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& que le cœur & les mœurs font purs. Non-feulement M. de la Motte foutient de fi grandes privations, mais s'il eft livré à la plus vive douleur, il la fouffre avec patience; il eft doux avec elle, il fait fentir qu'il n'a point ufé dans les plaisirs, ce fond de gayeté que la nature lui a donné, puif. qu'il fait la retrouver dans fes peines. Dans la douleur, il faut que l'ame foit toujours fous les armes, qu'à tout moment elle rappelle fon courage, & qu'elle foit ferme contre elle-même.

Il a paffé par l'épreuve de l'envie. Quand l'ame ne fait pas s'élever par une noble émulation, elle tombe aifément dans la baffeffe de l'envie. Quelle injustice n'a-t'il pas fouffert quand fes Fables parurent? Je crois que ceux qui les ont improuvées n'avoient pas en eux de quoi en connoître toutes les beautés ; ils ont crû qu'il n'y avoit pour la Fable que le fimple & le naïf de M. de la Fontaine ; le fin, le délicat, 1: penfé de M. de la Motte leur ont échappé, ou ils n'ont pas fu le goûter. A fes Tragédies, on a vû les mêmes perfonnes pleurer & critiquer; leur fentiment, plus fincere, dépofoit contre leur injuftice; ils fe refufoient à fes douces émotions, & mettoient l'improbation à la place du plaifir.

Avec quelle dignité & quelle bienféance

n'a-t'il pas répondu à la Critique amere de Madame Dacier? Enfin nous jouiffons de fon mérite & de fes talens, & la malignité du fiécle l'empêche de jouir de fa gloire & de fon immortalité. Pour moi, je le vois avec les mêmes yeux que la poftérité le

verra.

La conftante amitié de M. de Fontenelle pour M. de la Motte, fait l'éloge de tous les deux; le premier m'a dit que le plus beau trait de fa vie étoit de n'avoir pas été jaloux de M. de la Motte. Jugez du mérite d'un Auteur, qu'un auffi grand homme que M. de Fontenelle a trouvé digne de fa jaloufie.

A

MADAME T. D. L. F.

SUR MONSIEUR

HOUDAR DE LA MOTTE, De l'Académie Françoife.

MADAME,

Quand je vous mandai la maladie de M. de la Motte, je ne comptois pas vous apprendre fa mort huit jours après. Il tomba malade, comme je vous l'ai dit, le Mardi 18 Décembre. Les jours fuivans nous jetterent dans des craintes mortelles. Elles firent place le Lundi aux plus douces efpérances, qui s'évanouirent prefque auffi-tôt ; & il mourut enfin le Mercredi 26, entre fix & fept heures du matin, âgé de près de foixante ans (a).

(a) M. de la Motte étoit né à Paris le 17 Janvier 1672.

Quelle perte je fais, MADAME! Que dis-je ? Me fied-il de parler de moi? Ne devrois-je pas oublier mon intérêt propre, & ne fonger qu'à l'intérêt général de tous ceux qui dans la France aiment les Ouvrages d'efprit, de tous ceux qui dans l'Europe lifent les bons Ouvrages François ? Mais ma perte pour m'être commune avec tant d'autres, n'en eft que plus grande. Dans cet illuftre Auteur, aimé, eftimé, regretté de tout le monde, dans M. de la Motte je pers un homme qui m'aimoit.

Je crois dire ceci fans orgueil. J'aimois moi-même M. de la Motte plus que je ne puis vous dire, plus que je ne croyois l'aimer ; & quand on aime à un certain point, on ne tire pas vanité d'être aimé.

Vous la connoiffiez, MADAME, toute mon amité pour M. de la Motte. Cette amitié prife dès ma plus tendre jeunesse, fur la feule lecture de fes Ouvrages, où fans le vouloir, fans y fonger, il s'eft peint fi aimable; cette amitié portée depuis à la plus vive tendreffe par un commerce de plufieurs années. Quelque eftime que vous euffiez vous-même pour lui, vous m'avez fouvent fait une guerre feinte fur la mienne, par une ingénieufe malice. Vous aimez trop, me difiez-vous, votre eftime n'eft d'aucun poids. Je répondois, & vous croyiez trou

ver dans la chaleur de mon difcours, dans le ton animé de ma voix, la preuve de votre reproche. Ne me dites point vos raifons, ajoutiez-vous, écrivez-les moi tout fimplement; ceffez d'être ami, ne foyez que critique; laiffez-là votre cœur, laiffezlà M. de la Motte, parlez-moi de l'Auteur des Odes, des Fables, d'Inès de Castro, &c...

Je vous obéis, MADAME, je vais écrire. Il est vrai que d'ordinaire on ne pense pas affez exactement de ce qu'on aime, & on en parle moins exactement encore qu'on n'en penfe. Non-feulement l'amitié nous engage à eftimer au-delà du mérite réel, mais encore elle nous entraîne à louer audelà de notre eftime; on en croit plus qu'il n'en faut croire, & on en dit plus qu'on n'en croit. Je me flatte qu'avec de l'attention j'éviterai ce dernier excès. Je ne dis rien du premier, il me faudroit plus que de l'attention pour m'en garantir : Vous en jugerez, MADAME, votre jugement fera ma régle; & fi vous n'avez pas eftimé mon difcernement, vous aimerez ma docilité.

J'ofe le dire, fi jamais quelqu'un eut droit au titre d'efprit univerfel, c'est M. de la Motte. Du feul M. Leibnits nous ferons plufieurs Savans, dit M. de Fontenelle; dans l'Eloge de cet illuftre Etranger; du

แบ

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