PROLOGUE.
LA PIÉTÉ.
Du séjour bienheureux de la Divinité,
Je defcends dans ce (*) lieu par la Grace habité. L'Innocence s'y plaît, ma compagne éternelle, Et n'a point fous les Cieux d'afyle plus fidelle. Ici, loin du tumulte, aux devoirs les plus faints Tout un peuple naissant eft formé par mes mains. Je nourris dans fon cœur la femence féconde Des Vertus, dont il doit fanétifier le monde. Un Roi qui me prot'ge, un Roi victorieux A commis à mes foins ce dépôt précieux. Ceft lui qui raffembla ces Colombes timides, Eparfes en cent lieux, fans fecours & fans guides. Pour elles à fa porte élevant ce Palais,
Il leur y fit trouver l'abondance & la paix.
Grand Dieu, que cet ouvrage ait place en ta mémoire. Que tous les foins qu'il prend pour foutenir ta gloire Solent gravés de ta main au Livre où font écrits Les noms predeftinés des Rois que tu cheris. Tu m'écoutes. Má voix ne t'eft point étrangere ; Je fuis la Piété, cette fille fi chere,
(*) La Maifon de Saint Cyr,
Qui t'offre de ce Roi les plus tendres foupirs : Du feu de ton amour j'allume fes defirs.
Du zele, qui, pour toi, l'enflamme & le dévore La chaleur fe répand du Couchant à l'Aurore. Tu le vois tous les jours, devant toi profterné, Humilier ce front de fplendeur couronné ; Et confondant l'Orgueil par d'auguftes exemples Baifer avec refpect le pavé de tes Temples. De ta gloire animé, lui feul de tant de Rois, S'arme pour ta querelle & combat pour tes droits. Le perfide Interêt, l'aveugle Jaloufie S'uniffent contre toi pour l'affreufe Heréfie. La Difcorde en fureur frémit de toutes parts. Tout femble abandonner tes facrés étendards; Et l'Enfer couvrant tout de fes vapeurs funèbres, Sur les yeux les plus faints a jetté fes tenebres. Lui feul invariable, & fondé fur la Foi, Ne cherche, ne regarde & n'écoute que toi: Et bravant du démon l'impuissant artifice, De la Religion foutient tout l'édifice.
Grand Dieu, juge ta caufe, & déploye aujourd'hui Ce bras, ce même bras, qui combattoit pour lui, Lorfque des Nations à faperte animéės
Le Rhin vit tant de fois difperfer les armées. Des mêmes ennemis je reconnois l'orgueil. Ils viennent fe brifer contre le même écueil.
Déjà rompant par-tout leurs plus fermes barrières, Du débris de leurs Forts il couvre fes frontieres. Tu lui donnes un Fils prompt à le feconder, Qui fait combattre, plaire, obéir, commander; Un Fils, qui, comme lui fuivi de la victoire, Semble à gagner fon cœur borner toute fa gloire ; · Ún‹Fils à tous fes vœux avec amour foumis, L'éternel défefpoir de tous fes ennemis.
Pareil à ces efprits que ta Juftice envoie,
Quand Jon Roi lui dit : parts, il s'élance avec joie, Du tonnerre vengeur s'en va tout embrafer,
Et tranquille à fes pieds revient le dépofer. Mais tandis qu'un grand Roivenge ainfi mes injures, Vous, qui goûtez ici des délices fi pures, S'il permet à fon cœur un moment de repos, A vos jeux innocens appellez ce Héros. Retracez-lui d'Efther l'hiftoire glorieufe Et fur l'impieté la Foi victorieuse.
Et vous, qui vous plaifez aux folles paffions, Qu'allument dans vos cœurs les vaines fictions Profanes amateurs de Spectacles frivoles, Dont l'oreille s'ennuie au fon de mes paroles › Fuyez de mes plaifirs la fainte aufterité. Tout refpire ici Dieu, la paix, la verité. -
ACTE PREMIER. Le Théâtre repréfente l'Appartement d'Efther.
SCENE PREMIERE. ESTHER, ÉLIS E..
ST-CE toi, chere Élife! ô jour trois fois heureux !
Que béni foit le Ciel qui te rend à mes
Toi, qui de Benjamin comme moi defcendue , Fus de mes premiers ans la compagne affidue; Et qui d'un même joug fouffrant l'oppreffion, M'aidois à foupirer les malheurs de Sion.
Combien ce tems encore eft cher à ma mémoire !? Mais toi, de ton Efther ignorois-tu la gloire ? Depuis plus de fix mois que je te fais chercher, Quel climat, quel défert a donc pu te cacher. ELISE.
Au bruit de votre mort juftement éplorée, Du refte des humains je vivois féparée,
Et de mes triftes jours n'attendois que la fin Quand tout-à-coup, Madame, un Prophete divin, Cepicurer trop long-tems une mort qui t'abuse, Leve-toi, m'a-t-il dit; prends ton chemin vers Sufe. Là tu verras d'Efther la pompe & les honneurs Et fur le trône affis le fujet de tes pleurs.. Raffure, ajouta-t-il, tes Tribus allarmées, Sion, le jour approche, où le Dieu des armées Va de fon bras puiffant faire éclater l'appui ; Et le cri de fon peuple eft monté jufqu'à lui, Il dit. Et moi de joie & d'horreur pénétrée, Je cours. De ce Palais j'ai fù trouver l'entrée. O fpectacle O triomphe admirable à mes yeux, Digne en effet du bras qui fauva nos Ayeux! Le fier Affuerus couronne fa captive,
Et le Perfan fuperbe eft aux pieds d'une Juive. Par quels fecrets refforts, par quel enchainement, Le Ciel a-t-il conduit ce grand événement ? ESTHE、R.
Peut-être on t'a conté la fameufe difgrace De l'altiere Vafthi, dont j'occupe la place, Lorfque le Roi contr'elle enflâmé de dépit La chaffa de fon trône, ainfi que de fon lit. Mais il ne put fi-tôt en bannir la penfée. Vafthi regna long-tems dans fon ame offenfée. Dans fes nombreux Etats il fallut donc chercher Quelque nouvel objet qui l'en pût détacher. De l'Inde à l'Hellefpont fes Efclaves coururent. Les Filles de l'Egypte à Sufe comparurent. Celles même du Parthe, & du Scythe indompté Y briguerent le fceptre offert à la beauté. On m'élevoit alors folitaire, & cachée Sous les yeux vigilans du fage Mardochée. Tu fais combien je dois à fes heureux fecours.. La mort m'avoit ravi les auteurs de mes jours. Mais lui, voyant en moi la fille de fon fiere,
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