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c. 57.

Maurs Chr. miféricorde, que dans la punition des Romains il avoit fignalé fa juftice. Mais les barbares en devenant Chrétiens ne quitterent pas entiérement leurs anciennes mœurs : ils demeurerent la plupart légers, changeans, emportez, agiffans plus par paffion que par raifon. Vous avez vu quels Chrétiens c'étoient que Clovis & fes enfans. Ces peuples continuoient dans leur mépris pour les lettres & pour les arts, ne s'occupant que de la chaffe & de la guerre. De là vint l'ignorance, même chez les Romains leurs fujets. Car les mœurs de la nation dominante prévalent toujours, & les études languiffent, Gl'honneur & l'intérêt ne les foutient.

II.

Nous voyons la décadence des études dans Chûte des les Gaules dès la fin du fixiéme fiécle, c'est-àétudes, dire, environ cent ans après l'établissement des Francs. Nous en avons un exemple fenfible dans Grégoire de Tours. Il reconnoît lui-même qu'il avoit peu étudié la grammaire & les lettres humaines; & quand il ne l'avoueroit pas, on le verroit affez. Mais le moindre défaut de fes écrits eft le ftile; on n'y trouve ni choix de matieres, ni arrangement. C'est confufément l'hiftoire eccléfiaftique & la temporelle: ce font la plupart de petits faits de nulle importance, & il en releve fouvent des circonftances baffes & indignes d'une hiftoire férieufe. Il paroît crédule jusques à l'excès fur les miracles.

J'attribue ces défauts à la mauvaise érudition, plutôt qu'au naturel: autrement il faudroit dire que pendant plufieurs fiécles il ne feroit prefque pas né d'homme qui eût un fens droit & un jugement exact. Mais les meilleurs efprits fuivent aifément les préjugez de l'enfance & les opinions vulgaires, quand ils ne font pas exercez à raisonner, & ne fe propofent pas de bons

modeles. Les études ne tomberent donc pas entiérement avec l'empire Romain, la religion les conferva; mais il n'y eut plus que les eccléfiaftiques qui étudierent, & leurs études. furent groffieres & imparfaites. Je parle des sciences humaines; car pour les dogmes de la religion ils fuivoient l'autorité certaine de l'écriture & de la tradition des peres. Le pape Agathon le témoigne dans la lettre dont il chargea fes légats pour le fixiéme concile. Nous ne les envoyons pas, dit-il, par la con- Hift. 1, x1. fiance que nous avons en leur fçavoir. Car". 7. to. 6. comment pourroit-on trouver la science parfaite des écritures, chez des gens qui vivent au milieu des nations barbares, & gagnent à grande peine leur fubfiftance chaque jour par feur travail corporel? Seulement nous gardons avec fimplicité de cœur la foi que nos peres nous ont laiffée.

conc.

Dans les fiécles fuivans, les hommes les plus éclairez, comme Bede, Alcuin, Hincmar Gerbert fe fentoient du malheur des tems: youlant embraffer toutes les sciences, ils n'en approfondiffoient aucune, & ne fçavoient rien exactement. Ce qui leur manquoit le plus étoit la critique, pour diftinguer les piéces fauffes des véritables. Car il y avoit dès-lors quantité d'écrits fabriquez fous des noms illuftres, nonfeulement par des hérétiques, mais par des catholiques, & même à bonne intention. J'ai marqué que Vigile de Tapfe avoue lui-même avoir emprunté le nom de faint Athanafe, Hift. 1. xxx pour fe faire écouter des Vandales Ariens. Ainfi". 8. quand on n'avoit pas les actes d'un martyr pour lire au jour de fa fête, on en compofoit les plus vraisemblables ou les plus merveilleux que l'on pouvoit ; & par-là on croyoit entretenir la piété des peuples. Ces fauffes le

1. 14.

B. 22.

gendes furent principalement fabriquées à l'oc cafion des tranflations de reliques, fi fréquentes dans le neuviéme fiécle.

On faifoit auffi des titres, foit à la place des véritables que l'on avoit perdus, foit abfolument fuppofez; comme la fameufe donation de Conftantin, dont on ne doutoit pas en Hift. 1. 11. France au neuviéme fiécle. Mais de toutes ces piéces fauffes les plus pernicieuses furent les décrétales attribuées aux papes des quatre preHift.l. XLIV. miers fiécles, qui ont fait une plaie irréparable à la discipline de l'églife, par les maximes nouvelles qu'elles ont introduites, touchant les jugemens des évêques & l'autorité du pape. Hincmar, tout canonifte qu'il étoit, ne put jamais démêler cette fauffeté : il fçavoit bien que ces décrétales étoient inconnues aux fiécles précédens, & c'eft lui qui nous apprend quand elles commencerent à paroître: mais il ne fçavoit pas affez de critique, pour y voir les preuves de fuppofition, toutes fenfibles qu'elles font ; & lui-même allegue ces décrétales quand elles lui font favorables.

Un autre effet de l'ignorance eft de rendre les hommes crédules & fuperftitieux, faute d'avoir des principes certains de créance & une connoiffance exacte des devoirs de la religion. Dieu eft tout-puiffant, & les faints ont un grand crédit auprès de lui, ce font des véritez qu'aucun catholique ne contefte: donc je dois croire tous les miracles, qui ont été attribuez à l'interceffion des faints, la conféquence n'eft pas bonne. Il faut en examiner les preuves, & d'autant plus exactement, que ces faits font plus incroyables & plus importans. Car affuDam. vita rer un faux miracle, ce n'est rien moins felon S. Domin. faint Paul, que porter faux témoignage contre Loric. n. 1. Dieu comme remarque très-judicieufement

1. Cor. XV. 15. Petr.

faint Pierre Damien. Ainfi loin que la piété engage à les croire légèrement, elle oblige à en examiner les preuves à la rigueur. Il en eft de même des révélations, des apparitions d'efprits, des opérations du démon, foit par le ministere des forciers ou autrement : en un mot de tous les faits furnaturels, quiconque a du bon fens & de la religion doit être très-réservé à les croire.

C'est par cette raison que j'ai rapporté trèspeu de ce nombre infini de miracles que racontent les auteurs de ces fiécles moins éclairez. Il m'a paru que chez eux le goût du merveilleux l'emportoit fur celui du vrai ; & je ne voudrois pas répondre qu'en quelques-uns il n'y eût des motifs d'intérêt, foit d'attirer des offrandes par l'opinion des guérifons miraculeufes, foit de conferver des biens des églifes, par la crainte des punitions divines. Car c'eft à quoi tendent la plupart des hiftoires rapportées dans les recueils de miracles de S. Martin, de S. Benoît & des autres faints les plus fameux; comme fi ceux qui font faints pour avoir méprifé les richeffes fur la terre, étoient devenus intéreffez dans le ciel, & employoient leur crédit auprès de Dieu, pour fe venger de ceux qui pilloient les tréfors de leurs églifes. Je vois bien le principal motif qui engageoit

III.

à relever avec tant de foin ces prétendus mi- Menaces & racles. On vouloit retenir au moins par la crain- promeffes te des peines temporelles, ceux qui étoient temporelles. peu touchez des éternelles ; mais on ne s'appercevoit pas que c'étoit introduire une erreur dangereufe, en raifonnant fur ce principe, que Dieu punit ordinairement les méchans en cette vie. C'étoit ramener les Chrétiens à l'état de l'ancien teftament, où les ménaces étoient temporelles. C'étoit expofer au mépris l'auto

8.

rité de la religion, dont on prétendoit appuyer ces menaces, puifqu'elles étoient fouvent démenties par l'expérience, & que l'on voyoit tous les jours les ufurpateurs des biens de l'églife demeurer impunis, & vivre dans une santé & une profpérité parfaite.

Auffi n'étoit-ce pas la doctrine de l'antiquité 1. Civit. c. éclairée ; & S. Augustin a prouvé folidement le contraire. Il a plu, dit-il, à la divine providence de préparer à l'avenir des biens pour les juftes, dont les injuftes ne jouiront point; & pour les impies, des maux dont les bons ne feront point tourmentez. Mais quant à ces biens & ces maux temporels, il a voulu qu'ils fuffent communs aux uns & aux autres, afin que l'on ne défire pas trop ardemment des biens que l'on voit auffi entre les mains des méchans, & que l'on ne faffe rien de honteux , pour éviter des maux, que les bons mêmes fouffrent le plus fouvent. Et encore, fi tout péché étoit maintenant puni d'une peine manifefte, on croiroit que rien ne feroit réservé au dernier jugement; & fi Dieu ne puniffoit maintenant aucun péché évidemment, on croiroit qu'il n'y auroit point de providence. De même pour les biens 6.9. de cette vie, fi Dieu ne les donnoit à quelquesuns de ceux qui les demandent, il fembleroit que ces biens ne dépendroient pas de lui: & s'il les donnoit à tous ceux qui les demandent, nous croirions ne le devoir fervir que pour ces récompenses, & au lieu d'être pieux nous ferions

avares.

Il montre enfuite que les plus gens de bien ne laiffent pas de commettre des péchez, pour lefquels ils méritent des peines temporelles, & qu'il y a une autre raifon pour les faire fouffrir en cette vie comme Job, afin qu'ils connoiffent le fonds de leurs cœurs, & qu'ils appren

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