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chons un peu notre ami Marseille 1. » Nous ne l'avons point vu. Je lui ai dit tout bas : « Si c'était l'or aison funèbre de quelqu'un qui fût vivant, il n'y manque rait pas. » Cette folie l'a fait rire, sans aucun respect de la pompe funèbre.

Ma bonne, quelle espèce de lettre est-ce ici? Je pense que je suis folle. A quoi peut servir une si grande narration? Vraiment j'ai bien contenté le désir que j'avais de conter... (Ed. Marcou, chez Delagrave.)

UNE SÉPARATION

A Mme DE GRIGNAN

Voici un terrible jour

A Montélimar, jeudi 5 octobre 1673. ma chère fille; je vous avoue que je n'en puis plus. Je vous ai quittée dans un état qui augmente ma douleur. Je songe à tous les pas que vous faites 3 et à tous ceux que je fais, et combien il s'en faut qu'en marchant toujours de cette sorte, nous puissions jamais nous rencontrer. Mon cœur est en repos quand il est auprès de vous : c'est son état naturel, e le seul qui peut lui plaire. Ce qui s'est passé ce matin me donne une douleur sensible, et me fait un déchirement dont votre philosophie sait les raisons : je les ai senties et les sentirai longtemps. J'ai le cœur et l'imagination remplis de vous; je n'y puis penser sans pleurer, et j'y pense toujours de sorte que l'état où je suis n'est pas une chose soutenable; comme il est extrême, j'espère qu'il ne durera pas dans cette violence. Je vous cherche toujours, et je trouve que tous me manque, parce que vous me manquez. Mes yeux, qui vous ont rencontrée depuis quatorze mois, ne vous trouvent plus. Le temps agréable qui est passé rend celui-ci douloureux, jusqu'à ce que j'y sois un peu accoutumée; mais ce ne sera jamais assez pour ne pas souhaiter ardemment de vous revoir et de vous embrasser. Je ne dois pas espérer mieux de l'avenir que du passé. Je sais que votre absence m'a fait souffrir; je serai encore plus à plaindre, parce que je me suis fait imprudemment une habitude nécessaire de vous voir. Il me semble que je ne vous ai point assez embrassée en partant : qu'avais-je à ménager? Je ne vous ai point assez dit com

1. M. de Grignan n'était pas trop bien avec son évêque.

2. Madame de Sévigné, revenant à Paris, avait quitté sa fille le matin même. 3. Madame de Grignan s'enfonçait dans le Midi, gagnant Salon et Aix.

bien je suis contente de votre tendresse ; je ne vous ai point assez recommandée à M. de Grignan; je ne l'ai point assez remercié de toutes ses politesses et de toute l'amitié qu'il a pour moi; j'en attendrai les effets sur tous les chapitres : il y en a où il a plus d'intérêt que moi, quoique j'en sois plus touchée que lui 1. Je suis déjà dévorée de curiosité ; je n'espère de consolation que de vos lettres, qui me feront encore bien soupirer. En un mot, ma fille, je ne vis que pour vous: Dieu me fasse la grâce de l'aimer quelque jour comme je vous aime!

Adieu, ma chère enfant, aimez-moi toujours : hélas! nous revoilà dans les lettres.

(Ed. Marcou, chez Delagrave.)

VICHY EN 1676 2

A Mme DE GRIGNAN.

Vichy, mercredi 20 mai 1676.

J'ai donc pris des eaux ce matin, ma très chère; ah! qu'elles sont mauvaises 3! J'ai été prendre le chanoine1, qui ne loge point avec madame de Brissac 5. On va à six heures à la fontaine : tout le monde s'y trouve; on boit, et l'on fait une fort vilaine mine; car imaginez-vous qu'elles sont bouillantes, et d'un goût de salpêtre fort désagréable. On tourne, on va, on vient, on se promène, on entend la messe, on rend ses eaux, on parle confidemment

1. Madame de Sévigné voulait faire donner à son gendre une charge à la cour. 2. Madame de Sévigné avait été envoyée à Vichy pour ses rhumatismes, et s'en trouva bien. On montre à Vichy un pavillon qu'elle aurait habité; mais cette assertion ne s'appuie sur aucune preuve.

3. La marquise était un peu petite-maîtresse.

4. Madame de Longueval, chanoinesse, sœur de la maréchale d'Estrée. 5. Une coquette, dont s'amuse madame de Sévigné.

6. Chapelain a chanté

Ces vallons où Vichy, par ses chaudes fontaines,
Adoucit tous les jours mille cuisantes peines,

et Fléchier parle longuement de ces eaux dans ses Mémoires sur les GrandsJours tenus à Clermont en 1665: « Passant à travers le soufre ou le vitriol, elles se rendent dans de grands bassins qu'on leur a faits, et se présentent en Fouillonnant à tous ceux qui viennent rechercher leur assistance. Aussi on les renferme sous des grilles de fer, et l'on les tient aussi chères que les liqueurs les plus précieuses..... La saison était fort avancée, et la plupart des buveurs s'étaient déjà retirés; il n'y restait presque que ceux qui y viennent les premiers et restent toujours les derniers je veux dire des religieux et des religicuses.» (Ed. Gonod, p. 49-50.)

de la manière dont on les rend: il n'est question que de cela jusqu'à midi. Enfin, on dîne. Après diner, on va chez quelqu'un c'était aujourd'hui chez moi. Madame de Brissac a joué à l'ombre avec Saint-Hérem 2 et Planci ; le chanoine et moi, nous lisons l'Arioste; elle a l'italien dans la tête, elle me trouve bonne. Il est venu des demoiselles du pays avec une flûte, qui ont dansé la bourrée dans la perfection 5.... Enfin, à cinq heures, on va se promener dans des pays délicieux; à sept heures, on soupe légèrement, on se couche à dix. Vous en savez présentement autant que moi. Je me suis assez bien trouvée de mes eaux ; j'en ai bu douze verres : elles m'ont un peu purgée, c'est tout ce qu'on désire. Je prendrai la douche dans quelques jours. Je vous écrirai tous les soirs; ce m'est une consolation, et ma lettre partira quand il plaira à un petit messager qui apporte les lettres, et qui veut partir un quart d'heure après : la mienne sera toujours prête. L'abbé Bayard vient d'arriver de sa jolie maison pour me voir : c'est le druide Adamas de cette contrée 7.

LA PREMIÈRE REPRÉSENTATION D'ESTHER

A MADAME DE GRIGNAN

A Paris, ce lundi 21 février 1689.

Je fis [ma cour], l'autre jour, à Saint-Cyr 9, plus agréable

1. Jeu de cartes emprunté à l'Espagne, qui se joue à deux, trois, quatre ou cinq personnes, et avec quarante cartes seulement, les huit, les neuf et les dix ayant été enlevés.

2. François-Gaspard de Montmorin, marquis de Saint-Hérem.

3. Le marquis de Planci était fils de du Plessis-Guénégaud, le secrétaire d'État, 4. Poète italien (1474-1533), auteur du Roland furieux.

Flechier,

5. Cette bourrée charme absolument madame de Sévigné; elle écrira encore à sa fille, le 8 juin : « Tout mon déplaisir, c'est que vous ne voyiez point danser les bourrées de ce pays; c'est la plus surprenante chose du monde. Des paysans, des paysannes, une oreille aussi juste que vous, une légèreté, une disposition.... enfin j'en suis folle. Je donne tous les soirs un violon avec un tambour de basque, à tres petits frais; et dans ces prés, et ces jolis bocages, c'est une joie de voir danser les restes des bergers et des bergeres du Lignon. dans ses Mémoires sur les Grands-Jours tenus à Clermont en 1665 (Ed. Gonod, p. 267) parle aussi de ces danses : « On ne laissa pas de danser encore quelques bourrées et quelques goignades. Ce sont deux danses qui sont d'une même cadence, et qui ne sont differentes qu'en figures. La bourrée d'Auvergne est une danse gaie, figurée, agréable, où les départs, les rencontres et les mouvements font un très bel effet et divertissent fort les spectateurs. »

6. De Langlar.

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7. On voit par la fin de cette lettre, comme par la note qui précède, que, sur les bords de l'Allier, mille souvenirs de l'Astrée se réveillaient dans l'esprit de madame de Sévigné. Le druide Adamas est le sage de l'Astrée. Voir nos extraits de d'Urfé.

8. Le 19.

9. Voir notre Notice sur madame de Maintenon. La maison de Saint-Cyr fut fermée à la révolution. Une des sœurs de Napoléon s'y trouvait alors.

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ment que je n'eusse jamais pensé. Nous y allâmes samedi, madame de Coulanges 1, madame de Bagnols 2, l'abbé Testu 3 et moi. Nous trouvâmes nos places gardées. Un officier dit à madame de Coulanges que madame de Maintenon lui faisait garder un siège auprès d'elle; vous voyez quel honneur. << Pour vous, Madame, me dit-il, vous pouvez choisir. » Je me mis avec madame de Bagnols au second banc derrière les duchesses. Le maréchal de Bellefonds vint se mettre, par choix, à mon côté droit, et devant c'étaient mesdames d'Auvergne, de Coislin et de Sully 7. Nous écoutâmes, le maréchal et moi, cette tragédie avec une attention qui fut remarquée, et de certaines louanges sourdes et bien placées, qui n'étaient peut-être pas sous les fontanges 8 de toutes les dames. Je ne puis vous dire l'excès de l'agrément de cette pièce c'est une chose qui n'est pas aisée à représenter, et qui ne sera jamais imitée ; c'est un rapport de la musique, des vers, des chants, des personnes, si parfait et si complet, qu'on n'y souhaite rien; les filles qui font des rois et des personnages sont faites exprès : on est attentif, et on n'a point d'autre peine que celle de voir finir une si aimable pièce; tout y est simple, tout y est innocent, tout y est sublime et touchant cette fidélité de l'histoire sainte donne du respect; tous les chants convenables aux paroles, qui sont tirées des Psaumes et de la Sagesse et mis dans le sujet, d'une beauté qu'on ne soutient pas sans larmes : la mesure de l'approbation qu'on donne à cette pièce, c'est celle du goût et de l'attention. J'en fus charmée et le maréchal aussi, qui sortit de sa place pour aller dire au roi combien il était content, et qu'il était auprès d'une dame

1. Voir la lettre sur le Mariage de Mademoiselle.

2. Cousine et femme de Louis du Gué de Bagnols, intendant de Flandre. 3. De l'Académie française.

4. Bernardin Gigault, marquis de Bellefonds, ami de Bossuet, premier maître d'hotel du roi en 1663, et maréchal de France en 1668. Il était très pieux et faisait souvent des retraites à la Trappe. Voir plus haut une lettre de Bossuet sur la mort d'une de ses tantes.

5. Henriette-Françoise de Zollern, fille du prince héritier de Hohen-Zollern, mariée à Frédéric de la Tour, neveu de Turenne.

6. Madeleine du Halgoët, duchesse de Coislin, était, dit Saint-Simon (V, p. 22) «femme de mérite et de vertu, et mère de la duchesse de Sully, du duc de Coislin et de l'évêque de Metz. »

7. Femme de Maximilien de Béthune, duc de Sully, à la mort duquel elle se retira aux filles de Sainte-Marie de Saint-Denis ; jeune, élégante, et un peu maniérée, elle excellait à se coiffer; madame de Sévigné l'appelle la manierosa.

8. « Fontanges, noeud de rubans que les femmes portent sur le devait de leur coiffure et un peu au-dessus du front, et qui lie la coiffure. Ce mot vient de mademoiselle de Fontanges. » (Dictionnaire de Trévoux.)

9. Le livre de la Sagesse est ordinairement attribué à Salomon.

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qui était bien digne d'avoir vu Esther 1. Le Roi vint vers nos places et, après avoir tourné 2, il s'adressa à moi, et me dit : « Madame, je suis assuré 3 que vous avez été contente. »> Moi, sans m'étonner', je répondis : « Sire, je suis charmée, ce que je sens est au-dessus des paroles. » Le Roi me dit : Racine a bien de l'esprit. » Je lui dis : « Sire, il en a beaucoup; mais en vérité ces jeunes personnes en ont beaucoup aussi : elles entrent dans le sujet, comme si elles n'avaient jamais fait autre chose. » Il me dit : « Ah! pour cela, il est vrai. » Et puis Sa Majesté s'en alla, et me laissa l'objet de l'envie : comme il n'y avait quasi que moi de nouvelle venue, il eut quelque plaisir de voir mes sincères admirations sans bruit et sans éclat. M. le Prince et madame la Princesse me vinrent dire un mot; madame de Maintenon, un éclair : elle s'en allait avec le Roi; je répondis à tout, car j'étais en fortune. Nous revinmes le soir aux flambeaux. Je soupai, chez ma dame de Coulanges, à qui le Roi avait parlé aussi avec un air d'être chez lui, qui lui donnait une douceur trop aimable. Je vis le soir M. le chevalier 6; je lui contai tout naïvement mes petites prospérités, ne voulant point les cachotter sans savoir pourquoi, comme de certaines personnes; il en fut content, et voilà qui est fait. Je suis assurée qu'il ne m'a point trouvé, dans la suite, ni une sotte vanité, ni un transport de bourgeoise, demandez-lui. M. de Meaux me parla fort de vous, monsieur le Prince aussi ; je vous plaignais de n'être pas là, mais le moyen ? on ne peut pas être partout.

A MADAME DE GRIGNAN

Aux Rochers, ce dimanche 15 janvier 1690. Corbinelli m'écrivit l'autre jour un fort joli billet; il me rendait compte d'une conversation et d'un dîner chez M. de Lamoignon 10; les acteurs étaient les maîtres du lo

1. On savait que vanter Esther, c'était faire plaisir à Louis XIV.

2. Fait le tour.

3. On m'assure que.

4. Rappelons-nous que ce mot avait au xvII° siècle la plus grande force. 5. Le fils du grand Condé, et sa femme, Anne de Bavière.

6. Le chevalier de Grignan.

7. Bossuet.

8. Nom d'une terre de madame de Sévigné.

9. Jean Corbinelli, descendant d'une de ces familles italiennes venues en France à la suite de Catherine de Médicis, a fait plusieurs volumes d'extraits, et passait pou a voir collaboré aux Maximes de La Rochefoucauld.

10. Chrétien-François de Lamoignon, président à mortier au parlement de Paris, ami de ma dame de Sévigné.

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