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rectement : mais ce n'eft pas ainfi qu'on étudioit la grammaire dans nos écoles. On ne l'appliquoit point aux langues vulgaires, on les méprifoit encore comme indignes d'être écrites & employées dans les difcours férieux, & l'on s'opiniâtroit à tout écrire en Latin, quoique depuis plufieurs fiécles on ne le parlât plus en aucun pais du monde. On commença toutefois vers le milieu du douziéme fiécle à écrire en Roman, c'est-à-dire en François du temps: mais ce n'étoit gueres que des chansons traitant d'armes ou d'amours, comme on parloit alors, pour le divertiffement de la nobleffe, & de là eft venu le nom de Romans aux fables amoureuses. Le premier ouvrage férieux que je connoiffe en cette langue, eft l'hiftoire des ducs de Normandie écrite en vers l'an 1160. par un clerc de Caën nommé maître Vace.. Environ cinquante ans après Geoffroy de Villehardouin écrivoit en profe l'Hiftoire de la conquête de C. P. & depuis on s'enhardit peu à peu à écrire en langue vulgaire non-feulement en France, mais en Italie & en Espagne.

Toutefois je ne vois point qu'on y ait appliqué dans ces premiers temps l'étude de la grammaire; il femble que l'on craignoit de la profaner. J'en juge par l'hiftoire de Villehardouin, où je vois les mêmes mots écrits fi diversement,qu'il eft clair que l'ortographe n'en étoit pas encore fixée & peut-être la prononciation. Je n'y trouve point de diftinction du plurier & du fingulier, ni de conftruction uniforme: en un mot, aucune regularité. Delà vient qu'ils défiguroient fi fort les noms étrangers, & que nous trouvons Toldres Liaf cres dans Villehardouin pour Theodore Lafcaris: dans le Florentin Malefpini Pallioloco

pour Paleologue & Ghirigoro pour Gregoire : enfin dans d'autres plus modernes Cecile pour Sicile. Il eft encore important de fçavoir qu'en ces temps-là les laïques, même les plus grands feigneurs, n'avoient pour la plupart aucune teinture des lettres, jufques à ne fçavoir ni lire ni écrire. En forte que s'ils vouloient faire une lettre, ils appelloient un clerc,'c'est-à-dire, un eccléfiaftique, auquel ils difoient leur intention, & qui l'écrivoit en latin, comme il jugeoit à propos: puis quand on avoit reçû la réponfe, il falloit de même la faire expliquer. De-là vient qu'entre les lettres de Pierre de Blois, vous en voyez plufieurs au nom des princes & des princeffes, qu'il ne fait pas toujours parler de la maniere qui leur étoit la plus convenable.

On n'étudioit donc la grammaire que pour le Latin, ou plûtôt on apprenoit l'un & l'autre enfemble, comme nous faifons encore. Mais au lieu qu'on nous montre à préfent le latin le plus pur qu'il eft poffible, on se contentoit alors de ce latin groffier dont nous voyons des reftes dans les écoles de philofophie & de théologie. Ce langage du treiziéme fiécle & des deux fuivans eft rempli de mots latins détournez de leur vrai fens, ou formez fur les langues vulgaires, & mêlez de mots barbares tirez des langues Germaniques, comme guerra &treuga: enforte que ceux qui ne fçavent que le bon latin n'entendent point celui-ci, s'ils n'en font une étude particuliere; car on ne s'avife pas d'abord d'entendre par miles un chevalier, & par bellum une bataille. Par la raifon contraire, les fçavans de ces temps-là n'entendoient qu'à demi les auteurs de la pure latimité, & non-feulement les profanes, dont ils auroient peut-être pû fe paffer, mais leş

peres de l'églife, faint Cyprien, faint Hilaire, faint Jerôme, faint Auguftin : enforte que fouvent en les lifant ils ne prenoient pas leur pen fée. Et comme on ne lit pas volontiers ce qu'on n'entend pas, on négligea infenfiblement la lecture des anciens pour s'attacher aux modernes plus intelligibles; on en vint enfin à méprifer l'étude de l'antiquité comme une curio fité inutile. On réduifit donc la grammaire aux déclinaifons, aux conjugaifons & aux régles les plus communes de la fyntaxe ; suivant au refte la phrase des langues vulgaires, dont on empruntoit tous les jours de nouveaux mots, leur donnant seulement la terminaison latine. Il eft vrai que ce bas latin ayoit fon utilité: c'étoit une langue commune à tous les gens de lettres chez toutes les nations du rit Latin, comme elle l'eft encore particulierement dans le Nort.

Ceux qui étudioient fi mal le latin, dont ils fe fervoient continuellement pour parler & pour écrire, n'avoient garde d'étudier le grec ou l'hébreu, & toutefois les Latins mêlez avec les Grecs depuis la prife de C. P. avoient né ceffairement commerce avec eux, & les Juifs étoient répandus en France comme dans tout le refte de l'Europe: mais les commoditez d'apprendre ne fuffifent pas fans la curiofité. Car depuis les croifades les Francs avoient la mê me facilité d'apprendre l'arabe, le fyriaque & les autres langues Orientales ; & toutefois parmi ce clergé latin répandu dans l'Orient pen dant deux cens ans, je ne vois prefque perfon ne qui fe foit appliqué à l'étude de ces langues fi néceffaires pour connoître la religion, les loix & l'hiftoire des Mufulmans ; & ne pas donner dans des erreurs groffieres, en difant, comme ont fait quelques-uns, qu'ils adoroient

Mahomet, & en avoient des idoles. L'ignorance du grec réduifoit aux traductions pour lire les peres Grecs, & elles font toujours defectueufes: auffi les vois-je peu citez dans le temps dont je parle, fi ce n'eft S. Jean Damafcene & le prétendu S. Denis. Je trouve toutefois quelques exemples de Latins fçavans en grec & verfez dans la lecture des peres Hift. liv. Grecs: comme ces quatre religieux mendians . n. 29. envoyez par envoyez par le pape Gregoire IX. pour conferer avec les Grecs, dont ils combattirent fi Liv. LXXXI. bien les erreurs au concile de Nymphée en 7. 20. 29. 1234. Ce qui m'étonne, eft qu'ils n'ayent point formé de difciples: que d'autres à leur exemple ne fe foient pas appliquez à cette étude fi utile; & que dès-lors on n'ait pas établi dans nos écoles des profeffeurs pour la langue Grecque & P'explication des auteurs Grecs.

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Je trouve encore quelque peu de Chrétiens qui fçavoient l'hébreu, comme les deux qui furent employez à Paris à la traduction des extraits du Thalmud en 1248. & Robert d'AronE. 111. del en Angleterre. Mais je ne vois point qu'on profitât de cette étude pour l'intelligence du fens litteral de l'écriture, qui en eft le meilleur ufage, & pour la connoiffance des traditions des Juifs, qui revient à la même fin. Au contraire, on vouloit abolir la mémoire de ces traditions, comme il paroît par la condamnation du Thalmud; & on ne voyoit pas que c'étoit irriter les Juifs fans aucune utilité. Car que prétendoient faire nos docteurs en brûlant ses livres ? Les abolir entierement ? & ne voyoient-ils pas qu'ils fe confervoient entre les mains des Juifs répandus en Espagne & en Orient hors la domination des Chrétiens, qui avec un peu de temps & de dépenfe les communiqueroient aux autres? C'est ce qui eft ar

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rivé, & le Thalmud s'eft fi bien confervé, qu'il a été imprimé tout entier & plufieurs fois. Les Chrétiens curieux en ont profité; & laiffant à part les impietez, les fables & les impertinences des Rabins, ils en ont tiré des connoiffances très-utiles, tant pour entendre l'écriture, que pour combattre les Juifs par leurs pro

pres armes.

VI.

Après la grammaire on étudioit dans nos univerfitez la rhétorique, mais d'une maniere Rhethorique qui fervoit plûtôt à gâter le ftile qu'à l'enri- & Poëtique. chir. Leur rhétorique confiftoit à ne parler que par métaphores ou autres figures étudiées, évitant avec foin de s'expliquer fimplement & naturellement ce qui rend leurs écrits trèsdifficiles à entendre. Voyez les lettres du pape Innocent III. & de fes fucceffeurs, ou de Pierre de Blois, & fur tout celles de Pierre des Vignes, admirées en fon temps comme des mo→ déles d'éloquence, pulchra dictamina. D'où Ricard. Mcvient que Malefpini dans fon hiftoire de Flo- lefp. c. 131. rence l'appelle bon dictateur. Ce qu'ils affectoient furtout c'étoit d'employer les phrafes de l'écriture: non pour autorifer leurs pensées & fervir de preuves, qui eft l'ufage légitime des citations, mais pour exprimer les chofes les plus communes. Ainfi dans une histoire, au lieu de dire fimplement : Un tel mourut, ils difent: Il fut joint à fes peres; ou: Il entra dans la voie de toute chair. Or ces phrases gâtent encore leur latin étant traduites mot à mot de l'hebreu ; & il eft à craindre que pour les ajufter au fujet, l'auteur n'ait quelquefois forcé fa penfée, & dit un peu plus ou moins qu'il ne vouloit.

Un autre fruit de leur mauvaise rhétorique font les lieux communs dont leurs écrits font remplis. Comme ces ennuyeufes préfaces par

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