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CHAPITRE XVI,

Sa réfignation.

OM ME l'Evêque de Geneve fongeoit à faire notre Bienheureux fon Coadjuteur, notre Bienheureux tomba malade, & vint à une telle extrêmité, que les Médecins défefpererent de fa vie.

On lui annonça le danger où il étoit ; ce qu'il reçut d'un front auffi ferein que s'il eût vu les Cieux ouverts prêts à le recevoir.

Notre Saint, indifférent à la mort, à la vie, ne difoit autre chofe, finon : Je suis à Dieu; qu'il faffe de moi felon fon bon plaifir.

Et comme on difoit une fois devant lui, qu'il devoit fouhaiter de vivre, finon pour le fervice de T'Eglife, au moins pour faire pénitence.

Čertes, dit-il, tôt ou tard il faut mourir, & en quelque tems que ce foit nous aurons toujours befoin de la grande miféricorde de Dieu. Autant vaut tomber ès mains de fa clémence aujourd'hui que demain. Il est toujours lui-même plein de bonté, & riche en miféricorde fur ceux qui l'invoquent, & nous toujours mauvais. Qui a plûtôt confommé fa courfe, a moins de compte à rendre. Je vois que l'on me veut charger d'un fardeau, qui n'eft pas moins redoutable que la mort, & fi le tout étoit réduit à mon opinion, j'aurois bien de la peine à choisir; il vaut mieux s'en remettre au foin de la Providence; il vaut mieux dormir fur le fein de Jefus-Chrift, que veiller par-tout ailleurs. Dieu nous aime, il fçait ce qu'il nous faut, mieux que nousmêmes; foit que nous vivions, foit que nous mourrions, Rom. 14, 8.

Apoc. 1. 18. nous fommes au Seigneur. Il a les clefs de la vie & de Pfal. 24. 3. la mort ; ceux qui efperent en lui ne font jamais conJean. 11. 16. fondus, allons nous autres, & mourons avec lui.

Et comme on lui difoit que c'étoit dommage qu'il mourût en la fleur de fon âge; car il n'avoit alors que trente-cinq ans.

Notre-Seigneur, dit-il, eft mort encore plus jeub. 14. 5. ne. Le nombre de nos jours eft devant lui. Il fçait cueillir les fruits qui lui appartiennent en toute forte de faifons.

Ne nous amufons point à tant de circonftances, ne regardons que fa très-fainte volonté. Que ce foitlà notre belle étoille, elle nous conduira à JesusChrist, foit en la creche, foit au calvaire. Quiconque le fuit ne marchera pas dans les ténebres, mais Joan. 8. 12. il aura la lumiere de la vie éternelle, qui ne fera plus fujette à la mort.

4.Tim. 6.6.

C

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Son amour de la pauvreté.

'EST un grand revenu, dit la fainte Parole, que la piété qui fe contente de ce qui fuffit. Aufsi notre Bienheureux fçavoit-il fe contenter du peu qui lui reftoit du revenu de fon Evêché.

N'eft-ce pas encore beaucoup, difoit-il, que douze cens écus de rente? Ne font-ce pas de beaux reftes ? Les Apôtres qui étoient bien plus excellens Evêques que nous ne sommes, n'en avoient pas tant. Nous ne méritons pas de fervir Dieu à notre folde. Plût à Dieu que nous fuffions encore privés de ce refte, & que la Religion Catholique eût autant d'entrée à Geneve qu'elle en a à la Rochelle, & que

nous y euffions comme là une petite Chapelle, (c'é-
toit beaucoup d'années devant fa prife qu'il me di-
foit cela) dans peu de tems elle y feroit un grand
progrès. Il y a plus de difpofition dans le peuple que
l'on ne penfe, & la raifon d'Etat, couverte d'une
imaginaire liberté, y regne plus que
, y regne plus que celle de la Re-
ligion.

Il logeoit à Anneffy dans une fort belle & ample maifon, qu'il tenoit à loyer. Son appartement étoit très-beau, & il s'avifa de fe loger dans une petite chambre obfcure & affez mal plaifante ; & il appelloit cette chambre, la chambre de François ; & celle où il recevoit le monde, la chambre de l'Evêque.

Ce qui me fait fouvenir de faint Charles Borromée, qui avoit une petite cellule au haut de fon Palais à la façon de Judith, où il fe retiroit pour prier, c. 8. v, 1& où il couchoit fur la paille, appellant cette cellule la chambre de Charles, & celle qui étoit ouverte à ceux qui le demandoient, la chambre du Cardinal.

Il me dit un jour, en me montrant un habit qu'on lui avoit fait, & qu'il avoit fous fa foutane; mes gens font de petits miracles, car avec une vieille robe, ils m'ont fait cet habit tout neuf; ne m'ont-ils pas fait bien brave?

Ce miracle, lui dis-je, femble enchérir sur celui Deut. 29. 5. des enfans d'Ifraël, dont les habits ne s'uferent point durant quarante ans qu'ils demeurerent au defert; car ceux-ci renouvellent les ufés.

Quelquefois fon œconome fe plaignoit qu'il n'y avoit plus d'argent.

De quoi vous fâchez-vous, lui difoit-il, nous en fommes d'autant plus conformes à notre Maître, qui n'avoit pas feulement une pierre où reposer sa Mat. 8. 20.

tête.

Mais où en prendre, difoit l'œconome: mon fils,

difoit-il, il faut vivre de ménage; vraiment, difoit l'autre, il est bien tems de ménager, où il n'y a plus rien.

Vous ne m'entendez pas, reprenoit le Bienheureux, c'eft qu'il nous faut vendre ou engager quelque piece de notre ménage pour vivre; cela, mon bon ami, n'est-ce pas vivre de ménage ?

J'admirois un jour comment il pouvoit foutenir fa maison avec fi peu de revenu.

C'eft Dieu, dit-il, qui multiplie les cinq pains. Le preffant de me dire comment cela fe faifoit. Ce ne feroit pas miracle, difoit-il de bonne grace, fi cela fe pouvoit dire. Ne fommes-nous pas Thren. 3. 22. bien heureux de vivre ainfi par miracle. C'est la mifericorde de Dieu, de ce que nous ne sommes pas confommés.

Vous devorez ma fageffe, lui dis-je, en me renvoyant là.

Voyez-vous, reprit-il, les richeffes font de vraies Luc. 8. 15. épines, ainfi que l'Evangile nous l'enseigne; elles piquent de mille peines en les acquerant, de plus de foucis en les confervant, de plus de foins en les dépenfant, de plus de chagrins en les perdant.

Au reste nous n'en fommes que les fermiers & les economes, principalement fi ce font des biens de l'Eglife, qui font le patrimoine des pauvres ; l'importance eft de trouver des difpenfateurs qui foient 1.Tim. 6. 8. fideles: ayant dequoi nous nourrir & nous vêtir honnêtement, que nous faut-il davantage : Quod amplius eft, à malo eft.

Voulez-vous que je vous parle franchement. Je fçai bien ce que je fais de ce que j'ai. Mes morceaux font taillés affez court. Si j'avois davantage je ferois en peine de ce que j'en ferois. Ne fuis je pas heuMat. 6. 34, reux de vivre en enfant fans fouci A chaque jour

Juffit fon mal.. Qui plus en a, plus il a de compte à Luc. 12. 48. rendre.

CHAPITRE XVIII.

Des Importunités.

NTR les vertus il faifoit grand état de celle

E qui nous fait fupporter doucement les importu

nités du prochain. Un peu de douceur, de modération & de modestie, disoit-il, suffisen: pour cela.

que

Quand on parle de patience, vous diriez qu'il ne la faut employer qu'en la fouffrance des maux qui nous apportent de la gloire. Cependant tandis nous attendons ces grandes & fignalées occafions, qui n'arrivent que rarement dans la vie, nous négligeons les moindres, & tant s'en faut que l'on compte pour quelque chofe le fupport des importunités du prochain, qu'au contraire on tient pour foiblés ceux qui les endurent.

Nous nous imaginons que notre patience eft capable de fouffrir des douleurs & des affronts fignalés, & nous nous jettons dans l'impatience pour les plus légeres importunités.

Il nous femble que nous pourrions affifter, fervir & foulager le prochain en de grandes & longues maladies; & nous ne pouvons fupporter fes humeurs fâcheufes, fes rufticités, fes incivilités, & fur-tout fes importunités, quand il vient hors de propos & à contre-tems, nous entretenir de chofes qui nous femblent légeres ou frivoles.

Nous triomphons ici dans les apologies de notre impatience, nous défendant fur le prix du tems, duquel feul, dit un Ancien, l'avarice est louable ;

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