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bien fçavoir ces livres & appliquer la doctrine aux fujets particuliers. On ne s'avifoit point de chercher où Gratien avoit pris toutes ces piéces qui compofent fon recueil, & quelle autorité elles avoient par elles-mêmes, ce que c'étoit que ces décretales des premiers papes, qu'il rapporte fi fréquemment: fi ce qu'il cite fous le nom de S. Jerôme ou de S. Augustin, eft effectivement d'eux : ce qui précede & ce qui fuit ces paffages dans les ouvrages dont ils font tirez. Ces difcuffions paroiffoient inutiles ou impoffibles ; & c'eft en quoi je dis que le raifonnement de nos docteurs étoient court & leur logique défectueuse: car pour raisonner folidement, il faut toujours approfondir fans fe rebuter, jufques à ce que l'on trouve un principe évident par la lumiere naturelle, ou fondé fur une autorité infaillible.

Metal, bibą 111. c. 6.

&c. 11, c.

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Ce feroit le moyen de faire les démonstrations & parvenir à la véritable science: mais c'eft ce qu'on n'entreprenoit guères felon le témoignage de Jean de Salisberi. Il releve extrémement l'ufage des Topiques d'Ariftote & la science des veritez probables: prétendant qu'il y en a peu de certaines & néceffaires qui nous foient connues. Auffi avoue-t-il que la géométrie étoit peu étudiée en Europe : Voilà, 1v. c. 6; fi je ne me trompe, d'où vient que dans nos anciens docteurs nous trouvons fi peu de démonAtrations & tant d'opinions & de doutes. Le maître des fentences tout le premier eft plein de ces expreffions: Il femble, il eft vrai-femblable, on peut dire. Et toutefois il est plus décifif qu'un autre, puifqu'il avoit entrepris de concilier les fentimens des peres opposez en apparence. Je conviens que l'on peut quelquefois propofer modeftement les veritez les mieux établies, comme faifoit Socrate: cet adoucif

fement dans les paroles ne fait que fortifier la démonstration. Je conviens encore qu'il eft de la bonne foi de ne pas affirmer ce qu'on ne fçait point: mais je foutiens qu'on n'instruit pas des écoliers en leur propofant des doutes, & formant en eux des opinions qui ne les rendent point fçavans. Ne vaudroit-il pas mieux ne point traiter les queftions qu'on ne peut refoudre ; & fi un écolier les propofe, lui apprendre à borner fa curiofité indifcrete, & à dire quand il le faut : Je n'en fçai rien. On doit fe taire fur les matieres où l'on ne trouve point de principes pour raisonner. On ne doit point non plus propofer d'objections qui ne foient foli-des & férieufes. On ne peut en faire de telles contre les principes, ou les veritez démontrées en propofer fur toutes les questions, c'eft faire imaginer qu'elles font toutes problematiques. Pour bien faire, il ne faudroit mettre en queftion que ce qui peut effectivement être révoqué en doute par un homme de bon fens.

Car celui qui ne fçait que douter ne fçait rien, & n'eft rien moins qu'un philofophe. Les opinions font le partage des hommes vulgaires : & c'eft ce qui les rend incertains & legers dans leur créance & dans leur conduite, le laiffant éblouir par la moindre lueur de verité: ou bien ils demeurent opiniâtres dans une erreur, faute de fentir la force des raifons contraires. La vraie philofophie nous apprend à faire attention aux principes évidens, en tirer des conféquences légitimes, & demeurer inébranlables dans ce que nous avons une fois reconnu vrai. L'étude qui accoutume à douter eft pire que la fimple ignorance: puifqu'elle fait croire, ou que l'on fçait quelque chofe, quoiqu'on ne fçahe rien; ou que l'on ne peut rien fçavoir, qui

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eft le Pyrrhonyfie, c'eft-a-dire la pire difpofition de toutes, puifqu'elle éloigne mème de chercher la verité.

Le plus mauvais effet de la méthode topique & du défefpoir de trouver des veritez certaines, eft d'avoir introduit & autorifé dans la morale les opinions probables. Auffi cette partie de la philofophie n'a-t-elle pas été mieux traitée dans nos écoles que les autres. Nos docteurs accoutumez à tout contester & à relever toutes les vrai-femblances, n'ont pas manqué d'en trouver dans la matiere des mœurs ; & l'intérêt de flater leurs paffions ou celles des autres les a fouvent écartez du droit chemin. C'eft la fource du relâchement fi fenfible dans les cafuiftes plus nouveaux, mais dont je trouve le commencement dès le treiziéme fiécle. Ces docteurs fe contentoient d'un certain calcul de propofitions, dont le réfultat ne s'accordoit pas toujours avec le bon fens ou avec l'évangile mais ils concilioient tout par la subtilité de leurs distinctions. Je trouve un grand rapport entre ces chicanes & celles des Rabins du même temps.

Les principes de morale ne font pas tous auffi évidens que ceux de géométrie, & le jugement y eft fouvent alteré par les paffions: au lieu que perfonne ne s'intéreffe à courber une ligne droite, ou à diminuer un angle obtus. Mais la morale ne laiffe pas d'avoir fes principes certains autant à proportion que la géométrie; & ce feroit une erreur pernicieuse de la croire uniquement fondée fur des loix d'inftitution humaine & arbitraires. La raifon dit à tous les hommes qui veulent l'écou qu'ils ne fe font pas faits eux-mêmes ni ce monde qui les environne, & qu'il y a un être fouverain à qui ils doivent tout ce qu'ils

ter,

IX.

Moralc

:

font. Elle leur dit qu'étant tous égaux naturellement, ils doivent s'aimer, fe défirer & fe procurer réciproquement tout le bien qu'ils peuvent fe dire la verité, tenir leurs promefles & obferver leurs conventions. Ces grands principes ont été affermis par la révélation dans la loi & dans l'évangile; & l'on en déduira en raifonnant jufte tout le détail de la morale.

Cette étude doit donc confifter à mettre en évidence ces principes, & en tirer les conféquences utiles: non pas à examiner des queftions préliminaires, fi la morale eft pratique ou fpeculative: ou à des difputes générales fur la fin & les moyens, les actes & les habitudes, le libre & le volontaire. Il faut venir le plûtôt qu'il eft poffible au particulier & aux préceptes de pratique, fans s'arreter trop aux divifions & aux définitions des vertus ou des vices: qui fervent plus à orner l'efprit & à remplir la mémoire, qu'à toucher le cœur & à changer la volonté : qui font paroître fçavant fans rendre meilleur. C'eft toutefois l'unique but de la morale. Parlez bien ou mal, parlez ou ne parlez point, fi vous perfuadez à quelqu'un de bien vivre, vous êtes un bon maître de morale: au contraire, quand vous en parleriez comme un ange, fi vos disciples n'en font pas plus vertueux, vous n'ètes qu'un fophifte & un difcoureur. Auffi ne vois-je point dans le treiziéme fiécle de plus excellens maîtres de morale que S. François, S. Dominique & leurs premiers difciples: Comme le B. Jourdain & le B. Gilles d'Affise, dont les sentences valent bien les plus beaux apophtegmes des philofophes.

C'eft que ces faints perfonnages ne cherchoient point la morale dans Ariftote ni dans

fes

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fes commentateurs, mais immédiatement dans l'évangile, qu'ils méditoient fans ceffe pour le réduire en pratique ; & leur principale étu de étoit l'oraison. Et en vérité il est étonnant que des Chrétiens ayant entre les mains l'écriture fainte, ayent crû avoir befoin d'Aristote pour apprendre la morale. Je conviens qu'il a bien connu les mœurs des hommes qu'il en parle de bons fens & fait des réfléxions judicieufes: mais fa morale eft trop humaine, comme le qualifie S. Gregoire de Nazianze : Or. 33. P il fe contente de raisonner fuivant les maxi- 535. c. mes ordinaires ; & de-là vient, par exemples Ephef. c. 4. qu'il fait une vertu de l'Eutrapelie, que S. Paul Euf.prapar. compte entre les vices. Auffi les peres avoient lib 5. méprifé ce philofophe, quoiqu'ils l'entendif Hift. livre fent parfaitement, fur tout les Grecs, qui outre la langue qui leur étoit commune, avoient encore la tradition des écoles. Au contraire nos docteurs du douzième & du treiziéme fié, cle, qui en faifoient leur oracle & le nom moient le philofophe par excellence, ne le lifoient qu'en latin, & fouvent dans une verfion faite fur l'Arabe: ils ne connoiffoient ni les mœurs de l'ancienne Grece, ni les faits dont Ariftote parle quelquefois par occafion; & de-là viennent tant de bevues d'Albert le grand dans fes commentaires fur les livres de la Politique.

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Si quelque philofophe méritoit l'attention des Chrétiens, c'étoit bien plûtôt Platon, dont la morale eft plus noble & plus pure: parce que fans s'arrêter aux préjugés vulgaires, il remonte jufques aux premiers principes & cher-a che toujours le plus parfait. Aufli approche- v Ang t-il plus qu'aucun autre des maximes de l'e- v111. Civit. vangile ; & c'eft pourquoi les peres des pre-live c. 4. 5. 7. 8. miers fiécles en ont fait grand ufage, non pour 111.7.9.

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