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RACAN.

Le vieil Alcidor, ayant perdu femme, enfans ¿
biens, quitte fa patrie, & trouve ailleurs un
azile, qui devient pour lui un grand sujet de
confolation.

1 Ne fçaurois-je trouver un favorable port,
Où me mettre à l'abri des tempêtes du fort?
Faut-il que ma vieilleffe, en trifteffe féconde,
Sans espoir de repos erre par tout le monde ?
Heureux qui vit en paix du lait de fes brebis,
Et qui de leur toifon voit filer fes habits!
Qui plaint de ses vieux ans les peines langoureuses,
Où fa jeunesse a plaint fes flammes amoureuses!
Qui demeure chez lui comme en fon élément,
Sans connoître Paris que de nom feulement;
Et qui bornant le monde aux bords de fon do
maine,

Ne croit point d'autre mer que la Marne ou la
Seine !

En cet heureux état, le plus beau de mes jours
Sur les rivages d'Oise a commencé son cours.
Soit que je priffe en main le foc ou la faucille,
Le labeur de mes bras nourriffoit ma famille,
Et lorfque le Soleil en achevant fon tour,
Finiffoit mon travail en finiffant le jour,

1 Cette Scene eft le chef-d'œuvre des Bergeries de RACÁN Quelle élegante fimplicité dans le ftile! Quelle naïveté charmante dans les penfées! Dire que Théocrite & Virgile n'ont rien fait de mieux dans ce genre là, ce feroit prévenir le jugement du Lecteur.

Je trouvois mon foyer couronné de ma race;
A peine, bien fouvent, y pouvois je avoir place.
L'un gifoit au maillot, l'autre dans le berceau,
Ma femme, en les baifant, devidoit fon fufeau.
Le tems s'y ménageoit comme chofe facrée ;
Jamais l'oifiveté n'avoit chez moi d'entrée :'
Auffi les Dieux alors béniffoient ma maison;
Toutes fortes de biens me venoient à foifon :
Mais hélas! ce bonheur fut de peu de durée ;
Ma chere Cléanthis fut à peine expirée,
Que mes petits enfans la fuivirent de près
Et moi je reftai feul accablé de regrets,
De même qu'un vieux tronc, relique de l'orage,
Qui fe voit dép tiillé de branches & d'ombrage.
Ma houlette en mes mains, inutile fardeau,
Ne régit maintenant ni chevres, ni troupeau.
Une feule brebis qui m'étoit demeurée,
S'étant, loin de ma vûë, en ce bois égarée,
Y jetta fon petit avec un tel effort,

Qu'en lui donnant la vie, il lui donna la mort.
Voyant tant d'accidens m'arriver d'heure en

heure,

Je cherche à me loger en une autre demeure,
Pour voir fi le malheur à ma fortune joint,
En quittant mon païs ne me quittera point,
Si les champs où la Marne à la Seine fe croife,
Me feront plus heureux que le rivage d Oife.

RACAN.

CLEANTE.

RACAN. Ne cherchez point ailleurs où vous mettre en repos;
Vous ne fçauriez trouver un lieu plus à propos,
Pour rendre votre vie en tous biens fortunée :
Nos fertiles côteaux portent deux fois l'année;
Et les moindres épics qui dorent nos guérets,
S'égalent en grandeur aux chênes des forêts.
Ici le bien fans peine abonde en nos familles ;
On ufe moins de focs qu'on ne fait de faucilles :
Ici le doux Zéphir, Roi de notre horison,
Fait de toute l'année une feule faifon.

La Nymphe de la Marne & le Dieu de la Seine,
Qui pour leur mariage ont choifi cette plaine,
Nous témoignent affez par leurs tours & retours,
Le déplaifir qu'ils ont d'en éloigner leurs cours.
L'impitoyable horreur des foudres de la guerre
A quitté par refpect cette fertile Terre :
La juftice & la Paix y regnent à leur tour;.
Nous n'y fommes brûlez que des flammes d'amour.
Mais hélas ! de ce Dieu les flammes & les charmes
Causent bien dans nos champs de plus grandes al-
larmes,

1 On écrit aujourd'hui zéphire. M. de la Motte-Houdart dans une de fes Odes anacréontiques, intitulée les fouhaits: Que ne fuis-je le doux zéphire, Qui flatte & rafraichit fon teint 3 Et qui pour fes charmes foupire Aux yeux de Flore qui s'en plaint !

Que ne faifoient jadis ces bataillons épars,
Que la rébellion femoit de toutes parts.
Ce matin même encor, cette bouillante rage
Animant d'Alcidor l'impétueux courage,
L'a fait jetter dans l'eau, d'où la force du vent
L'a remis à la rive auffi mort que vivant.

Le vieil ALCIDOR,

Et comment! Alcidor eft-il encore en vie?
CLEANTE.

Vous le verrez bien-tôt, s'il vous en prend envie.
Il époufe, ce foir, cette aimable Beauté,

Pour qui dedans la Seine il s'eft précipité :
J'offre à vous y mener.

Le vieil ALCIDOR.

Allons, à la bonne heure Je ne pouvois trouver de fortune meilleure : Le défir de revoir ce que j'ai tant aimé, Ranimeroit mon corps au cercueil enfermé.

Inconftance & fragilité des chofes d'ici-bas.

Ce n'est qu'un peu de vent que T'heur du

humain :

genre

Ce qu'on eft aujourd'hui, l'on ne l'eft pas demaiu :
Rien n'eft ftable qu'au Ciel; le tems & la fortune
Régnent abfolument au-deffous de la Lune.

RACAN

RACAN.

ODES SACRE'ES DU MESME AUTEUR

TRADUITES OU IMITE'ES DES PSEAUMES.

PSEAUM E I.

Bonheur de ceux qui fuient le commerce des méchans, qui obfervent la loi de Dieu.

O bienheureux celui qui prit dès fon printems La vertu pour objet de fes premieres flammes, Et qui n'a point hanté les forts efprits du tems, Dont la contagion perd les corps & les ames!

Ils difent que le Sort régne feul dans les Cieux,"
Que les foudres fur nous tombent à l'avanture:
Ils disent que la crainte eft mere des faux-Dieux
Et n'en connoiffent point d'autre que la Nature.

Ce poifon des efprits corrompt toute ma Cour,
Et l'ame dont la foi n'en eft point pervertie,
Avecque l'Eternel s'entretient nuit & jour,
Et rend grace aux bontez qui l'en ont garantie.

Tel qu'on voit fur le Nil, loin des vents inconf
tans,

L'arbre dont la grandeur nous plaît & nous étonne,
De qui l'ombrage épais réjouit le Printems,

Et dont les fruits fans nombre enrichiffent l'Au

tomne :

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