avoit tiré un petit morceau de fromage de Milan, gros comme un teston, j'estimai que faifant l'inventaire de la mienne j'y trouverois une femblable pitance; je ne fus pas trompé, & la ferviette, cela étant expédié, nous demeura pour l'ufage que je m'étois imaginé: on nous verfa de l'eau, où il y avoit quelque fenteur, comme de rofe ou de fleur d'orange.

Voilà, non pas le fommaire ni l'abregé, mais la narration entiere du feftin, qui nous fut fait en cette fête fi célébre, où je m'affure, leur dis-je, que vous ne trouverez rien de fuperflu, ni qui pûr exciter des fumées ou vapeurs capables d'offufquer le cerveau,

&

& empêcher que l'on ne difcourût fort clairement & commodément après le repas.

Là-deffus je demandai à ces Meffieurs s'il leur plaifoit que je les traitaffe à la Borroméenne, à quoi ils me répondirent qu'ils me prioient de confiderer que de deçà les monts nous avions des eftomacs qui ne prenoient pas plaifir d'être armés fi à la légere, mais auffi qu'il ne falloit pas que je les fuffocaffe de tant de viandes, comme l'on avoit fait jusqu'alors.

M. de Marquemont releva ce narré d'un autre qu'il avoit vû à Rome. Un de nos Cardinaux François, que je ne veux pas nommer, Prélat de vértu & de piété non vulgaire, s'avifa un jour, étant à Rome, d'inviter à manger le Cardinal Bellarmin; & parce qu'il connoiffoit le mérite & la fainteté du perfonnage, il crut lui agréer davantage de le traiter à la façon de S. Charles Borromée, que de lui faire un feftin à la Françoife.

Il le reçut donc avec une frugalité extraordinaire, de laquelle lui voulant faire compliment après le repas, il lui dit, que connoiffant fa piété, il avoit penfé lui faire plaifir en le recevant ainfi domestiquement & familierement.

Le Cardinal Bellarmin', qui étoit d'humeur fort gaie, fur ces mots de domefticité & de familiarité, ne répondit autre chose, finon, Assay, Monsignor illuftriffimo, affay, qui veut dire, affez domestiquement & familierement fuivant cette langue, c'est-àdire, un peu trop.

Notre Cardinal, qui entendoit mieux le François que l'Italien, fut fort content, eftimant que cet affez, affez, témoignoit par cette répetition qu'il n'y en avoit que trop, & s'excufant, promit, s'il lui faifoit pareil honneur, de diminuer la dose & de le traiter même au-deçà de l'ordinaire.

Q

Notre Bienheureux,qui avoit auffi l'humeur gaie, voulut y contribuer fon écot par cette gracieufe hiftoire. Comme j'étois à Rome, dit-il, il y arriva un nouvel Ambaffadeur de France, lequel n'ayant pas encore pris de cocher Italien, & qui fçût les coutumes de Rome, qui eft d'arrêter le caroffe quand un Cardinal paffe, lequel fait auffi arrêter le fien pour faire compliment aux Ambaffadeurs, Prélats ou Seigneurs qui lui font honneur, il arriva qu'un Cardinal Napolitain vint à paffer en caroffe comme M. l'Ambaffadeur alloit dans le fien par la Ville.

Quelques Cavaliers François, façonnés à la Cour de Rome, qui accompagnoient M. l'Ambassadeur, commencerent à crier au cocher, ferme cocher ferme, ferme, qui en langage Italien veut dire, arrête. Le cocher François qui s'imagina qu'on lui difoit d'aller plus vîte, fouetta fes chevaux de fi bonne façon, qu'ils fe mirent à courir à toute bride. Tous ces Cavaliers crioient, ferme, ferme, & le cocher de fouetter encore plus ferme.

Le Cardinal le voyant courir de la forte fans faluer ni rendre aucun honneur, s'imagina que c'étoit une algarade qu'on lui faifoit, & une espece de bravade.

Il fallut en venir aux excufes. M. l'Ambaffadeur

dépêcha promptement vers lui un de fes Gentilhommes, qui lui dit tout fimplement d'où venoit le malentendu, & que le cocher François ayant compris qu'on lui crioit ferme, avoit fouetté fi fermement fes chevaux, qu'ils avoient pris la courfe, & que ce mot de ferme, en François, vouloit dire, allez fermement & promptement.

Le Cardinal reçut cette excufe tellement quellement, eftimant qu'il falloit recevoir de mauvais payeurs toute forte de monnoie, & comme il s'en

plaignoit, il fallut s'éclaircir de cela. D'autres Cardinaux qui fçavoient notre langue, l'affurerent que l'excufe étoit très-bonne, & la faute innocente; le Cardinal répondit froidement, y Francefi hanno ogni cofa à la roverscia, & la lingua, comme il cervello. Les François ont toutes choses à la renverse, & la langue auffi-bien que la tête.

Un Cavalier qui étoit en la compagnie, ajouta qu'il n'étoit pas bien féant à un Italien de parler de tenverfe, qu'ils ont en ce pays-là des médailles dont les revers ne valent gueres mieux, & qu'ils font de dangereux joueurs de reverfis.

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De la Paffion de Notre-Seigneur.

'E'TOIT la pensée de notre Bienheureux, qu'il

C'y avoit point de plus preffant aiguillon pour

nous faire avancer dans le faint amour, que la confidération de la mort & des fouffrances de NotreSeigneur. Il l'appelloit le plus doux & le plus violent de tous les motifs de piété.

Et comme je lui demandois comment il pouvoit joindre la douceur avec la violence.

En la même maniere, me répondit-il, que l'Apôtre dit, que la charité de Dieu nous preffe. En la 2. Cor. 5. 14. même maniere que le Saint-Efprit nous apprend dans le Cantique, que l'amour eft fort comme la mort, Ch. 8. v. 6. &âpre au combat comme l'enfer. On ne sçauroit nier, me dit-il, que l'amour ne foit la douceur des douceurs, & le fucre de toutes les amertumes; néanmoins voyez comme il eft comparé à ce qu'il y a de plus violent, qui eft la mort & l'enfer. La raifon en

eft, que comme il n'y a rien de fi fort que
la dou-
ceur, il n'y a auffi rien de plus doux ni de plus ai-
mable que fa force.

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Il n'y a rien de plus doux que l'huile & le miel mais quand ces liqueurs font boüillantes, il n'y a point d'ardeur pareille. Rien auffi de plus doux que l'abeille, mais quand elle eft irritée, rien de plus perçant que fon aiguillon.

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Jefus en croix eft le lion de la Tribu de Juda & Judic. 14. 8. l'énigme de Samfon, dans les plaies duquel fe trouve V. 14. le rayon de miel de la plus forte charité, & c'est de cette force que fort la douceur de notre plus grande confolation : & certes comme la mort du divin Rédempteur eft le plus haut effet de fon amour envers nous, ce doit être auffi le plus fort de tous les motifs de notre amour envers lui. Ce qui faifoit dire à S. Bernard : O Seigneur ! Hé je vous fupplic que la force embrafée & emmiellée de votre amour crucifiant abforbe mon cœur, afin que je meure pour l'amour de votre amour, ô Rédempteur de mon ame, qui avezdaigné mourir pour l'amour de mon amour.

Luc. 9. 31.

C'eft de cet excès d'amour,qui ôta la vie à l'amant de nos ames fur la montagne du Calvaire, que parloient Moyfe & Elie fur celle du Thabor parmi la gloire de la Transfiguration, pour nous apprendre que même dans la gloire célefte, dont la Transfiguration n'étoit qu'un échantillon, après la confidération de la bonté de Dieu contemplée & aimée en elle-même & pour elle-même, il n'y aura point de plus puiffant motif d'amour envers le grand Sauveur que le fouvenir de fa mort & de fes douleurs. C'est que dans ce fouvenir que les Anges & les Saints chantent Apoc. 51. 2. ce Cantique: L'Agneau qui a été mis à mort eft digne de recevoir vertu, divinité, fagesse, force, honneur, gloire & bénédiction.'

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