ÆäÀÌÁö À̹ÌÁö
PDF
ePub

me fuis vainement reproché ; que je ne vois jamais, fans trembler pour ma gloi re, & qui, pour fon malheur & le mien, eft devenu, mais trop tard, fenfible pour moi. Que lui avez-vous dit, pourfuivit elle? il vous a fans doute demandé le fujet des pleurs que je verfois dans ce même lieu, lorfqu'il entra, & dont je l'ai vu alarmé. J'ai fu me taire, répon dit Adélaïde. Alors elle conta à Madame de Fajel tout ce qui s'étoit paffé. Il eft vrai, repartit Madame de Fajel, je me fuis entretenue affez long-temps avec le Comte de Rethel. Trop touchée de l'inquiétude de votre frere, je priois le Comte de ne jamais lui parler de ces vers, que vous lui avez volés, & que vous écrivîtes fur mes Tablettes. Le Comte a fait un myftere de notre converfation, pour être fidele à fa parole mais que je crains qu'il n'ait été la victime de votre erreur! Pouvoit-il ne pas être, lui dit Adélaïde ? il n'a que trop remarqué un changement en moi, auquel j'ai vu le voir fenfible. Que prétendez-vous faire, lui demanda Madame de Fajel? vous aimez le Comte de Rethel; cependant je vous vois à la veille d'être unie au Maréchal. Je ne ferai jamais à lui, repliqua Adélaïde : je

le

fuis fille d'Enguerrand; pourquoi m'at-il donné fa fermeté ? je m'en fervirai contre lui-même. Je vais encore prier, conjurer mon frere, d'obtenir de mon pere de ne pas unir ma deftinée à celle d'Alberic: s'il n'obtient rien, alors j'oferai opposer une ferme réfiftance, qui paroîtra criminelle, je le fais ; je frémis à l'envifager; mais elle eft néceffaire à mon repos. Je crois avoir infpiré au Comte de Rethel une véritable paffion; je vois fes craintes, & fes inquiétudes avec une fenfibilité qui ne me dit que trop combien il m'eft cher : cependant il ignorera fon bonheur, jufqu'à ce que j'aie exécuté le projet que j'ai formé pour forcer le Maréchal à renoncer à moi. Je vous le communiquerai ce projet; je ne le communiquerai qu'à vous; & j'aurai même befoin de votre fecours. Je ne puis vous le dire encore, il n'y a déjà que trop long-temps que nous fommes ici; rentrons chez ma mere.

Raoul fortit du cabinet de fa fœur tranfporté d'une joie inexprimable. Ai-je bien entendu, s'écria-t-il ? Quoi ! c'est de fa propre bouche,c'eft en foulageant fon cœur par une fincere confidence qu'elle m'apprend elle-même mon bonheur!... Puis-je le concevoir ! Raoul ne peut

plus contenir fa joie ; il envoie prier Roger de paffer dans fon appartement. En le voyant, Raoul court à lui, l'em braffe, & lui dit : Ah! mon cher Roger; que vous avez de fujet de vous plaindre de moi. Depuis quatre jours je vous croyois mon rival: pardonnez à un homme inquiet ce foupçon offenfant. Je ne vous fais pas un crime, repliqua Roger, de m'avoir cru votre rival; mais je vous en fais un de l'avoir pensé un moment, fans me demander fi je l'étois. Voilà de ces procédés qu'une fincere amitié exige; & des cœurs faits comme les nôtres, mon cher Raoul, ne doivent jamais facrifier à des foupçons que fait naître une paffion aveugle, la confiance d'un ami. Le Comte des Barres a été plus jaloux que vous des devoirs délicats de l'ami tié: je lui ai caufé quelque inquiétude, il s'eft preffé de me demander fi j'aimois Mademoiselle du Mez. Je fuis charmé, repartit Raoul, de votre jufte & févere réprimande: elle m'affure que vous faites grace à mon caprice. Oubliez-le donc, mon cher Roger, & ap prenez quel eft mon bonheur, ou plutôt, partagez ma joie. Je fuis aimé de Madame de Fajel. Oui, depuis quatre

ans, malgré elle, malgré fon devoir; malgré toute fa vertu, qui vient de me faire trembler, je poffede fon cœur. Oui, mon voyage au camp du Duc de Bourgogne m'en a rendu le maître. Alors Raoul conta à Roger tout ce qui s'étoit paffé depuis quatre jours, juf qu'à ce moment; mais il eut la cruelle difcrétion de lui cacher la tendreffe & les jaloux foupçons d'Adélaïde. Vous me caufez, mon cher Raoul, lui dit Roger, plus de plaifir que de surprise en m'apprenant que vous êtes aimé de Madame de Fajel; fes yeux me l'avoient déjà appris. Que vous êtes heureux, ajouta-t-il en foupirant! que je fuis heureux, reprit Raoul ! Je le fuis il est vrai, d'être aimé de ce que j'adore; mais la vertu de Madame de Fajel me vendra bien cher ce plaifir: j'en ferai peut-être plus miférable. Ma paffion l'effraie; elle me rend redoutable à fes yeux; elle me craint; elle fe craint elle-même. Ah! que j'appréhende qu'elle ne s'arrache de la Cour. Oui! pour me conferver le plaifir de la voir, il faudra me condamner à un éternel filence; s'il m'échappoit un mot, je la perdrois peut-être pour jamais. L'effort de fuir ce qu'on aime, repliqua Roger,

eft difficile, je le fais; il furpaffe la force ordinaire des femmes les plus vertueufes font celles qui y penfent le moins; leur vertu condamne leur fentiment, cette même vertu leur cache le danger. Ne fentez-vous pas dins ce moment même, que les obftacles irritent l'amour ? ainfi pour gémir des malheurs que vous craignez, attendez qu'ils foient plus près de vous: vous êtes aimé, je ne faurois plus vous plaindre.

Raoul & Roger pafferent chez Madame de Couci; mais Madame de Fajel n'y étoit plus. Roger trouva le moment de fe placer auprès d'Adélaïde. Vous ceffez d'être injufte, Mademoifelle, lui dit-il d'un ton de défespoir: le Maréchal va donc être au comble de fes vœux? Et moi...... Et vous, lui ditelle en l'interrompant, fongez qu'il nous regarde; ma haine le rend affez malheureux; ne lui faites pas foupçonner que vous êtes moins à plaindre que lui. Ce mot, & un regard qui n'avoit rien de févere, firent oublier au Comte de Rethel tout ce qu'il avoit fouffert d'inquiétude depuis trois jours.

Ce jour fur bien remarquable pour tous ces illuftres amants; il rendoit à Roger toute fa tranquillité; il délivroit

« ÀÌÀü°è¼Ó »