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Chrétien ne doit donc avoir aucune peine en général à croire des miracles: il n'est question que de la preuve du fait parculier. Ceux que l'écriture rapporte font au-deffus de toute autorité: mais ceux qui font rapportez par des auteurs graves ont auffi la leur à proportion. S. Irénée doit être cru, quand il témoigne que de fon tems les guérifons, les autres miracles & le don de prophétie étoient communs dans l'églife catholique. S. Cyprien doit être cru, quand il rapporte les révélations, que lui ou d'autres perfonnes de fon tems avoient euës. Je ne fais pas plus de difficulté de celles qu'Hermas récite dans fon livre du pasteur, & je les crois au pied de la lettre.Je crois celles de fainte Perpétuë, dont les actes font citez par Tertullien & par S. Auguftin: je crois les autres à proportion de l'autorité de ceux qui les ont écrites. Et je n'accorderai jamais aux Proteftans, que la piété des auteurs, ni la profeffion monaftique diminue leur autorité : au contraire la vraie piété éloigne la vanité & les paffions, qui font les fources du menfonge.

Un autre excès de critique eft de donner trop aux conjectures. Erafme, par exemple, a rejetté témérairement quelques écrits de S. Auguftin fur le ftile, qui lui a paru différent. D'autres ont corrigé des mots qu'ils n'entendoient pas, ou nié des faits écrits dans un auteur, parce qu'ils ne pouvoient pas les accorder à d'autres, d'une égale ou d'une moindre autorité, ou parce qu'ils ne pouvoient les concilier avec la chronologie dans laquelle ils fe trompoient. On a voulu tout fçavoir & tout deviner: chacun a rafiné fur les critiques précédens, pour ôter quelque fait aux hiftoires reçues & quelque ouvrage aux auteurs connus. J'ai méprifé cette critique dédaigneufe, & j'ai

B

fuivi ce que j'ai trouvé le plus univerfellement approuvé par les fçavans,fans trop m'arrêter aux conjectures nouvelles & finguliéres.Ayant pris mon parti, j'ai donné pour vrai ce qui m'a paru bien prouvé, le racontant fimplement : j'ai mis, on dit, à ce qui m'a paru douteux, quand j'ai cru le devoir rapporter, car le plus fouvent je l'ai entiérement paffé fous filence. C'eft,ceme femble, le meilleur moyen de combattre les erreurs innocentes, de ne les point relever. Je ne voudrois jamais avancer en prêchant ni en écrivant des faits que je ne croirois pas véritables, quoiqu'ils paffent pour tels parmi le peuple: mais je ne voudrois pas auffi les combattre publiquement fans néceffité. Quand on croira que S. Jacques a prêché en Espagne, ou que S. Martial a été un des foixante & douze difciples, on ne mettra pas fon falut en danger: mais de combattre directement ces créances en certains lieux & devant certaines perfonnes, ce feroit les fcandalifer, les aigrir & altérer notablement la charité. Il vaut donc mieux tolérer ces opinions, les paffant fous filence dans les écrits & dans les difcours publics, & nous contenter de les attaquer en par ticulier, quand nous trouvons des perfonnes capables de goûter nos raifons. Appliquonsnous à édifier, plutôt qu'à détruire: recueillons avec foin toutes les véritez importantes, établiffons-les folidement & les publions fur les toits: nous verrons infenfiblement tomber les erreurs, qu'une contradiction trop âpre ne feroit que fortifier.

Que l'on ne me demande donc point pourquoi dans le premier fiécle j'ai dit fi peu de chofes de la fainte Vierge & des apôtres; j'en ai dit tout ce que j'ai trouvé de certain : & j'ai recueilli jufques aux moindres parcelles des

traditions rapportées par S. Clément Alexandrin & par les autres auteurs les plus proches. Le furplus rapporté par Metaphrafte, par Nicephore & d'autres modernes, quiconque fe contente de leur autorité le peut croire: pour moi je ne l'ai pas cru digne d'être mêlé avec ce que j'ai tiré des actes & des épîtres des apôtres. Un fait n'eft ni plus certain, ni même plus vraisemblable pour se trouver dans un grand nombre d'auteurs nouveaux, qui fe font copiez les uns les autres. Quand tous les docteurs qui vivent aujourd'hui, s'accorderoient à dire que la fainte Vierge a vécu foixante & quinze ans : cette opinion n'en feroit ni plus vraie, ni plus probable, puifqu'elle n'a aucun fondement dans l'antiquité, que les faits ne fe devinent point à force de raisonner. Cependant comme des hommes aiment à fe déterminer,ce que le premier a avancé en devinant & difant: Peut-être, il eft plus pieux de le croire ainfi, un autre dit qu'il eft vraisemblable, un troifiéme l'avance comme certain en citant les deux premiers: la foule s'y laiffe entraîner; & quiconque veut enfuite approfon dir & remonter à la fource eft un novateur & un curieux téméraire. C'eft par la même raison que j'ai dit fi peu de chofes des premiers papes, & que je n'ai point rapporté les actes de tant de martyrs fameux, dont on trouve des légendes. La vraie piété nous fait aimer la vérité & nous contenter de ce que Dieu veut que nous fçachions. Je crains au contraire que plufieurs ne trouvent ici trop d'actes de martyrs & rapportez trop longuement. Je n'ai pas mis néanmoins tous ceux que le R. P. Dom Thierry Ruinart nous a donnez fous le nom d'actes fincéres & choifis ; & j'en ai laiffé quelques-uns, où je n'ai rien vu de fingulier. Voilà les regles

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VI.

J'hiftoire.

que j'ai voulu fuivre dans le choix des matériaux de cette hiftoire.

Quant à la maniere d'écrire, je vois deux méMéthode thodes pratiquées par les auteurs : l'une de pour écrire rapporter tout au long les paffages des originaux, enforte que l'auteur ne parle que pour en faire la liaison : l'autre d'en prendre la fubftance & composer l'histoire d'un ftile égal & continu. La premiere méthode eft celle des Centuriateurs & de Baronius; & on peut dire auffi que M. Hermant dans fes vies l'a plus fuivie que l'autre. Elle paroît la plus sûre & la plus folide. C'eft comme produire les pieces dans un procès: le lecteur n'a qu'à juger par lui-même. Mais cette méthode engage à une grande longueur & à de fréquentes répétitions. Car comme le même fait eft fouvent

raconté par différens auteurs, avec quelque diverfité de circonftances, il faut les rapporter tous, autrement le lecteur ne feroit pas pleinement inftruit. De plus en tranfcrivant les paffages entiers, on fe charge de tous les défauts des originaux, de leur obfcurité, de leur longueur, de leurs phrafes & de leurs paroles fuperflues: ce qui ne fait que fatiguer le lecteur, quand ce ne feroit que par la bigarrure du ftile. Les ouvrages même les mieux écrits deviennent très-défagréables, quand on n'en voit que des pieces hors de leur place. Car tout ce qui fert de preuve à l'histoire, n'est pas l'hiftoire, on la tire de toutes fortes d'écrits, des lettres des fermons, des panégiriques. Ce que faint Grégoire de Nazianze a dit fort éloquemment dans l'oraifon funebre de faint Bafile, devient froid & ennuyeux au milieu d'une hiftoire, ой l'on ne cherche que le fimple fait: au lieu que dans les difcours figurez les faits ne font le plus fouvent que touchez, & toujours enveloppez &

ornez: on ne les déméle qu'avec beaucoup d'application. Ainfi le lecteur de Baronius eft réduit à faire une étude pénible, au lieu de l'inftruction facile qu'il cherchoit : c'eft plutôt la matiere de l'hiftoire qu'il trouve bien préparée, que l'hiftoire même. D'ailleurs on fe trompe fi l'on prétend que cette méthode laiffe au lecteur la liberté entiere de juger. Le choix des faits & des paffages dépend toujours de l'auteur, fouvent il fupprime ce qui eft contraire à ses préjugez: & quant aux paffages qu'il rapporte, fouvent il les détourne ou les affoiblit, par les réflexions & les differtations que cette méthode attire néceffairement. Car en rapportant les paffages, il faut expliquer les termes obfcurs, lever les contradictions, concilier les divefitez. De tout cela ensemble résulte une prodigieufe longueur des livres, qui eft un plus grand mal que l'on ne croit, puifque c'est une des fources de l'ignorance: car qui a le loifir & le courage de lire tant de gros volumes?

L'autre méthode eft d'écrire d'un ftile uniforme, prenant feulement la fubftance des originaux, fans s'affujettir à leurs paroles. C'eft celle de M. Godeau, de M. Mainbourg & de la plupart des hiftoriens anciens & modernes ; & c'eft fans doute la plus agréable pour les lecteurs, mais ce n'eft pas la sûre. Quand l'auteur a l'efprit brillant & l'imagination fertile, il a peine à fe contenir dans les bornes étroites de la vérité ; & à ne pas ajouter du fien quelques réflexions qui lui poroiffent judicieufes, quelques fentences, quelques defcriptions, ou du moins quelques épithétes. J'ai cru prendre un milieu entre ces deux méthodes, en écrivant d'un ftile fuivi & qui n'est qu'une narration continue mais employant autant qu'il m'a été poffible, les paroles des originaux, traduites

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