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qu'un souverain, parce qu'il a l'autorité de tout faire, ait aussi la liberté de tout dire. Au contraire, plus il est grand et considéré, plus il doit considérer lui-même ce qu'il dit. Les choses qui ne seraient rien dans la bouche d'un particulier deviennent souvent importantes par la seule raison que c'est le prince qui les a dites. Surtout la moindre marque de mépris qu'il donne d'un particulier ne peut qu'elle ne porte à cet homme un préjudice très grand, parce que, dans la cour des princes, chacun n'est estimé de ses pareils qu'à mesure qu'on le croit estimé du maître. Et de là vient que ceux qui sont offensés de la sorte portent ordinairement dans le cœur une plaie qui ne finit qu'avec la vie1.

Deux choses peuvent consoler un homme d'une raillerie piquante ou d'une parole de mépris que son semblable a dite de lui: la première, quand il se promet de trouver bientôt occasion de rendre la pareille, et la seconde, quand il peut se persuader que ce qu'on a dit à son désavantage ne fera pas d'impression sur ceux qui l'ont entendu. Mais celui de qui le prince a parlé sent d'autant plus vivement son mal qu'il n'y voit aucun de ces remèdes. Car enfin, s'il ose parler mal de son maître, ce n'est plus qu'en particulier, et sans pouvoir lui faire savoir ce qu'il en dit (qui est la seule douceur de la vengeance). Et il ne peut non plus se persuader que ce qui a été dit de lui n'a pas été écouté, parce qu'il sait avec quel agrément sont tous les jours reçues les paroles de ceux qui sont en autorité 2.

(Mémoires pour 1666, éd. de 1860, I, p. 195-196)

RESPECT DES PRINCES ENVERS DIEU

Vous devez savoir avant toutes choses, mon fils, que nous ne saurions montrer trop de respect pour celui qui nous fait respecter de tant de milliers d'hommes. La première partie de la politique est celle qui nous enseigne à le bien servir. La soumission que nous avons pour lui est la plus belle leçon que nous puissions donner de celle qui nous est

1. Louis XIV oublia les sages conseils qu'il avait donnés, le jour où il prononça, dit-on, les mots qui porterent un coup terrible au cœur sensible de Racine.

2. Ce morceau est écrit tout entier de la main de Louis XIV. « La générosité de ces sentiments est aussi touchante qu'admirable. Un monarque, qui donnait de pareilles leçons à son fils, avait sans doute un véritable cœur de roi, et il était digne de commander à un peuple dont le premier bien est l'honneur.»> (CHATEAUBRIAND, sur les Mémoires de Louis XIV, mars 1806).

due; et nous péchons contre la prudence, aussi bien que contre la justice, quand nous manquons de vénération pour celui dont nous ne sommes que les lieutenants 1.....

Quand nous aurons armé tous nos sujets pour sa gloire, quand nous aurons relevé ses autels abattus, quand nous aurons fait connaître son nom aux climats les plus reculés, nous n'aurons fait que l'une des parties de notre devoir. Et sans doute nous n'aurons pas fait celle qu'il désire le plus de nous, si nous ne sommes soumis nous-mêmes au joug de ses commandements. Les actions d'éclat et de bruit ne sont pas toujours celles qui le touchent davantage, et ce qui se passe dans le secret de notre cœur est souvent ce qu'il observe avec le plus d'attention.

Il est infiniment jaloux de sa gloire, mais il sait mieux que nous discerner en quoi elle consiste. Il ne nous a peutêtre faits si grands qu'afin que nos respects l'honorassent davantage; et si nous manquons de remplir en cela ses desseins, peut-être qu'il nous laissera tomber dans la poussière de laquelle il nous a tirés.

Beaucoup de mes ancêtres 2, qui ont voulu donner à leurs successeurs de pareils enseignements, ont attendu pour cela l'extrémité de leur vie. Mais je ne suivrai pas en ce point leur exemple. Je vous en parle dès cette heure, mon fils, et vous en parlerai toutes les fois que j'en trouverai l'occasion. Car, outre que j'estime qu'on ne peut de trop bonne heure imprimer dans les jeunes esprits des pensées de cette conséquence, je crois qu'il se peut faire que ce qu'ont dit ces princes dans un état si pressant ait quelquefois été attribué à la vue du péril où ils se trouvaient: au lieu que, vous en parlant maintenant, je suis assuré que la vigueur de mon âge, la liberté de mon esprit et l'état florissant de mes affaires ne vous pourront jamais laisser sur ce discours aucun soupçon de faiblesse ou de déguisement 3.

(Mémoires pour 1661, éd. de 1860, t. II, p. 421-424.)

1. « Premièrement, c'est Dicu qui forme les royaumes pour les donner à qui il lui plaît; et secondement... il sait les faire servir, dans les temps et dans l'ordre qu'il a résolu, aux desseins qu'il a sur son peuple. C'est ce qui doit tenir tous les princes dans une entière dépendance, et les rendre toujours attentifs aux ordres de Dieu, afin de prêter la main à ce qu'il médite pour sa gloire dans toutes les occasions qu'il leur en présente.» (BOSSUET, Discours sur l'histoire universelle, III partie, chap. 1.)

2. Notamment Louis XI.

3. On voit, par les trois extraits que nous venons de faire, que Louis XIV donna les plus sages conseils à son fils; il n'en donna pas de moins bons à son petits-fils, le roi d'Espagne; car madame de Maintenon écrivait de Saint-Cyr,

BAYLE

(1647-1706)

Pierre Bayle naquit dans le comté de Foix d'une famille protestante. Un moment converti au catholicisme par les jésuites, il revint promptement à sa première religion. Après quelques années de préceptorat, il obtint au concours en 1675 la chaire de philosophie de Sedan. Six ans après, il se rendit à Rotterdam, où il passa les dernières années de sa vie à discuter des questions d'érudition et de philosophie avec tous les savants contemporains. Il a publié en 1681 des Pensées sur la comète et une Critique générale de l'Histoire du Calvinisme du P. Maimbourg en 1684, un Recueil de pièces curieuses concernant la philosophie de M. Descartes, puis des Nouvelles de la république des lettres, et enfin son fameux Dictionnaire historique et critique, à l'élaboration duquel il consacra ses dernières années.

QUE LES PRÉSAGES DES COMÈTES NE SONT APPUYÉS D'AUCUNE BONNE RAISON

J'entends raisonner tous les jours plusieurs personnes sur la nature des comètes, et, quoique je ne sois astronome ni d'effet ni de profession, je ne laisse pas d'étudier soigneusement tout ce que les plus habiles ont publié sur cette matière; mais il faut que je vous avoue, Monsieur, que rien ne m'en paraît convaincant que ce qu'ils disent contre l'erreur du peuple, qui veut que les comètes menacent le monde d'une infinité de désolations 1.

C'est ce qui fait que je ne puis pas comprendre comment un aussi grand docteur que vous, qui, pour avoir seulement prédit au vrai le retour de notre comète, devrait être convaincu que ce sont des corps sujets aux lois ordinaires de la nature, et non pas des prodiges, qui ne suivent aucune

le 3 décembre 1700, au duc d'Harcourt : « Rien n'approche de la droiture des maximes que le roi a prêchées en toute occasion à son petit-fils, comme d'ètre bon Espagnol, de les aimer, de renvoyer les Français à la première faute qu'ils feraient, de ne les jamais soutenir contre ses sujets, de s'appliquer aux affaires, de ne faire qu'écouter dès les premières années, d'aimer les gens de mérite, de distinguer les gens de qualité, etc. Votre vertu romaine goûtera de telles leçons. >> Nous l'avons, en dormant, madame, échappé belle: Un monde près de nous a passé tont du long, Est chu tout au travers de notre tourbillon, Et, s'il eût en chemin rencontré notre terre, Elle eût été brisée en morceaux, comme verre.

1.

(MOLIÈRE, les Femmes savantes, IV, 11.)

règle, s'est néanmoins laissé entraîner au torrent, et s'imagine avec le reste du monde, malgré les raisons du petit nombre choisi, que les comètes sont comme des hérauts d'armes qui viennent déclarer la guerre au genre humain de la part de Dieu. Si vous étiez prédicateur, je vous le pardonnerais, parce que ces sortes de pensées, étant naturellement fort propres à être revêtues des plus pompeux et des plus pathétiques ornements de l'éloquence, font beaucoup plus d'honneur à celui qui les débite et beaucoup plus d'impression sur la conscience des auditeurs que cent autres propositions prouvées démonstrativement. Mais je ne puis goûter qu'un docteur, qui n'a rien à persuader au peuple, et qui ne doit nourrir son esprit que de raison toute pure, ait en ceci des sentiments si mal soutenus, et se paie de tradition, et de passages de poètes et d'historiens.

(Pensées diverses écrites à un docteur de la Sorbonne à l'occasion de la comète qui parut en décembre 1680, t. I, chap. m.)

SARRASIN
(1605-1654)

Jean-François Sarrasin, né à Hermanville, près de Caen, devint, par la protection de la princesse Sophie, fille du roi de Bohême, secrétaire des commandements du prince de Conti. On raconte qu'il mourut d'un coup de pincette à la tempe que le prince lui aurait porté. La cruauté bien connue de la famille de Condé rend vraisemblable cette anecdote. (Voir dans nos Morceaux choisis du dix-huitième siècle le récit de la mort de Santeul par Saint-Simon). Sarrasin a fait une grande quantité de petits vers, remarquables par leur tour spirituel, et à laissé deux ouvrages historiques très supérieurs à ses vers: la Relation du siège de Dunkerque (1649) et la Conspiration de Wallenstein. Cousin en a pu dire dans la Société française au dix-septième siècle (I, 107), que c'étaient «<les meilleures pages d'histoire sorties d'une plume française au dix-septième siècle. »

LE SIÈGE DE DUNKERQUE PAR CONDÉ

La pluie tombant sans relâche 2 pourrissait l'équipage des soldats, le vent les morfondait ; ils n'avaient pas de feu

1. Les hérauts d'armes étaient des officiers chargés de faire les proclamations. 2. On est dans l'automne de 1646.

3

1

suffisamment pour se sécher; le sable piquant et menu, poussé par le vent, corrompait le peu qu'ils apprêtaient pour vivre, et les aveuglait avec douleur ; leurs huttes étaient mal faites; une partie couchait dans la boue. Parmi tant de difficultés, outre les fonctions militaires du travail, des tranchées et de la garde du camp, il fallait réparer ce que la force de l'Océan ruinait à l'estacade ou aux écluses 2, et creuser continuellement les fossés des lignes, que le vent comblait de sable. Les fatigues étaient redoublées; les nuits froides, sans repos; les chevaux, mal établés et mal nourris, pâtissaient; les maladies commençaient à travailler les hommes et les animaux de l'armée. Ces grandes incommodités n'étonnaient pas le prince, à qui elles avaient été présentes 3 dès le moment qu'il avait formé son dessein, et qui avait dès lors si bien pris ses mesures que, par sa diligence et par ses extrêmes soins, son armée pouvait les supporter plus de temps qu'il n'avait jugé lui être nécessaire pour prendre Dunkerque par force. Mais comme il y avait à craindre, si l'on attaquait la place avec les sûretés que l'on cherche aux autres sièges, qu'après un long temps employé sans avantage, l'hiver qui approchait ne rendit tant de précautions inutiles, et que la mortalité ne détruisît l'armée, il se confirmait entièrement dans sa première résolution, de tenter la promptitude de l'exécution par la voie des armes, et pensait judicieusement que c'était conserver les soldats d'en hasarder un petit nombre en des occasions glorieuses, pour le salut de tous les autres. Par là encore il ménageait le temps, dont la perte est irréparable; il satisfaisait au désir de toute l'armée, impatiente de sortir de ces incommodités, et faisait réussir cette fameuse entreprise, malgré les obstacles des hommes et de la nature.

1. On donne le nom d'estacade à plusieurs pièces de bois retenues par des chaînes, qu'on jette dans le chenal pour fermer l'entrée d'un port

2. Mademoiselle de Scudéry, dans le Grand Cyrus (VII, 1), nous confirme que, pour consolider les sables, Condé (Cyrus) y avait fait enfoncer des pieux, et qu'avec d'autres pieux, de grosses pierres et des remblais de terre il avait construit une digue destinée à empêcher la mer d'envahir l'étroit chemin par où lui arrivaient ses vivres.

3. Qui les avait prévues.

4. Pour tous ces détails, le Grand Cyrus (VII, 11) est absolument d'accord avec la Relation de Sarrasin : « La pluie étant continuelle et l'hiver commençant déjà de venir, les soldats souffraient beaucoup. L'impétuosité du vent, poussant quelquefois une nuée de sable sur tout le camp, les aveuglait; leurs huttes et leurs tentes en étaient même abattues, et une partie des soldats couchaient dans la fange. Outre toutes les fonctions de la guerre, il fallait continuellement travailler, ou à réparer ce que la mer gâtait aux travaux, ou à refaire de nouveaux fossés, parce que le vent comblait les lignes de sable en

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