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Massagètes leur fut pourtant inutile; car Cyrus ayant fait avancer son gros de réserve, et quelques autres troupes que ce prince avait envoyées après ceux qu'il avait rompus étant arrivées, il fit envelopper cette vaillante infanterie de tous les côtés, de sorte que, ne restant plus rien à faire à ces courageux Massagètes qu'à se rendre, puisqu'ils le pouvaient faire avec gloire, ils firent les signes qu'on a accoutumé de faire lorsqu'on veut demander quartier: si bien que l'illustre Cyrus, qui ne cherchait qu'à pouvoir sauver la vie à de si braves gens, s'avança pour leur donner sa parole et pour recevoir la leur. Mais comme il s'avança sans leur faire aucun signe qui leur pût faire connaître qu'il leur faisait grâce, ils crurent qu'au contraire il allait encore les attaquer, de sorte que, faisant une nouvelle décharge de leurs machines et tirant toutes leurs flèches, tous ceux qui suivaient Cyrus virent ce grand prince en un si grand danger que, poussés par l'amour qu'ils avaient pour lui, ils allèrent attaquer ces vaillants Massagètes, quoiqu'ils n'en eussent point reçu d'ordre, et ils les attaquèrent par tant d'endroits à la fois qu'ils les rompirent de partout et pénétrèrent leurs bataillons de part en part. Cependant Cyrus, qui fut véritablement touché d'une généreuse compassion de voir de si vaillants soldats en état de périr, fit une action aussi glorieuse en leur voulant sauver la vie que celle qu'il avait faite le même jour en donnant la mort à tant d'autres ; car il se jeta malgré le tumulte et la confusion au milieu des vaincus et des vainqueurs, criant aux siens avec une voix éclatante qui imprimait du respect à ceux qui l'oyaient, qu'il voulait absolument qu'on donnât quartier aux Massagètes, menaçant même avec une fierté héroïque ceux qui lui venaient d'aider à remporter la victoire, s'ils ne pardonnaient aux vaincus et s'ils ne lui obéissaient. Mais à peine ce commandement eut-il été entendu qu'en même temps les soldats de Cyrus cessèrent de tuer, et les Massagètes, charmés de la clémence de leur vainqueur, posèrent les armes, et s'amassèrent en foule et avec précipitation à l'entour de lui, regardant alors comme leur protecteur celui qu'un

moment, puis recule, laissant le terrain jonché de cadavres. Quand le vent eut dissipé la fumée, la phalange était de nouveau immobile, les mousquets relevés, Fontaine à la même place. Le duc d'Anguien a bientot arrêté ses troupes; deux fois il les ramène et deux fois encore il est repoussé. Ses gardes, les gendarmes étaient décimés; son cheval blessé est tout couvert de sang; il a reçu une contusion à la cuisse, et deux balles dans sa cuirasse. (DUC D'AUMALE, Revue des Deux-Mondes du 15 avril 1883, la Première campagne de Conde).

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moment auparavant ils avaient combattu comme leur ennemi. En effet il n'y eut pas un officier qui ne voulût avoir l'honneur de s'être rendu à ce prince; et il n'y eut pas un simple soldat qui ne fit du moins ce qu'il put pour s'en approcher...

Cyrus, voulant enseigner par son exemple à tous les siens que toutes les grâces ne viennent que du ciel, se mit à genoux, et se tournant vers le soleil, qui était le dieu des Persans, il le remercia d'avoir éclairé sa victoire. Ainsi on vit le victorieux au milieu du champ de bataille tout couvert de morts et de mourants, rendre hommage de sa valeur au dieu qu'il adorait. Toutes les troupes à son exemple firent la même chose, et chacun en l'usage de son pays rendit grâces aux dieux d'une victoire si signalée 1.

(Le grand Cyrus, t. IX, 1. III.)

UNE INTERPRETATION SUBTILE

Soliman a promis à Ibrahim que, tant que Soliman vivrait, les jours. d'Ibrahim seraient en sûreté ; mais cette promesse gêne Soliman, qui consulte le muphti pour savoir s'il peut manquer à sa parole.

<< Voici les mêmes paroles que je lui dis : « Souviens-toi que je te jure par Allah que, tant que Soliman sera vivant, tune mourras

1. « Les Français étant parvenus à relever trois ou quatre des pièces qu'ils ont reprises, le duc d'Anguien fait abattre à coups de canon un des angles de la forteresse vivante. D'autres bataillons ont été ramenés et prolongent notre ligne de feu. Gassion s'est rapproché avec ses escadrons; les chevau-légers de La Ferté, ralliés, menacent les tercios d'un autre côté. M. le Duc achevait ses dispositions pour ce quatrième assaut, lorsqu'on le prévint que plusieurs officiers espagnols sortaient des rangs en agitant leurs chapeaux, comme s'ils demandaient quartier. Il s'avance pour recevoir leur parole; mais soit malentendu, soit accident, plusieurs coups de feu partent, sont pris pour un signal et suivis d'une decharge à laquelle le prince échappa par miracle et «< qui mit les nôtres en furie. » Cavaliers, fantassins, tous s'elancent; la phalange est abordée, percée de toutes parts. L'ivresse du carnage saisit nos soldats, surtout les Suisses, qui avaient beaucoup souffert aux premières attaques et qui font main basse sur tous ceux qu'ils rencontrent. Le duc d'Anguien, que personne n'avait dépassé, désarme de sa main le mestre de camp Castelvi, reçoit sa parol. Les vaincus, officiers, soldats, se pressent autour de lui, jetant leurs armes, implorant sa protection. Le prince crie que l'on fasse quartier, que l'on épargne de si braves gens; ses officiers l'assistent, le massacre cesse; les tercios viejos ont vécu !

Lorsque le tumulte du combat apaisé, Anguien embrassa d'un coup d'œil ce champ de bataille couvert de débris fumants, ces longues files de prisonniers qu'on lui amenait, ces drapeaux qu'on entassait à ses pieds, tous ces témoins d'une lutte terrible et d'un éclatant triomphe, il se découvrit et son cœur s'éleva vers Celui qui venait de bénir les armes de la France: Te Deum laudamus. » (DUG D'AUMALE, Revue des Deux Mondes du 15 avril 1883, la Prenière campagne de Condé.)- Les deux parties que nous donnons de ce récit de M. le duc d'Aumale nous semblent établir d'une façon indiscutable qu'un historien ne doit pas rejeter comme des documents suspects les romans de mademoiselle de Scudéry. Il était d'ailleurs tellement d'usage alors de peindre dans les romans les contemporains sous des noms supposés, que dans la Zayde de madame de La Fayette, c'est encore la victoire de Condé à Rocroy que

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point de mort violente1. » Cela suffit, lui répondit le muphti; car, Seigneur, pour expliquer ma pensée à Ta Hautesse, n'est-il pas vrai que la promesse qu'Elle a faite à Ibrahim est une chose qui ne le peut mettre en sûreté que durant sa vie? Et n'est-il pas certain que tes successeurs ne seraient pas obligés à sa conservation? Cela étant, il ne sera pas difficile de te contenter; car enfin Ta Hautesse ayant promis à Ibrahim qu'il ne mourrait point de mort violente, tant que Soliman serait vivant, si je puis te faire voir qu'il y a tous les jours quelques heures où Soliman ne vit point, ce sera te faire voir par ce moyen que, durant ce temps-là, Ibrahim peut mourir sans que Ta Hautesse manque à sa parole. » — Le sultan, l'entendant parler ainsi, crut que cet homme ne savait pas trop bien ce qu'il voulait dire. Mais l'autre, sans s'étonner, et lui parlant avec autant de hardiesse que s'il eût été inspiré du ciel : « Seigneur, lui dit-il, c'est une chose que personne n'ignore que le sommeil est appelé frère de la mort par toutes les nations et en toutes les langues. Et certes, ce n'est pas sans sujet qu'il est nommé de cette sorte, étant certain qu'un homme endormi ne peut avec raison être dit vivant, puisque l'on voit qu'il est privé de toutes les fonctions de la vie raisonnable, qui seule est la vie de l'homme. J'avoue bien qu'en cet état il jouit encore de la vie des plantes, mais non pas de celle des hommes, qui ne consiste qu'en l'usage de la raison, dont on est entièrement privé dans cet état..... Enfin, demeurant pour constant qu'un homme endormi ne se peut, à parler raisonnablement, appeler vivant, je con

nous retrouvons derrière une victoire de Consalve : « Cette infanterie l'attendit de pied ferme, et, ouvrant ses bataillons, les gens de trait firent un effet si prodigieux que nos troupes ne les purent soutenir. Consalve les remit en ordre et recommença la même attaque jusqu'à trois fois. Enfin, il enveloppa cette infanterie de tous côtés, et, touché de voir périr de si braves gens, il cria qu'on leur fit quartier. Ils mirent tous les armes bas, et, se jetant en foule autour de lui, ils semblaient n'avoir d'autre application qu'à admirer sa clémence après avoir éprouvé sa valeur. »

1. Il est probable que cette scène avait plu, puisque Scudéry mit au théâtre l'Illustre Bassa, dont cette interprétation de l'oracle forme le nœud; voici les vers qu'il plaça dans la bouche du muphti:

Seigneur, Rustan Bassa m'a dit en peu de mots
Le doute mal fondé qui trouble ton repos :
Mais entends seulement ce que le ciel m'inspire
Pour trouver ton repos et celui de l'empire
Tu promis au vizir.

Que, tant que Soliman serait encore en vie,
Nulle tragique fin n'achèverait son sort.

...

Mais, parmi les savants, il est plus d'une mort.
Certains peuples, Seigneur, dont l'exemple est utile,
Ont une mort entre eux qu'ils appellent civile.
D'autres, plus éclairés, ont enseigné souvent
Que pendant le sommeil l'homme n'est point vivant.

clus de là que, sans que Ta Hautesse manque à sa parole, Ibrahim peut perdre la vie, lorsque le sommeil t'aura profondément assoupi les sens et la raison. »

(L'Illustre Bassa, IV.)

QUATRAIN COMPOSÉ A L'ASPECT DES ŒILLETS QUE CONDÉ
PRISONNIER AVAIT CULTIVÉS A VINCENNES

En voyant ces œillets qu'un illustre guerrier
Arrosa d'une main qui gagna des batailles,
Souviens-toi qu'Apollon bâtissait des murailles 1,
Et ne t'étonne pas si Mars est jardinier.

FURETIÈRE
(1620-1688)

Antoine Furetière, né à Paris, se fit recevoir avocat au Parlement, et exerça quelque temps l'office de procureur fiscal de la justice de l'Abbaye royale de Saint-Germain des Prés. Il entra ensuite dans les ordres, et fut pourvu de l'abbaye de Chalivoy. Après avoir publié en 1658 une Nouvelle allégorique, et en 1659 une satire en cinq livres intitulée le Voyage de Mercure, il fut appelé à l'Académie en 1662. Lié avec Racine et avec Boileau, il a fourni quelques traits aux Plaideurs et aux Satires, et pris une grande part à la parodie de Chapelain décoiffe. Il obtint un succès très marqué en 1666 par la publication d'un volume de Poésies et du Roman bourgeois, tableau de mœurs fort curieux. Impatienté de la lenteur avec laquelle l'Académie travaillait à son dictionnaire, il entreprit d'en faire un à lui tout seul; mais ses collègues l'accusèrent de les avoir dérobés, et, le 22 février 1685, à dix-neuf voix de majorité, Furetière fut exclu de l'Académie, non sans avoir protesté par un grand nombre de factums très intéressants. Il mourut à 68 ans, sans avoir eu la consolation d'achever son dictionnaire, qui ne fut publié qu'en 1690, à Rotterdam.

Or, c'est par ce moyen que tu peux satisfaire

Et ta religion et ta juste colère.

Fais mourir Ibrahim lorsque tu dormiras;

Tu sauves ton serment, et tu te vengeras.

La situation amenée par cette exposition est originale et dramatique : Soliman, qui sait que, s'il s'endort, un homme va périr, ne peut plus goûter le sommeil.

1. Les murs de Troie avaient été construits par Apollon et par Neptune.

ÉPITRE DÉDICATOIRE 1

A très haut et très redouté seigneur Jean-Guillaume, dit Saint-Aubin, maître des hautes-œuvres de la ville, prévôté et vicomté de Paris.

.....Depuis que j'ai vu louer tant de faquins 2 qui ont des équipages de grands seigneurs, et tant de grands sei

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1. Furetière dans le Roman bourgeois (Ed. Jannet, II, 100-119) accable de ses épigrammes les dédicaces. Il publie une Table d'un ouvrage imaginaire, la Somme dédicatoire, ou examen général de toutes les questions qui se peuvent faire touchant la dédicace des livres, » dont nous extrayons les passages suivants : « Tome I, chap. I. Qui fut le premier inventeur des dédicaces. Ensemble quelques conjectures historiques qui prouvent qu'elles ont été trouvées par un mendiant. Chap. vi. Jugement des dédicaces raildeuses et satiriques, comme de celles faites à un petit chien, à une guenon, à personne, et autres semblables, etc. » (Ce trait vise Scarron, qui avait dédié un de ses ouvrages à la petite chienne de sa sœur.) Chap. vn. Réfutation de l'erreur populaire qui a fait croire à quelques-uns qu'un nom illustre de prince ou de grand seigneur mis au-devant d'un livre servait à le défendre contre la médisance, et l'envie. Plusieurs exemples justificatifs du contraire. Tome II, chap. x. Eloges de M. de Montauron, Mecenas bourgeois, premier de ce nom, recueillis des épitres dedicatoires des meilleurs esprits de ce temps.» (Ce trait est dirigé contre Corneille, et la dédicace de Cinna.) Chap. xi. Paradoxe très véritable, que les plus riches seigneurs ne sont pas les meilleurs Mecenas. Où il est traité d'une soudaine paralysie à laquelle les grands sont sujets, qui leur tombe sur les mains quand il est question de donner. Tome III, chap. xvII. Factum d'un procès pendant entre un libraire et un auteur qui travaillait à ses gages et à la journée, sur la question de savoir à qui appartiendrait la dédicace du livre, de laquelle il n'avait point été fait mention dans leur marché. Chap. xix. Si un domestique ou commensal d'un Mecenas est obligé de lui dédier ses ouvrages privativement et à l'exclusion de tous les autres, et si le Mecenas lui doit pour cela une récompense particulière, ou si le logement et la nourriture lui en doivent tenir lieu; le droit des esclaves est ici traité, qui veut qu'ils ne puissent rien acquérir que pour leurs maîtres. Tome IV, chap. VI. Du titre ou carat de la louange. Où il est montré que, pour être de bon aloi, et en avoir bon débit, elle doit être de 24 carats, c'est-à-dire portée dans le dernier excès. - Chap. xv. S'il est permis à un auteur qui n'a rien reçu d'une dédicace de la changer, et de dédier le même livre à un autre. Où la question est décidée en faveur de l'affirmative, suivant la règle du droit qui permet de révoquer une donation par ingratitude.» La gêne des poètes était leur excuse. Ils étaient très peu payés par les comédiens. Hardy recevait trois écus pour ses pièces; il est vrai qu'il s'était fait associer aux bénéfices de la troupe. Tristan devait recevoir cent écus pour les Rivales; quand on sut que la pièce était de Quinault, un débutant, on n'en donna que cinquante avec le neuvième de la recette, tant que la pièce serait dans sa nouveauté. Racine eut pour Andromaque cent écus. Avec les éditeurs, les prix étaient encore plus dérisoires. Sommaville paya pour l'Alcyonée de Du Ryer (1639), tant vantée par Ménage, Saint-Évremond et la reine Christine, 2 francs le cent les petits vers, et 4 francs le cent les grands. Deux ans après, Andromaque, le Tartuffe (et Dieu sait le bruit qu'il avait fait !) ne fut payé par Ribou que 2000 livres. Pour vivre, il fallait que les poètes reçussent une pension du roi ou du cardinal, entrassent chez les grands sous le titre de domestiques, comme on disait alors, ou leur offrissent des dédicaces ou de petites pieces de vers. Les dédicaces étaient récompensées par un présent. La reine Christine avait promis à Scudéry pour son Alaric une chaîne d'or de mille pistoles; mais elle la garda, parce que le poète avait refusé dé retirer de sa dédicace le nom d'un courtisan disgracié. Tous les poètes faisaient sans remords trafic de dédicaces. Celle de Cinna fit proverbe; on appela les dédicaces trop flatteuses des dédicaces à la Montauron. C'est à celles-là que Furetière s'atta que, sans le moindre respect pour le grand nom de Corneille.

2. De l'italien facchino, portefaix.

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