Il étoit dans l'ordre qu'avec l'efprit poetique il fe répandît en France un ef prit de galanterie. Il y avoit en Provence la fameufe Cour d'Amour, & la Picardie rivale de la Provence, avoit auffi fes Plaids & Gieux fous l'Ormel. Ces Gieux, & la Cour d'Amour étoient des affemblées de Gentilshommes & de Dames, qui s'exerçoient à la courtoisie & gentilleffe, & décidoient avec de certaines formes, & avec autorité, les queftions galantes qui étoient portées à leur Tribunal. Par exemple, on demandoit à Noffeigneurs, & Dames de la Cour d'Amour ou du Gien fous l'Ormel lequel vaudroit mieux pour une Dame, ou un Amant qui eft nice, ou un qui fçait plus du Siecle? S'il y a plus d'honneur à conquerir celle qui aime, ou celle qui onc n'aima? Si l'Amant fe: mariant à fa mie, perd l'envie qu'il fouloit avoir de chanter? Lequel la Dame devroit choifir ou d'un voyage de fon Amant à la Croifade contre Mainfroy, ou d'un Mariage à autre qu'elle? Lequel doit plus faire pour fa Dame, ou celui qui a, ou celui qui espere? Lequel vous aimeriés mieux, jouir votre Rival & vous, ou ni l'un ni l'autre ? Vous avés gagné une Dame que chacun gagne બે T fon tour, avés-vous perdu ou gagné? Sur ces fortes de fujets l'on faifoit les chanfons du Jeu parti, c'est-à-dire qui contenoient les demandes & les réponses de part & d'autre. Il y a telle de ces queftions qui pourroit fournir à une des plus fpirituelles converfations de Cyrus & de Clélie, & peut-être y auroit-il lieu de s'étonner, que des Siecles d'ailleurs fi peu éclairés, en fçuffent tant; mais il les faut regarder comme des jeunes perfonnes qui ont de bonneheure l'efprit formé fur la galanterie. - Nous avons encore un Recueil de ces Jugemens galans, ou du moins faits à leur imitation, fous le titre d'Arrefta Amorum il y a deux cens ans. L'Auteur eft Martial d'Auvergne Procureur au Parlement de Paris. Il commence ainfi fes Arrefta Amorum. Environ la fin de Septembre Que faillent violettes & flours Je me trouvai en la Grand Chambre Il y avoit les Seigneurs lais, les Con feillers d'Eglife. Après y avoit les Déeffes En moult grand triomphe & honneur, Qui lavoient le Decret par cueur. Leurs habits fentoient le Cyprés Et le mufc fi abondamment Que l'on n'eût fçeû estre au plus près Enfuite viennent cinquante Procès differens, & en voici un que j'ai choi fi, qui pourra donner une idée de tous les autres. Pardevant le Marquis des Fleurs & Violettes d'Amours, s'eft affis un Procès d'un Amoureux demandeur d'une part, & une jeune Amie deffenderesse d'autre part, & difoit ledit Amoureux que tous les plus grands biens qui font en Amours, c'eft d'entretenir les cœurs l'un de l'autre en parfaite alliance, & union d'amitié, que toutes & quantes fois qu'un Amant ou une Dame eft vacquant, ou qu'elle s'entremet de complaire à plufieurs, c'eft figne que fon cueur n'étoit point entier en loyauté, & que l'on ne s'y doit pas trop fier. Or ce préfupofe, difoit que cette Dame ey avoit fait plufieurs promeffes; & entre les autres que jamais n'auroit autre que lui tant qu'il feroit vivant, & lui pareillement à elle : fi en avoyent fait ferment l'un à l'autre fi grand & folennel, que faire fe peut en tel cas. Et ainfi avoient promis qu'ils ne feroient chofe à leur pouvoir, parquoy nul d'entre eux y pût prendre, n'avoir defplaifir ; mais ce nonobftant ladite Dame puis n'a gueres de temps en ça s'entremettoit d'entretenir plufieurs Gallans par parolles, & très-belles cheres deffendues en tel cas. Et outre plus pendoit tous les jours en fa ceinture, & en fa quenoüille bouquets nouveaux, & fleurs étranges, fans que ledit Amant les luy eût données, dont il a un peu de mal en fa tefte. Car aucunes fois quand il eft dans fon lict, & s'éveille fur ce point il met bien trois heures à foy rendormir . De la part de cette Dame deffendereffe fut deffendu au contraire. Et difoit, que quelques promeffes que fiffent Dames, fe doibvent entendre civilement, c'est à fçavoir là où fer a leur plaifir. Et ne donnent jamais fi grande auctorité qu'elles ne foient fur leurs pieds pour ufer de leurs volontés & plaifirs; car elles. font Dames. Et l'on fçait que Dames ne peuvent renoncer aux biens qui leur peuvent venir. Et ont don & privilege de nature de vire & faire bonne chere à tous, affin que l'on ne puiffe dire qu'elles foyent mal gratieufes... Finablement Parties ouyes, fuft abfolue cette Deffendereffe des pétitions & demendes de cè Demendeur, en lui permettant ( s'elle vouloit, en en tant que mestier eftoit) de parler, vire, faluer, & porter bouquets toutes quantes fois qu'il lui plairoit, & bon lui fembleroit. Et condamna ledit Amant en fes deffens. On diroit que cet Arreft ne fût rendu que. depuis quatre jours, tant il eft conforme aux ufages & à la pratique d'aujourd'hui. Dans la Langue de ce Livrelà, un mari ne s'appelle point autrement que Dangier. Dangier n'étoit point au logis. On craint que Dangier ne grongne. Il eft à remarquer qu'un grave Jurifconfulte qui fe donne le nom de Benedictus Curtius Symphorianus, fait fur ces bagatelles un très-ferienx & très-docte Commentaire Latin, où il entaffe Loix fur Loix & Paragraphes fur Paragraphes pour éclaircir les queftions qui fe traittoient devant le Marquis des Fleurs &des Violettes. Parmi tant d'ouvrages de Pocfic que le douzième & le treizième Siècle ont. ན་ produits nous n'avons rien qui regarde le Theatre. Seulement il paroît par l'Hiftoire des Poetes de Provence, que les Troubadours ont fait quelques Comedies, & il ne nous eft refté que le nom d'une intitulée de l'Heregia dels Preyres, de l'Héréfié des Prêtres, Piece Tome III. B |