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faits qu'il connoît dans un grand détail, & dont la proximité rend les dates certaines. Ainfi qui fe propoferoit l'histoire eccléfiaftique depuis le concile de Trente, ou même depuis celui de Conftance, auroit raifon de la ranger par annales. Mais de vouloir réduire ainfi des actes très-anciens, dont fouvent on ne sçait le tems que par conjecture, & fouvent on l'ignore abfolument, c'eft fe donner une grande peine, au hazard de fe tromper & d'induire les autres en erreur. Auffi malgré l'érudition profonde & le travail immense de Baronius, on a trouvé de grands mécomptes dans fa chronologie, & le R. P. Pagi entre les autres vient de nous donner plufieurs gros volumes pour les corriger.

Toutefois Baronius lui-même n'a pû fixer tous les faits: il y en a un grand nombre qu'il n'a rangé fous certaines années que par occafion, fans leur donner de date certaine : parce qu'en effet il eft impoffible de la fçavoir: comme quand il place la retraite de faint Bafile & de faint Grégoire de Nazianze l'an 363. après la mort de Julien l'apoftat : il auroit pû la mettre tout auffi-bien cinq ou fix ans plutôt. Cependant le lecteur qui veut être déterminé s'arrête à cette autorité, & croit fans l'examiner, que chaque fait eft arrivé dans l'année qu'il voit en tête de la page. Dans les faits même les plus certains, il n'eft pas toujours à propos de fuivre exactement l'ordre des années : autrement l'hiftoire tombera dans une extrême féchereffe, étant interrompue à tous momens & comme.hachée en menuës parcelles, dont chacune fera peu d'impreffion & ne donnera aucun plaifir. Il faudra paffer inceffamment d'Orient en Occident, de Rome à Antioche : quitter un concile commencé en Italie pour en voir un autre en Afrique : inférer une ligne pour mar

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1. Tim, VI.

quer la mort d'un pape ou d'un empereur: tout cela fans liaisons ou par des tranfitions forcées. Il vaut bien mieux anticiper quelques années ou y remonter, pour reprendre un fait important dès fon origine, & le conduire jufques à la fin. Le meilleur ordre eft celui qui conduit l'efprit le plus naturellement, pour entendre les choses & les retenir ; & l'on remédie à la confufion en marquant les dates.

Mais il eft de la bonne foi de ne les marquer que quand on les fçait ; & il n'est pas du devoir d'un historien de paffer sa vie à les rechercher. Cependant l'émulation des fçavans du dernier fiécle a pouffé la chronologie à une telle exactitude, que la vie de Noé n'y suffiroit pas. Il faudroit calculer exactement toutes les éclipfes dont on a connoiffance, & fixer leurs places dans la période Julienne. Sçavoir les époques de toutes les nations, leurs différentes espéces d'années & de mois, & en faire la réduction à la nôtre : examiner toutes les infcriptions des marbres antiques & des médailles : corriger les faftes confulaires : conferer toutes les dates qui fe trouvent dans les hiftoriens; & quand on defcend plus bas, venir aux cartulaires & aux titres particuliers. Quand finiront ces recherches? & comment s'affurera-t'on de ne s'être point mécompté? encore peut-on les fouffrir dans des faits dont il importe de fçavoir le tems: mais combien y en a-t'il qui ne font d'aucune conféquence? combien de difputes fur le fens d'une infcription ou fur l'occafion d'une médaille, qui au fonds ne nous apprend rien: pour fçavoir l'âge d'un empereur, le jour précis de fa mort, d'autres faits femblables, dont on ne veut rien conclure, finon que Baronius ou Scaliger fe font trompez. N'eft-ce point là ce que faint Paul appelle languir après des questions,

qui ne produifent que des jaloufies & des querelles? On retient bien plus les faits que les dates: dans notre propre vie souvent nous nous fouvenons d'avoir fait ou dit telle chofe, en tel lieu, avec telle perfonne, en telle faison, fans nous fouvenir du jour, ni de l'année. La plûpart des hiftoriens, & furtout les hiftoriens facrez ont écrit ainfi, & n'ont marqué les tems que quand ils étoient néceffaires, comme les dates des prophéties. Il importe pour la fuite de la tradition de fçavoir la fucceffion continue des papes & des autres évêques des fiéges apoftoliques: auffi les anciens nous l'ont-ils fidélement confervée. Mais il eft impoffible de fçavoir la durée de chaque pape pendant les deux premiers fiécles; & quand on la fçauroit, l'utilité en feroit petite, puifqu'on ne fçait prefque rien de leurs actions.

Voilà les raifons qui m'ont empêché de m'enfoncer dans les recherches de chronologie, afin d'avoir plus de tems pour examiner la fubftance des faits & les mettre en évidence. Je me fuis fervi du travail de ceux qui m'ont précédé, fans toutefois les fuivre aveuglement : j'ai marqué les dates qui m'ont paru folidement établies; je n'en ai point mis aux faits dont je n'ai point trouvé le tems certain, & je les ai placez dans les intervales les plus vraisemblables: toujours prêt à corriger mes fautes quand je les aurai reconnuës. J'ai fuivi les mêmes regles pour la géographie ; je m'en fuis rapporté à ceux qui en ont fait une étude particuliere. Mais j'ai foigneufement obfervé de nommer les lieux conformément à l'ufage de chaque tems. Pendant ces premiers fiécles, je dis toujours la Gaule, la Germanie, la Grand Bretagne, la Lufitanie. Il me femble que c'eft faire un anachronisme de parler autrement, & de

IX.

nommer France ou Angleterre les pays où les Francs & les Anglois n'étoient pas encore. J'ai été plus embarraffé pour la traduction des noms propres, qui ne font pas familiers en notre langue, & j'ai mieux aimé pour la plupart les laiffer entiers, comme on les prononce en Grec & en Latin, que de les trop défigurer, ou en rendre la prononciation incommode. Quant aux noms de dignitez & de fonctions, ou de certaines chofes qui regardent les mœurs, je les ai fouvent laiffez dans leur langue originale, les expliquant par circonlocution, plutôt que de les rendre par les mots qui fignifient parmi nous des chofes approchantes, mais qui tiennent trop de nos mœurs. Ainfi je ne dis point un colonel, mais un tribun, je dis des licteurs plûtôt que des fergens : je ne parle ni de gentilshommes, ni de bourgeois, mais de nobles, de citoyens, d'esclaves; enfin je conserve le caractere des mœurs antiques, autant que notre langue le peut fouffrir, & peut-être avec un peu trop de hardieffe.

En général j'ai moins fait d'attention à l'ePourquoi fi xactitude du ftile qu'au fond des choses, & j'efpeu d'ecrits pere que le lecteur équitable prendra le même des premiers efprit; qu'il ne cherchera dans l'histoire eccléfiecles. fiaftique que ce qui y eft, & qu'il s'appliquera

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plutôt à en profiter, qu'à la critiquer. Quelques-uns trouvent mauvais que l'hiftoire ne dife pas tout. Pourquoi, difent-ils, avonsnous fi peu de chofe des apôtres, de leurs premiers difciples, des premiers papes? pourquoi les anciens ne nous ont-ils pas expliqué plus en détail les cérémonies, la discipline & la police des églifes, les dogmes même de la religion? C'étoit la plainte des Centuriateurs aveugles, qui ne voyoient pas que ces plaintes attaquent la providence divine & la pro

meffe de J. C. d'affifter perpétuellement font églife! Adorons avec un profond respect la conduite de la Sageffe incarnée, fans rien défirer au-delà de ce qu'il lui a plû de nous donner. C'eft fans doute par de très-folides raifons que J. C. lui-même n'a rien écrit, & que fes apôtres ont écrit fi peu. Il y en a fept dont nous n'avons pas un mot, & plufieurs dont nous ne fçavons que les noms.Mais ce que les actes nous racontent de faint Pierre & de faint Paul fuffit pour nous faire juger des autres. Nous y voyons comment ils prêchoient aux Juifs, aux Gentils, aux ignorans, aux fçavans, leurs miracles, leurs fouffrances, leurs vertus. Quand nous fçaurions le même détail des actions de faint Barthelemi ou de faint Thomas nous n'en tirerions pas d'autres inftructions: la curiofité seulement feroit plus fatisfaite, mais elle est de ces paffions que l'évangile nous apprend à mortifier. Au contraire le filence des apôtres est d'une grande inftruction pour nous. Rien ne prouve mieux qu'ils ne cherchoient point leur propre gloire, que le peu de foin qu'ils ont pris de conferver dans la mémoire des hommes les grandes chofes qu'ils ont faites. Il fuffifoit pour la gloire de Dieu & pour l'inftruction de la poftérité qu'une petite partie fût connue: l'oubli qui ensevelit le refte eft plus avantageux aux apôtres que toutes les hiftoires, puifqu'il ne laiffe pas d'être conftant, qu'ils avoient converti des peuples innombrables. Tant d'églifes que nous voyons dès le fecond fiécle dans tous les pays du monde, ne s'étoient pas formées toutes feules; & ce n'étoit pas par hazard qu'elles confervoient toutes la même doctrine & la même difcipline. La meilleure preuve de la fageffe des architectes & du travail des ouvriers eft la grandeur & la folidité des édifices.

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