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zard de ne pas affez bien exprimer la force du Latin & du Grec, & de m'écarter de la pureté de ma langue.

faits.

III.

Je ne compte pour preuves que les témoignages des auteurs originaux, c'eft-à-dire, de ceux Choix des qui ont écrit dans le tems même, ou peu après. Car la mémoire des faits ne fe peut conferver longtems fans écrire : c'eft beaucoup, fi elle s'étend à un frécle, depuis que la vie des hommes eft bornée à foixante ou quatre-vingts ans. Un fils peut fe fouvenir après cinquante ans, de ce que fon pere ou fon ayeul lui auront raconté cinquante ans après l'avoir vu. Les faits qui paffent par plufieurs dégrez n'ont plus la même sûreté : chacun y ajoute du fien, même fans y penfer. C'eft pourquoi les traditions vagues des faits très-anciens, qui n'ont jamais été écrits ou fort tard, ne méritent aucune créance: principalement quand elles répugnent aux faits prouvez. Et qu'on ne dife point que les hiftoires peuvent avoir été perdues:car comme on le dit fans preuve, je puis dire auffi qu'il n'y en a jamais eu. Il en eft de même à proportion des auteurs qui ont écrit des faits plus anciens qu'eux de plufieurs fiécles: s'ils ne citent leurs auteurs, on a droit de les foupçonner d'avoir crû trop légérement des bruits populaires. Mais quand un auteur grave nomme des auteurs plus anciens, dont il a tiré ce qu'il raconte, il en doit être crû, quoique les auteurs plus anciens foient perdus. Ainfi Eufebe tient lieu d'original pour les trois premiers fiécles parce qu'il avoit quantité d'écrits que nous n'avons plus, dont fouvent il rapporte les propres paroles ; & par ceux qui nous reftent, nous voyons qu'il cite fidélement. Toutefois quand un auteur ancien en cite un plus ancien que nous avons, il faut toujours confulter

l'original, & cette précaution eft encore plus néceffaire quand celui qui cite eft moderne. Ainfi quoique Baronius non-feulement cite fes auteurs, mais en transcrive les paffages : je ne voudrois pas me contenter de fon autorité. Quiconque veut fçavoir sûrement l'hiftoire. eccléfiaftique, doit confulter les fources d'où Baronius l'a tirée ; d'autant plus qu'il a donné pour autentiques, des piéces dont la fuppoĥtion a été reconnue depuis, & que les verfions des auteurs Grecs, dont il s'eft fervi, ne font pas toujours fidéles. Son travail ne laiffe pas d'être d'une très-grande utilité à l'églife; & je reconnois que c'eft fur ce fonds principalement que j'ai travaillé, tâchant d'y joindre tout ce que les fçavans ont découvert depuis un fiécle.

Les auteurs même contemporains ne doivent pas être fuivis fans examen ; & c'est tout cet art d'examiner les preuves que les gens de lettres nomment Critique. Premiérement il faut fçavoir fi les écrits font véritablement de ceux dont ils portent les noms.Car on en a suppofé plufieurs, principalement pour les premiers fiécles. Quiconque eft un peu inftruit ne s'arrête plus aujourd'hui aux prétendus actes de S. Pierre par S. Lin, & de S. Jacques par Prochore, aux faux Hégéfippes, aux décrétales attribuées aux premiers papes: on a reconnu entre les ouvrages de la plupart des peres de l'églife des fermons & d'autres pieces qu'on avoit fait mal à propos paffer fous leur nom. Quand l'auteur eft certain, il faut encore examiner s'il eft digne de foi, à peu près comme on examine des témoins en juftice. Celui dont le ftile montre de la vanité,peu de jugement,de la haine,de l'intérêt ou quelqu'autre paffion, mérite moins de créance qu'un auteur férieux, modefte,judi

eieux, dont la vertu & la fincérité font d'ailleurs connues.Les hommes trop fins ou trop groffiers font prefque également fufpects:ceux-ci ne fçavent pas dire ce qu'ils veulent,ceux-là donnent fouvent pour véritez leurs pensées & leurs conjectures. Celui qui a vu eft plus croyable que celui qui a feulement oui dire ; & à proportion on doit préférer l'habitant du pays à l'étranger, celui qui rapporte fes propres affaires, aux perfonnes indifférentes. Car chacun doit être cru fur fa doctrine, fur l'histoire de fa secte:nul autre n'en eft jamais fi bien informé : les étrangers & les ennemis font fufpects,mais on prend droit fur ce qu'ils difent de favorable au parti contraire. Ce qui eft contenu dans les lettres & les autres actes du tems, doit être préféré au récit des hiftoriens. C'est par ces regles que l'on doit fe déterminer fur les contradictions des écrivains. S'il n'y a que de la diverfité, il faut les concilier: s'il eft impoffible, & que le fait foit important, il faut les choifir.Je fçai qu'il eft plus commode pour l'hiftorien de rapporter les différentes opinions des anciens, & en laiffer le jugement aux lecteurs. Mais ce n'est pas le plus agréable pour eux. La plupart cherchent des faits certains, ils ne veulent pas étudier, mais profiter des études d'autrui, & n'aiment pas à douter, parce que c'est toujours ignorer. C'eft ce qui m'a fait prendre le parti d'omettre la plupart des faits douteux, d'autant plus que je ne manquois pas de matiere.

Mais je n'ai pas cru devoir rapporter tous les faits qui font bien prouvez: j'ai laiffé ceux qui m'ont paru inutiles à mon deffein, c'est-à-dire, à montrer la doctrine de l'églife,fa difcipline & fes mœurs. Il eft vrai que dans les premiers fiécles, tout m'a paru précieux, & j'ai mieux aimé en mettre plus que moins.J'ai même paf

fé les bornes de la fimple narration,en inférant des paffages ou des extraits affez longs des auteurs anciens. Mais j'ai confidéré que l'hiftoire même profane ne confifte pas feulement en des faits extérieurs & fenfibles. Elle ne fe contente pas de raconter les voyages, les batailles, les prifes de villes, la mort ou la naiffance des princes: elle explique leurs deffeins,leurs confeils,leurs maximes:cette partie eft d'ordinaire la plus agréable aux gens fenfez, & c'est toujours la plus utile. A plus forte raison l'histoire de la religion ne doit pas feulement confiter à marquer les dates de l'élection ou de la mort des papes & des évêques, à raconter des miracles, ou les fupplices des martyrs, ou les auftéritez des moines. Tout cela y doit entrer,mais il est encore plus néceffaire d'expliquer quelle étoit cette doctrine que les miracles autorifoient, & que les martyrs foutenoient par leur témoignage. Il ne fuffit pas de dire qu'en tel tems,& en tel lieu on tint un concile, où un tel hérétique fut condamné: il faut autant qu'on le peut, expliquer les dogmes de cet hérétique, quelle couleur il leur donnoit, & par quelles preuves on les réfutoit. Si on écrivoit l'histoire de la philofophie, on ne fe contenteroit pas de raconter la vie des philofophes & leurs actions, on expliqueroit leurs dogmes. Or l'hiftoire eccléfiaftique eft l'hiftoire de la vraie philofophie, & les faits les plus importans qui la compofent, c'eft que dès un tel tems on enfeignoit telle doctrine, & on fuivoit telle maxime. Quant aux menus faits fans liaison entre ou fans rapport au but principal de toute l'hiftoire, j'eftime que l'on doit hardiment les négliger. Il ne s'agit pas de montrer que nous avons tout lû, & que rien n'a échappé à nos recherches: ce feroit une vanité puérile. Il s'a- ́

eux,

git d'édifier l'églife, & d'employer utilement notre loifir pour le foulagement de nos freres. Il ne faut mêler rien d'étrange au fujet, quelque curieux qu'il nous paroiffe, & ne pas faire comme Platine,qui faute de matiere remplit les vies des premiers papes de l'hiftoire des empereurs payens du même tems. On doit foigneufement diftinguer, même dans les princes Chrétiens, ce qu'ils ont fait comme Chrétiens, de ce qu'ils ont fait comme princes ; & depuis que les évêques & les papes ont eu grande part aux affaires féculiéres, ou qu'ils ont été princes temporels: il ne faut pas prendre le change, ni charger l'hiftoire eccléfiaftique,de ce qu'ils ont fait en une autre qualité que d'évêques & de Chrétiens. J'ai cru feulement devoir marquer la fuite des empereurs, comme un fil pour conduire la chronologie ; & j'ai raconté quelques faits de l'hiftoire profane, qui avoient rapport à mon fujet, principalement les morts tragiques des perfécuteurs.

Autant qu'il faut retrancher les faits inutiles, autant faut-il avoir foin de circonftancier les faits utiles. Non que je vouluffe me donner la liberté d'ajouter la moindre particularité, fous prétexte qu'elle feroit vraisemblable. Cette licence n'appartient qu'aux poëtes: l'hiftorien doit mettre l'exacte vérité pour fondement de fon travail, Mais il doit recueillir foigneufement toutes les circonstances qu'il trouve dans les originaux, afin de peindre les faits importans, & les mettre autant qu'il peut devant les yeux. Outre le plaifir que donnent ces peintures, l'utilité en eft grande: elles frappent vivement l'imagination, & entrent profondément dans la mémoire, tenant l'efprit arrêté longtems fur un même objet.Quand je n'écrirois qu'un abrégé,je voudrois raconter ainfi les faits que je jugerois, dignes d'y entrer; retranchant les

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