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de fa fille n'empêcherent pas qu'on ne fit de grandes réjoüiffances dans la maison de Don Alonfe, où Ozmin & Daraxa allerent loger jufqu'au lendemain qu'ils prirent le chemin de Grenade avec Zuniga & Caftro, qui voulurent absolument les accompagner pour affister à leurs Nôces, Elles furent d'une magnificence extraordinaire; leurs Majeftez Catholiques les honnorerent de leur préfence. Il y eut des Tournois & des Courfes où les Mores & les Chrétiens montrerent à l'envi leur cou rage & leur adreffe. Enfin les deux Epoux, pour mieux mériter que le Ciel répandit Les graces fur leur hymenée, embrafferent notre Religion & devinrent la noble origine d'une des plus illuftres Maifons qu'il y ait aujourd'hui en Espagne.

L'Eccléfiaftique qui nous racontoit cette hiftoire, la finit en cet endroit. Après quoi fon compagnon & lui commencerent à

s'entretenir des Guerres de Grenade. Pendant ce tems-là, mon Anier voyant que nous étions fur le point d'arriver à Caçalla, voulut avoir une converfation particuliere avec moi. Depuis nos dernieres avantures, il n'avoit pas dit un mot; mais comme nous approchions des portes de la ville, & que nous allions nous féparer pour ne plus nous rejoindre, il rompit le filence, & me de

manda

manda trois écus, tant pour m'avoir voituré, que pour ma part de la dépenfe que nous avions faite à l'hôtellerie où nous avions fi bien foupé le foir précedent, & déjeûné le matin. Ce fut une autre hiftoire pour moi que ces trois écus, que je le défiai de me faire payer, n'en ayant pas feulement la moitié dans ma bourse. Nous nous échauffâmes fur cela tous deux de façon que je m'armai de deux cailloux, que je lui aurois fait voler à la tête, fi les Eccléfiaftiques par pitié ne m'euffent empêché de me faire battre. Ils prirent connoiffance de notre différend, s'érigerent d'eux-mêmes en Juges; & Parties oüies, me condamnerent à donner à l'Anier le quart de ce qu'il demandoit. J'obéis à cet Arrêt, qui, tout favorable qu'il m'étoit, me mit fi bien à fec, qu'à peine me refta-t-il dequoi faire les frais de mon fouper & de mon gîte dans úne hôtellerie où j'allai loger après avoir pris congé des Eccléfiaftiques & du malheureux Anier, qui ne fçut pas, je crois trop bon gré de ma rencontre à fon étoile.

Fin du premier Livre.

Tome I.

K

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HISTOIRE

DE GUZMAN

D'ALFARACHE,

LIVRE II.

CHAPITRE PREMIER.

Guzman fe fait Garçon d'un Maitre d'Hôtellerie.

M

E voici donc, Ami Lecteur, à douze lieuës de Seville, dans la meilleure Hôtellerie de Caçalla. L'on m'y donna bien à fouper pour le refte de mon argent, & l'on me fit coucher dans un bon lit. Cependant au lieu de dormir d'un fom

meil profond que les vapeurs des viandes & du vin me devoient procurer, j'eus une infomnie cruelle, & qui fut auffi longue que la nuit. L'état de mes affaires vint s'of frir à mon efprit, & lui préfenter mille affligeantes images. Jufqu'ici, difo s-je: j'ai eu, & j'ai mangé. Mais préfentement ce n'eft plus cela. On peut avec du pain fupporter toutes les afflictions de la vie. Il eft bon d'avoir un pere. Il eft bon d'avoir une mere; mais il vaut encore mieux avoir de quoi manger.

Je voyois déja la néceffité avec son vifage d'excommunié, & elle me faifoit peur. J'aurois volontiers pris le parti de n'aller pas plus avant, & de retourner à Seville, fi je n'euffe confideré que l'argent ne me manquoit pas moins pour reparer ma fottife, que pour la pouffer plus loin. Je resfemblois à un pauvre chien étranger, qui, fe trouvant au milieu d'une rue, voit devant & derriere lui plufieurs Dogues qui aboyent après lui: De plus, quelle honte ne m'imaginois-je point que ce feroit pour moi de reparoître comme un miférable chez ma mère, après en être forti avec tant de réfolution. La perte de mon manteau entroit auffi dans mes réflexions. Il me fembloit qu'elle donneroit un nouveau ridicule à mon retour. Cette dernie. conf

dération acheva de m'ôter l'envie de re prendre la route de Seville.

D'un autre côté encore, il me fâchoit fort de m'arrêter en fi beau chemin ; & le point d'honneur enfin l'emporta. Je me déterminai à pourfuivre mou voyage, en m'abandonnant à la Providence. Je me mis en fantaisie d'aller droit à Madrid, féjour ordinaire de nos Monarques, pour y voir un peu la Cour, que j'avois oui dire, être très-billante par le grand nombre de Seigneurs qui la compofoient, & fur tout par la préfence d'un jeune Roi nouvellement marié. Cela me paroiffoit mériter ma curiofité. Il me vint même là-deffus de belles idées. Je bâtis des châteaux fur le fable. Je me flatai qu'un garçon de mon air & de ma figure feroit bien-tôt remarqué dans ce païs-là: qu'il s'y feroit des amis, & ne manqueroit pas de bonnes fortunes. La tête échauffée de ces vifions flateufes, j'avois peu d'envie de dormir, & j'attendis'le jour avec impatience pour partir. Mais à peine fut-il venu: A peine eusje pris le chemin de Madrid, que toutes mes agréables chimeres s'évanouirent. Il ne me refta plus devant les yeux qu'une longue & pénible traitte à faire.

Je ne laiffai pas de me dire pour m'encourages: Allons, Seigneur Guzman,

Son

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