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L'ORDRE

DAME.

RELIGIEU à quinze ans, lorfque fon frere entra chez les Jefuites de la SES DE Province de Guienne, où il fe rendit célébre par fa vertu & TE NOTRE- par fa capacité, par les talens de la prédication & du gouvernement, & furtout par la direction de fa fœur, à laquelle il avoit déja fervi de guide dans le chemin de la vertu, & qu'il continua d'affifter de fes avis & de fes confeils dans tous les Etats où la providence la mit dans la fuite de fa vie. Elle auroit bien fouhaité fuivre fon exemple en fe retirant dans un cloître. Elle s'y fentoit naturellement portée; mais le défordre de l'Heréfie qui entrainant alors le commun des fidelles n'épargnoit pas dans les Maifons Religieufes les époufes de Jefus Chrift, lui fit differer le deffein qu'elle avoit de fe confacrer à Dieu par des vœux folemnels, & dans le tems qu'elle croïoit favorable pour l'executer, & qu'elle s'y difpofoit, l'obéïffance & la foumiffion qu'elle avoit pour fon pere, l'engagea dans le mariage à l'âge de dix-fept ans, qu'elle époufa Gaston de Montferrant, Soudan de Latrau, Seigneur de Landiras, de la Motte & de plufieurs autres lieux, & fils du Marquis de Montferrant Lieutenant de Roi en Guienne & Gouverneur de Bourdeaux.

La jeune Marquife ne perdit rien de fa modeftie ni de fa retenue dans le haut rang où ce mariage l'avoit placée : elle ne diminua rien auffi de cette pieté folide, dont elle avoit toûtjours fait profeffion : & elle conferva toûjours fon cœur à Dieu, en rendant l'honneur & le refpect qui étoient dûs à fon mari qui n'avoit pas pour elle moins d'admiration que d'amour. Habile dans l'œconomie, tranquille dans les embarras des affaires domeftiques, patiente dans les accidens de la vie, honnefte dans les converfations, entretenant toûjours l'ordre & la paix dans fa maison & répandant la bonne odeur de fes vertus dans toute la Province. La Marquise de Monferrant eut de fon mariage fept enfans, fçavoir quatre fils & trois filles: il lui refta un fils pour le foutien de fa maison. La mort en enleva trois de bonne heure. Deux filles furent Religieufes dans l'Ordre de l'Annonciade & la feptiéme fut mariée & eut une fille qui fuivit l'exemple de fon ayeule en fe faifant auffi Religieufe dans l'Ordre dont elle fut Fondatrice, & où les deux qui étoient déja Annonciades entrerent auffi avec la permiffion du Pape: la mort du Marquis de Monferrant qui arriva vingt-quatre ans après

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fonmariage,mit fa veuve en liberté de rentrer dans la retraite RELIGIEU& dans la folitude, elle en gouta mieux que jamais les dou- L'ORDRE ceurs. Ses premiers defirs & fes anciennes efperances d'être DE NOTREReligieufe, fe reveillerent dans fon cœur, & elle demanda à Dieu par de ferventes prieres lagrace de voir fes defirs accom. plis. Deux de fes filles qui (comme nous l'avons déja dit ) s'étoient confacrées à Dieu dans le Monaftere des Annonciades de Bourdeaux, étoient pour elle un objet qui renouvelloit continuellement dans fon cœur le defir de la vie religieuse: mais l'exemple d'une grande Princeffe qui dans la fleur de fon âge renonça aux charmes & aux grandeurs du monde pour le retirer chez les Feüillantines de Toulouse,détermina Madame de Montferrant à ne plus differer l'execution de fon deffein ; c'étoit Antoinette d'Orleans, fœur du Duc de Longueville, veuve duMarquis de Belle-Ifle,dont nous avons déja parlé en un autre endroit, & dont nous aurons encore lieu de dire quelque chofe en parlant de la Congregation de Nôtre Dame du Calvaire. Madame de Montferrant voulant fuivre cette Princesse dans la même retraite s'adreffa ce fujet au Provincial des Feüillans qui étoit pour lors à Bourdeaux,qui fit agréer fa reception à la Superieure des Feuillantines, à laquelle il fit le récit des qualités & dumerite de la poftulante.

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Pendant que le Provincial faifoit réüffir fon deffein, elle fe difpofa à l'executer & le découvrit au Marquis de Montferrant fon fils, auquel elle recommanda fa jeune fœur dont elle lui laiffoit la conduite & le foin de fon établissement. Le Marquis de Montferrant lui oppofa toutes les raifons humaines que la nature & fa douleur lui fuggeroient,& ne pouvant tien gagner fur elle, il lui demanda au moins la permiffion de l'accompagner dans fon voïage: mais elle là lui refufa, foit parce que fa préfence auroit pû troubler fon receüillement, foit parce que ce voïage n'auroit pû qu'augmenter la peine de fon fils qui ne quittoit qu'avec regret une mere pour laquelle il avoit beaucoup de tendreffe. Elle ne voulut donner aucune connoiffance de fa réfolution à fa fille ; néanmoins les précautions qu'elle prit pour qu'elle ne fût pas informée de fon départ furent inutiles. Madame de Montferrant partit au point du jour pour fe rendre au port de la Garonne, où le Provincial des Feüillans fe rendit auffi

RELIGIEU pour la conduire à Touloufe. Elle s'embarqua avec deux Demoiselles de fa fuite & quelques autres domeftiques; DE NOTRE mais fa trop grande diligence trahit fon fecret. Elle fut obli

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gée d'attendre quelque tems dans la barque,& fe vit expofée par ce retardement aux attaques de fa fille qu'elle craignoit beaucoup plus que toute la violence de l'élement fur lequel elle étoit portée. En effet la barque étoit encore à l'ancre, lorfque Mademoiselle de Montferrant qui s'étoit éveillée au bruit des cris & des foupirs des domeftiques, arriva au port fans être accompagnée de perfonne; & tout en défordre, elle fe jetta aux pieds de fa mere. Les pleurs & les gemiffemens furent d'abord tout le langage de cette fille; mais fa mere diffimulant autant qu'elle pouvoit le coup qui lui perçoit le cœur, preffa le pilote de la délivrer au plûtôt des violences qu'elle fe faifoit à elle-même. Ma mere,où allez vous? s'écria alors cette fille affligées à qui me laissez vous? & pourquoi ne m'est-il pas permis de vous fuivre ? confolez vous,lui dit Madame de Montferrant ) Je ne vous abandonne pas, Dieu fera votre pere. Ayez confiance en lui, vôtre frere fera vôtre protecteur, foyez lui obéissante: allez,ma fille,il faut que je parte.

Le combat ceffa quand la barque s'éloigna du rivage & les rameurs ufant de diligence, eurent bien tôt dérobé à la vûe de cette trifte fille, cette mere victorieufe des grandeurs du monde & de tous les fentimens de tendreffefi naturels à une mere à l'égard d'une fille aimée & cherie. Madame de Montferrant arriva heureusement à Toulouse; mais elle fut bien surprise d'y trouver le Marquis de Montferrant fon fils,qui n'avoit pû obtenir d'elle la permiffion de l'accompagner. Il la joignit au moment qu'elle alloit entrer dans le Monaftere & il renouvella un combat dans lequel il trouva qu'il s'étoit trop tôt rendu la premiere fois que fa mere lui déclara fon deffein; mais fa présence & fes difcours ne fervirent que de nouvelle matiere aux triomphes de cette Dame qui entra chez les Feuillantines le 11. Juin de l'année 1663. & y prit l'habit des mains de Domne Charlotte de fainte Claire avec le nom de fœur Jeanne de faint Bernard, elle étoit pour lors âgée de quarante fix ans. Mais Dieu qui l'avoit destinée pour être la Fondatrice d'un nouvel Ordre de Religieufes, ne permit pas qu'elle fît profeffion dans cette Maifon,où il l'avoit conduite feulement pour y prendre l'ef

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prit de religion & en étudier les pratiques avant que de les RELIGIEUcommuniquer à une nouvelle famille. La maladie dont elle S DE fut attaquée & qui fut causée par la grande aufterité des DE NOTREReligieufes Feuillantines, qui étoit contraire à fon temperamment, l'obligea, par l'avis des Medecins, à fortir malgré elle de ce Monaftere après y avoir demeuré fix mois. Elle arriva à Bourdeaux au commencement de l'année 1664. où elle porta la joïe dans fa maison,& on ne penfa qu'à fe feliciter de fon retour. Le Marquis de Monferrant étoit alors dans fon château de Landiras, elle l'y alla trouver & elle y fut reçue avec tout le refpect & la tendreffe qu'un fils doit à fa mere. Toute la Nobleffe d'alentour prit part à fa joïe. Ils lui parloient de fa maladie comme d'un coup de la Providence qui la vouloit faire rentrer dans le monde ; mais quoiqu'elle reçût de bonne grace leurs civilités,& que pour s'accommoder aux manieres du monde, elle fe trouvât dans toutes les parties de divertiffement où fon fils l'engageoit,elle fongeoit néanmoins à une nouvelle retraite ; mais avant que de communiquer fon deffein à perfonne,afin de ne plus avoir aucun obstacle qui en retardât ou troublât l'execution, elle maria Mademoiselle de Montferrant fa fille avec le Baron d'Arpaillant Gentilhomme de Perigord, qu'elle préfera, du confentement du Marquis, à un grand nombre de concurrens qui prétendoient à l'honneur de cette alliance; & elle alla l'établir dans la maifon de fon époux. Dieu permit ce voïage de nôtre fainte veuve pour l'engager dans les visites de la Nobleffe de ce païs, où en s'attirant l'amitié & les refpects des perfonnes les plus confiderables, elle jetta les semences de cette haute réputation, qui dans la fuite du tems lui fut fi utile pour les interêts de fon Ordre.

Entre les Maisons illuftres qu'elle vifita,elle lia une étroite amitié & une grande correfpondance avec celles du Comte de Curfon & des Seigneurs de Briançon & de Puiferrat. La Comteffe de Curfon étoit fille de la Comteffe de Laufun qui aiderent l'une & l'autre la Marquife de Montferrant de leurs lumieres & de leur crédit dans l'execution de fes deffeins. Elle prépara dès lors Mademoiselle de Briançon par force de fes perfuafions & par la fageffe de fes confeils à remporter fur elle même une double victoire, en abjurant l'Heréfie & en renonçant au monde pour être une de ses Xx

Tome VI.

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principales filles fpirituelles, & elle commença auffi de gagner dans une entrevûe les deux filles du Seigneur de Puyferrat. Ce voïage où il fembloit qu'elle n'avoit à menager que les interêts de fa famille, lui donna occafion de commencer à former celle de Nôtre-Dame en même tems qu'elle achevoit d'établir la fienne.

pour retourner

Elle laiffa M. d'Arpaillant dans fa Maison aú Château de Landiras, où fi-tôt qu'elle fut arrivée, elle déclara à son fils le deffein qu'elle avoit formé de se retirer dans quelque lieu pour y vivre éloignée du tumulte du monde. Elle choifit pour fa retraite la Terre de la Mothe, éloignée d'une lieuë de Landiras, dont elle est une dépendance; elle ne retint que quelques Domestiques, & fit une feconde fois divorce avec le monde: elle entretint neanmoins l'amitié & la focieté qui étoit entre elle & fon fils, qu'elle voïoit de tems en tems. Ce fut dans cette folitude qu'elle forma dans fon efprit le plan d'un Ordre nouveau, qui fût en même tems un afile pour toutes celles qui voudroient s'éloigner des dangers du fiécle, & chercher la perfection Chrêtienne, & une Ecole de doctrine & de fainteté pour le bonheur des familles. Dans cette vûë,elle regarda la fainte Vierge comme le modele de cette vie cachée & apoftolique, & fe mit fous La protection.

Le même zele qui l'avoit conduite dans la folitude, l'en fit fortir, afin de porter plus loin le feu de l'amour de Dieu qui l'embrafoit ; & afin d'en faire part à toutes les perfonnes qui devoient concourir à fon deffein,ou qui devoient suivre fon exemple, elle alla à Bourdeaux chercher des perfonnes de pieté, pour avoir d'elles de l'éclairciffement & du fecours dans fes pensées & dans fes projets. Elle s'adreffa d'abord au Pere Margueftaud Jefuite, qui fut depuis Confeffeur de la Reine d'Espagne, & au Pere Ménage du même Ordre 3 mais ils ne donnerent pas dans fon fentiment touchant la fondation de l'Ordre qu'elle vouloit inftituer; foit qu'ils vouluffent l'éprouver pour en faire fous leur conduite la premiere Novice de fon Ordre, foit qu'ils euffent de la peine à fe perfuader qu'une perfonne qui avoit quitté depuis peu l'état Religieux, fût propre pour en augmenter la gloire de la maniere qu'elle fe le propofoit. Elle demeura néanmoins fous leur conduite, & reprit par leur avis fes anciennes pra

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