페이지 이미지
PDF
ePub

de leur imagination, ils s'égarent en choififfant des fujets qui ne conviennent pas à leurs talens, & en imitant dans leurs premieres productions, le ftyle, le tour & la maniere de penfer des autres. Par exemple, Racine (a) compofa fa premiere Tragédie dans le goût de Corneille, quoique fon talent ne fût pas pour traiter la Tragédie, comme Corneille l'avoit traitée. Racine n'auroit pu fe foutenir, fi, pour me fervir de cette expreffion, il eût continué de marcher avec les brodequins de fon devancier. Il eft donc naturel que les jeunes Poëtes, qui, au lieu d'imiter la nature du côté que le génie la leur montre, l'imitent du côté par lequel les autres l'ont imitée, qui forcent leur talent, & le veulent affujettir à tenir la même route qu'un autre tient avec fuccès, ne faffent d'abord que des ouvrages médiocres. Ce font des aînés indignes ordinairement de leurs cadets.

[ocr errors]

Il feroit inutile cependant de vouloir engager des jeunes gens,preffés par l'émulation, excités par l'activité de l'â(a) Les Freres ennemis.

ge, & entraînés par un génie impatient de s'annoncer au public, d'attendre à fe produire, qu'ils euffent connu l'efpece dont eft leur talent, & qu'ils l'euffent perfectionné. On leur repréfenteroit en vain qu'ils peuvent gagner beaucoup à furprendre le public: Que le public auroit bien plus de vénération pour eux, s'il ne les avoit jamais vu des apprentifs: Que des chefs douvres inefpérés, contre lefquels l'envie n'a point eu le tems de cabaler, font bien un autre progrès que des ouvrages attendus longtems, qui trouvent les rivaux fur leurs gardes, & dont on peut définir l'auteur par un poëme ou par un tableau médiocre. Rien n'est capable de retenir la fougue d'un jeune homme, féduit encore par la vanité, dont l'excès feul eft à blâmer dans la jeuneffe. D'ailleurs, comme dit Cicéron, (a) Prudentia non cadit in hanc

ætatem.

Ces ouvrages précipités meurent ; mais il eft injufte de les reprocher à la mémoire des Artifans illuftres.Ne fautfaire un apprentissage dans toutes les profeffions? Or tout apprentis (a) Pro Cælio,

il

pas

fage confifte à faire des fautes, afin de` fe rendre capable de n'en plus faire. S'avifa-t'on jamais de reprocher à celui qui écrit bien en latin les barbarismes & les folécifmes dont les premiers thêmes ont été remplis certainement. Si les Peintres & les Poëtes ont le malheur de faire leur apprentiffage fous les yeux du public, il ne faut pas du moins que le public mette en ligne de compte les fautes qu'il leur a vu faire, lorfqu'il les définit, après qu'ils font devenus de grands Artifans.

Au lieu que les Artisans fans génie, qui font aufh propres à être les Eleves du Pouffin que du Titien, demeurent durant toute leur vie dans la route où le hazard les peut avoir engagés, les Artifans doués de génie, s'apperçoivent, quand le hafard les égare, que la route qu'ils ont prife n'eft point celle qui leur convient. Ils l'abandonnent pour en prendre une autre ; ils quittent celle de leur maître pour s'en faire une nouvelle. Par maître, j'entends ici les ouvrages auffi-bien que les perfonnes. Raphaël mort depuis deux cens ans, peut encore faire des Eleves. Notre jeune Artifan, doué de

génie, fe forme donc lui-même une pratique pour imiter la nature, & il forme cette pratique des maximes réfultantes de la réflexion qu'il fait fur fon travail & fur le travail des autres. Chaque jour ajoute ainfi de nouvelles lumieres à celles qu'il avoit acquifes précédemment. Il ne fait pas une élégie ni un tableau, fans devenir meilleur Peintre ou meilleur Poëte; & il furpaffe enfin ceux qui peuvent avoir été plus heureux que lui en maîtres & en modeles. Tout eft pour lui l'occafion de quelque réflexion utile ; & dans le milieu d'une plaine, il étudie avec au tant de profit que s'il étoit dans fon cabinet. Enfin, fon mérite parvenu où peut atteindre, se soutient toujours, jufques à ce que la vieilleffe affoiblif fant les organes, fa main tremblante fe refuse à l'imagination encore vigoureufe. Le génie eft dans les hommes, ce qui vieillit le dernier. Les vieillards les plus caducs fe raniment, ils redeviennent de jeunes gens; dès qu'il s'agit des chofes qui font du reffort de la profeffion, dont la nature leur avoit donné le génie. Faites parler de guerre cet Officier décrépit, il s'échauffe com;

il

[ocr errors]

me par infpiration; on diroit qu'il s'eft affis fur le trépied: il s'énonce comme un homme de quarante ans, & il trouve les chofes & les expreffions avec la facilité que donne, pour penfer & pour parler, un fang pétillant d'efprits.

Plufieurs témoins oculaires m'ont raconté, que le Pouffin avoit été jufques à la fin de fa vie un jeune Peintre du côté de l'imagination.Son mérite avoit furvécu a la dextérité de fa main, & il inventoit encore, quand il n'avoit plus les talens nécessaires à l'exécution de fes inventions. A cet égard, il n'en eft pas tout à-fait des Poëtes comme des Peintres. Le plan d'un long ouvrage, dont la difpofition, pour être bonne, veut être faite dans la tête de l'inventeur, ne peut être produite fans le fecours de la mémoire, ainfi ce plan doit fe fentir de l'affoibliffement de cette faculté, fuite trop ordinaire de la vieilleffe. La mémoire des vieillards eft in

fidéle pour les chofes nouvelles. Voilà d'où viennent les défauts qui font dans le plan des dernieres Tragédies du grand Corneille. Les événemens y font mal amenés, & fouvent les perfonnages s'y trouvent dans des fituations où

ils

« 이전계속 »