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L'or qui naît sous nos pas ne corrompt point nos âmes'.
La gloire est le seul bien qui nous puisse tenter,
Et le seul que mon cœur cherche à lui disputer;
C'est elle...

ÉPHESTION, en se levant.

Et c'est aussi ce que cherche Alexandre.
A de moindres objets son cœur ne peut descendre.
C'est ce qui, l'arrachant du sein de ses États,
Au trône de Cyrus lui fit porter ses pas,

Et, du plus ferme empire ébranlant les colonnes,
Attaquer, conquérir et donner les couronnes 2;
Et puisque votre orgueil ose lui disputer
La gloire du pardon qu'il vous fait présenter,
Vos yeux, dès aujourd'hui témoins de sa victoire,
Verront de quelle ardeur il combat pour
la gloire.
Bientôt le fer en main vous le verrez marcher.

PORUS.

Allez donc je l'attends, ou je le vais chercher.

(Alexandre, II, II.)

DÉLIRE D'ORESTE 3

Grâce aux dieux, mon malheur passe mon espérance.
Oui, je te loue, ô ciel, de ta persévérance.
Appliqué sans relâche au soin de me punir,
Au comble des douleurs tu m'as fait parvenir.
Ta haine a pris plaisir à former ma misère;
J'étais né pour servir d'exemple à ta colère,
Pour être du malheur un modèle accompli.
Eh bien! je meurs content, et mon sort est rempli.
Où sont ces deux amants? Pour couronner ma joie,
Dans leur sang, dans le mien il faut que je me noie;
L'un et l'autre en mourant je les veux regarder.
Réunissons trois cœurs qui n'ont pu s'accorder.

1. Voir dans nos Morceaux choisis du xvIII° siècle le morceau de Crébillon intitulé: Prince barbare et ambassadeur romain.

2. Ce portrait d'Alexandre est fort beau, et ce dernier vers est encore plus remarquable que le fameux mot de César : « Veni, vidi, vici. » Cependant, non sans raison, l'abbé d'Olivet a remarqué que dans ces vers les deux participes arrachant et ébranlant ne se rapportaient pas au même substantif, ce qui fait quelque confusion.

3. Hermione, dans un transport de jalousie, a commandé à Oreste de frapper Pyrrhus, à qui elle est fiancée, qu'elle aime, et qui l'abandonne pour épouser Andromaque. Oreste, épris d'Hermione jusqu'à la fureur, obéit, malgré son horreur pour le crime. A peine Pyrrhus est-il frappé qu'Hermione accable Oreste de ses imprécations, et se tue sur le corps du prince, qu'elle aimait toujours, malgré son infidélité.

Mais quelle épaisse nuit tout à coup m'environne 1?
De quel côté sortir? D'où vient que je frissonne ?
Quelle horreur me saisit? Grâce au ciel, j'entrevoi 2...
Dieux! quels ruisseaux de sang coulent autour de moi!

Ah! Seigneur!

PYLADE.

ORESTE.

Quoi? Pyrrhus, je te rencontre encore?
Trouverai-je partout un rival que j'abhorre?
Percé de tant de coups, comment t'es-tu sauvé?
Tiens, tiens, voilà le coup que je t'ai réservé.
Mais que vois-je? A mes yeux Hermione l'embrasse 3 ?
Elle vient l'arracher au coup qui le menace?
Dieux! quels affreux regards elle jette sur moi!
Quels démons, quels serpents traîne-t-elle après soi?
Eh bien! filles d'enfer, vos mains sont-elles prêtes?
Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes'?
A qui destinez-vous l'appareil qui vous suit?
Venez-vous m'enlever dans l'éternelle nuit?
Venez, à vos fureurs Oreste s'abandonne.
Mais non, retirez-vous, laissez faire Hermione :
L'ingrate mieux que vous saura me déchirer,
Et je lui laisse enfin mon cœur à dévorer 5.

(Andromaque, V, v.)

1. Le délire commence. Madame de Staël a dit (de l'Allemagne, II° partie, ch. xxvII): « Les grands acteurs se sont presque tous essayés dans les fureurs d'Oreste; mais c'est là surtout que la noblesse des gestes et des traits ajoute singulièrement à l'effet du désespoir. La puissance de la douleur est d'autant plus terrible qu'elle se montre à travers le calme même et la dignité d'une belle nature. »

2. Voir dans nos extraits de Corneille une note du Menteur.

3. Le prend entre ses bras.

4. Oreste a une hallucination de ce genre dans Euripide (Oreste, 255-276). Racine en a imité quelques vers (v. 255-257), que Boileau, dans sa traduction du Traité du Sublime (ch. xIII), a ainsi rendus :

Mère cruelle, arrête, éloigne de mes yeux

Ces filles de l'enfer, ces spectres odieux.

Ils viennent, je les vois: mon supplice s'apprête;
Quels horribles serpents leur sifflent sur la tête !

Le même Boileau a essayé également de reproduire l'harmonie imitative de ce vers de Racine dans le Lutrin (I, 42):

Fait siffler ses serpents, s'excite à la vengeance.

5. Ces hallucinations étaient alors à la mode; on peut les comparer à celles que Gilbert avait mises dans la bouche de Néron, à la dernière scène de son Arie et Petus:

Je sens que ma raison m'abandonne et s'égare:
Et mon esprit rempli de crainte et de fureur
Ne voit autour de moi que des objets d'horreur;
Sabine, pour troubler mon âme épouvantée,
Vient plaindre dans ces lieux sa mort précipitée;

UN AVOCAT INEXPÉRIMENTÉ 1

LE SOUFFLEUR.

Messieurs...

PETIT JEAN.

Oh! prenez le plus bas :

Si vous soufflez si haut, l'on ne m'entendra pas.

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Oh! Monsieur, je sais bien à quoi l'honneur m'oblige.

DANDIN.

Ne te couvre donc pas.

PETIT JEAN.

(Se couvrant.)

(Au souffleur)

Messieurs... Vous, doucement;

Ce que je sais le mieux, c'est mon commencement 2.

Je l'entends qui gémit dans l'ombre de la nuit,
Et j'aperçois de loin ma mère qui la suit;
L'estomac entr'ouvert et l'oeil encore humide,
Qui reproche à ma main cet affreux parricide;
Je vois Britannicus tel que dans ce festin
Où le poison finit son malheureux destin,
Qui, m'imputant sa mort, et celle d'Octavie,
Vient me redemander et l'empire et la vie :
Mais qu'aperçois-je encor dans ce nuage épais?
Quelle est cette beauté si brillante d'attraits?

Ah! je la reconnais ! C'est la divine Arie,

Qui vient du clair Olympe aux beaux champs d'Hespérie
Arrête, belle Arie, arrête ici tes pas !

Mais elle se détourne et ne m'écoute pas :

Je la vois qui descend en la nuit éternelle,

Et l'amour tout sanglant qui s'enfuit avec elle;
Mon amante et ce dieu chez les ombres errants,
Eprouvent les enfers plus doux que les tyrans.
Mais la terre s'entr'ouvre et l'Olympe s'allume;
J'entends un bruit au ciel plus grand que de coutume.
La voix de Jupiter retentit dans les airs,

Et je le vois lui-même environné d'éclairs;

Je le vois qui s'apprête à me réduire en poudre;

Un m nstré comme moi mérite un coup de foudre;

Pour montrer aux tyrans qu'il est là-haut des dieux,

Jupiter fait tomber la vengeance des cieux;

Il détourne son bras, et sa rouge tempête
Se perd sur les rochers pour épargner ma tête.

Voir les hallucinations de Créon à la fin de la Thébaïde de Racine, et, dans nos Morceaux choisis du xvm° siècle, celles d'Oreste à la dernière scène de l'Electre de Crébillon.

1. Maitre Petit Jean, avocat par occasion, ordinairement portier de Perrin Dandin, accuse devant son maitre le chien Citron d'avoir dérobé un chapon. 2. Ce vers est devenu proverbe.

Messieurs, quand je regarde avec exactitude1
L'inconstance2 du monde et sa vicissitude 3;
Lorsque je vois, parmi tant d'hommes différents,
Pas une étoile fixe, et tant d'astres errants;
Quand je vois les Césars, quand je vois leur fortune;
Quand je vois le soleil, et quand je vois la lune;

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Quand je vois les Lorrains, de l'état dépotique,

(démocratique)

Passer au démocrite, et puis au monarchique;
Quand je vois le Japon...

L'INTIMÉ.

Quand aura-t-il tout vu 5?

PETIT JEAN.

Oh! pourquoi celui-là m'a-t-il interrompu?

Je ne dirai plus rien.

DANDIN.

Avocat incommode,

Que ne lui laissiez-vous finir sa période?
Je suais sang et eau, pour voir si du Japon
Il viendrait à bon port au fait de son chapon,

1. « C'est, dit Vaugelas, un mot que j'ai vu naître comme un monstre, et auquel on s'est accoutumé, on lui a en vain opposé exacteté. » On dsigne ici Arnauld, qui, en 1643, avait risqué le mot exacteté dans son livre de la Fréquente Communion.

2. Les modifications.

3. Les changements de choses qui se succèdent, tel est le sens de ce mot; on lit dans l'Hist. anc. de Rollin (Euvres, IV, p. 380): : « Y a-t-il rien de plus admirable que cette variété et cette vicissitude du jour et de la nuit, de la lumière et des ténèbres? >>

4. Il parait qu'il est de tradition à la Comédie-Française de dire Maçons d Amiens au lieu de Nacédoniens. La plaisanterie ne nous semble pas assez spirituelle pour justifier la correction apportée au texte du poète.

5. Ciceron tourne quelque part en ridicule un avocat, du nom de Cæpasius, qui, plaidant pour C. Fabricius, avait employé un développement analogue. On a remarqué qu'il se trouve une période semblable dans le plaidoyer de M Gautier contre la Requête civile touchant le prieuré de la Charité, prononcé au mois d'août 1646; on a remarqué aussi que quarante vers de l'Alaric de Scudéry commençaient par: Je vois.

6. Suer sang et eau, faire de grands efforts. Dans les Plaideurs, Racine a osé se servir de quelques locutions proverbiales et adverbiales que l'hiatus avait jusqu'alors écartées du vers français.

Et vous l'interrompez par un discours frivole.

Parlez donc, avocat.

PETIT JEAN.

J'ai perdu la parole.

LÉANDRE.

Achève, Petit Jean: c'est fort bien débuté.
Mais que font là tes bras pendants à ton côté ?
Te voilà sur tes pieds droit comme une statue.
Dégourdis-toi. Courage! allons, qu'on s'évertue1.
PETIT JEAN, remuant les bras.

Quand... je vois... Quand... je vois...

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Oh dame! on ne court pas deux lièvres à la fois 2.

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1. Qu'on se remue. Les orateurs de la chicane, si l'on en croit Furetière (le Déjeuner d'un procureur), étaient très prodigues de gestes:

De corps, de bras, de tête, il plaide, il gesticule,

Il s'échauffe, il s'agite, et bave en grimaçant,

Se lève et s'accroupit, puis remonte et descend;
Tantôt sur ses orteils sa figure il allonge,

Tantôt comme un canard on dirait qu'il se plonge,

Et tant il se trémousse, et souffle des naseaux,

Qu'on croirait qu'il s'étrangle, ou nage entre deux eaux.

L'art de se démener d'une façon si forte

Quantité de pratique et de gain lui rapporte.

2. Quand on poursuit deux choses à la fois, on court risque de manquer l'une et l'autre. C'est la morale de l'Intrigue épistolaire de Fabre d'Eglantine:

Il ne faut pas courir deux lièvres à la fois.

3. On sait que certaines sectes païennes croyaient que l'âme passait d'un corps dans un autre.

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