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chant et du spectacle, sans songer au sens des paroles, ni aux sentiments qu'elles expriment: car c'est là précisément le danger, que, pendant qu'on est enchanté par la douceur de la mélodie, ou étourdi par le merveilleux du spectacle 1, ces sentiments s'insinuent sans qu'on y pense et plaisent sans être aperçus. Mais il n'est pas nécessaire de donner le secours du chant et de la musique à des inclinations déjà trop puissantes par elles-mêmes; et si vous dites que la seule représentation des passions agréables, dans les tragédies d'un Corneille et d'un Racine, n'est pas dangereuse à la pudeur, vous démentez ce dernier, qui, occupé de sujets plus dignes de lui, renonce à sa Bérénice 2, que je nomme parce qu'elle vient la première à mon esprit ; et vous, qui vous dites prètre, vous le ramenez à ses premières erreurs (Maximes et réflexions sur la Comédie, chap. III.)

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LA BATAILLE DE ROCROY

L'armée ennemie est plus forte, il est vrai; elle est composée de ces vieilles bandes wallonnes, italiennes et espagnoles, qu'on n'avait pu rompre jusqu'alors; mais pour combien fallait-il compter le courage qu'inspiraient à nos troupes le besoin pressant de l'État, les avantages passés, et un jeune prince du sang qui portait la victoire dans ses yeux? Don Francisco de Mellos l'attend de pied ferme; et, sans pouvoir reculer, les deux généraux et les deux

1. La mise en scène de l'Opéra était déjà très luxueuse. Sur ce qu'elle devint au siècle suivant, consulter dans nos Morceaux choisis du XVIII° siècle nos extraits de J.-J. Rousseau et de Panard.

2. (1670.)

3. Bossuet n'admet que les représentations données chez les jésuites. « On voit des représentations innocentes; qui sera assez rigoureux pour condamner dans les collèges celles d'une jeunesse réglée, à qui ses maîtres proposent de tels exercices pour leur aider à former ou leur style ou leur action, et en tout cas leur donner surtout à la fin de leur année quelque honnête relachement? Et néanmoins voici ce que dit sur ce sujet une savante compagnie qui s'est dévouée avec tant de zèle et de succès à l'instruction de la jeunesse : « Que les « tragédies et les comédies, qui ne doivent être faites qu'en latin, et dont l'usage « doit être très rare, aient un sujet saint et pieux que les intermèdes des actes <«< soient tous latins, et n'aient rien qui s'éloigne de la bienséance, et qu'on n'y «< introduise aucun personnage de femme, ni jamais l'habit de ce sexe. » En passant, on trouve cent traits de cette sagesse dans les règlements de ce vénérable institut; et on voit en particulier, sur le sujet des pièces de théâtre, qu'avec toutes les précautions qu'on y apporte pour éloigner tous les abus de semblables représentations, le meilleur est, après tout, qu'elles soient très rares. » (Maximes et réflexions sur la Comédie, chap. xxxv).

4. Comparer ce récit avec celui de mademoiselle de Scudéry que nous don nons plus loin.

5. Cet habile général était gouverneur des Pays-Bas espagnols.

armées semblent avoir voulu se renfermer dans des bois et dans des marais, pour décider leur querelle, comme deux braves en champ clos. Alors que ne vit-on pas ? Le jeune prince parut un autre homme : touché d'un si digne objet, sa grande âme se déclara tout entière: son courage crois sait avec les périls, et ses lumières avec son ardeur. A la nuit, qu'il fallut passer en présence des ennemis, comme un vigilant capitaine, il reposa le dernier, mais jamais il ne reposa plus paisiblement. A la veille d'un si grand jour, et dès la première bataille, il est tranquille, tant il se trouve dans son naturel et on sait que le lendemain à l'heure marquée il fallut réveiller d'un profond sommeil cet autre Alexandre 1. Le voyez-vous comme il vole à la victoire ou à la mort? Aussitôt qu'il eut porté de rang en rang l'ardeur dont il était animé, on le vit presque en même temps pousser l'aile droite des ennemis, soutenir la nôtre ébranlée, rallier le Français à demi vaincu, mettre en fuite l'Espagnol victorieux, porter partout la terreur, et étonner de ses regards étincelants ceux qui échappaient à ses coups. Restait cette redoutable infanterie de l'armée d'Espagne, dont les gros bataillons serrés, semblables à autant de tours, mais à des tours qui sauraient réparer leurs brèches, demeuraient inébranlables au milieu de tout le reste en déroute, et lançaient des feux de toutes parts. Trois fois le jeune vainqueur s'efforça de rompre ces intrépides combattants 2, trois fois il fut repoussé par le valeureux comte de Fontaines 3, qu'on voyait porté dans sa chaise, et, malgré ses infirmités, montrer qu'une âme guerrière est maîtresse du corps qu'elle anime; mais enfin il faut céder. C'est en vain qu'à travers des bois, avec sa cavalerie toute fraîche, Beck précipite sa marche pour tomber sur nos soldats épuisés; le prince l'a prévenu, les bataillons enfoncés demandent quartier: mais la victoire va devenir plus terrible pour le duc d'Enghien que le combat. Pendant qu'avec un air assuré il s'avance pour recevoir la parole de

1.« On remarque que ce prince, ayant tout réglé le soir, veille de la bataille, s'endormit si profondément qu'il fallut le réveiller pour combattre. On conte la même chose d'Alexandre » (VOLTAIRE, Siècle de Louis XIV, 111).

2. «< Il attaqua cette infanterie espagnole, jusque-là invincible, aussi forte, aussi serrée que la phalange ancienne si estimée, et qui s'ouvrait, avec une agilité que la phalange n'avait pas, pour laisser partir la décharge de dixhuit canons, qu'elle renfermait au milieu d'elle. »> (VOLTAIRE, Siècle de Louis XIV, 1.)

3. Le comte de Fontaine était perclus de goutte, et fort âgé.

4. Général de l'empire.

ces braves gens, ceux-ci, toujours en garde, craignent la surprise de quelque nouvelle attaque; leur effroyable décharge met les nôtres en furie: on ne voit plus que carnage; le sang enivre le soldat; jusqu'à ce que le grand prince, qui ne put voir égorger ces lions comme de timides brebis, calma les courages émus1, et joignit au plaisir de vaincre celui de pardonner. Quel fut alors l'étonnement de ces vieilles troupes et de leurs braves officiers, lorsqu'ils virent qu'il n'y avait plus de salut pour eux qu'entre les bras du vainqueur! de quels yeux regardèrent-ils le jeune prince, dont la victoire avait relevé la haute coutenance, à qui la clémence ajoutait de nouvelles grâces! Qu'il eût encore volontiers sauvé la vie au brave comte de Fontaines! mais il se trouva par terre parmi ces milliers de morts dont l'Espagne sent encore la perte. Elle ne savait pas que le prince qui lui fit perdre tant de ses vieux régiments à la journée de Rocroy en devait achever les restes dans les plaines de Lens. Ainsi la première victoire fut le gage de beaucoup d'autres. Le prince fléchit le genou, et, dans le champ de bataille, il rend au Dieu des armées la gloire qu'il lui envoyait.

(Oraison funèbre du prince de Condé 2, 1oo partie.)

LETTRE A MADAME DE LUYNES 3

COMMENT LES CHRÉTIENS DOIVENT CONSIDÉRER LA MORT.

La mort, toutes les fois qu'elle nous paraît, nous doit faire souvenir de l'ancienne malédiction de notre nature, et du juste supplice de notre péchée; mais parmi les chrétiens, et après que Jésus-Christ l'a désarmée, elle nous doit faire souvenir de sa victoire, et du royaume éternel où nous passons, en sortant de cette vie. Ainsi, dans la perte de nos proches, la douleur doit être mêlée avec la consolation. Ne

1. «A peine victorieux, il arrêta le carnage. Les officiers espagnols se jetaient à ses genoux pour trouver auprès de lui un asile contre la fureur du soldat vainqueur. Le duc d'Enghien eut autant de soin de les épargner qu'il en avait pris pour les vaincre. » (VOLTAIRE, le Siècle de Louis XIV, m.) 2. Prononcée à Notre-Dame, le 10 mars 1687.

3. Fille aînée de Louise Séguier, duchesse de Luynes. Elle et sa sœur. madame d'Albert, avaient été élevées à Port-Royal, et toutes deux entrèrent à l'abbaye de Jouarre. Bossuet fut en correspondance avec les deux sœurs. Il écrivit pour madame de Luynes la Vie cachée, et prononça le sermon de vêture de madame d'Albert.

vous affligez pas, disait saint Paul, à la manière des gentils', qui n'ont point d'espérance. Il ne défend pas de s'affliger, mais il ne veut pas que ce soit comme les gentils. La mort parmi eux fait une éternelle et irrémédiable séparation : parmi nous, ce n'est qu'un voyage, et nous devons nous séparer comme des gens qui doivent bientôt se rejoindre. «< Que les chrétiens dans ces occasions répandent donc des larmes, que les consolations de la foi répriment aussitôt. »> Fundant ergo christiani consolabiles lacrymas, quas cito reprimat fidei gaudium. Ces larmes, en attendant, font un bon effet elles imitent Jésus qui pleura en la personne de Lazare la mort de tous les hommes; elles nous font sentir nos misères, elles expient nos péchés, elles nous font désirer cette céleste patrie où toute douleur est éteinte et toutes larmes essuyées. Consolez-vous, ma Fille, dans ces pensées; croyez que je prends part à votre douleur, et que je m'unis de bon cœur à vos prières.

A Germigny, ce 13 octobre 1690 *.

(Lettres de Piété et de Direction. aux religieuses de l'abbaye de Jouarre.

Lettres à l'abbesse et
Lettre VI.)

LETTRE A MADAME D'ÉPERNON 3, PRIEURE DES CARMÉLITES DU FAUBOURG SAINT-JACQUES, A PARIS.

SUR LA MORT ET LES VERTUS DE LA MÈRE DE BELLEFONDS, ANCIENNE PRIEURE DE CE MONASTÈRE.

Nous ne la verrons donc plus cette chère mère, nous n'entendrons plus de sa bouche ces paroles, que la charité, que la douceur, que la foi, que la prudence dictaient toutes, et rendaient si dignes d'être écoutées! C'était cette personne sensée qui croyait à la loi de Dieu, et à qui la loi était fidèle; la prudence était sa compagne, et la sagesse était sa sœur ; la joie du Saint-Esprit ne la quittait pas; sa balance était toujours juste, et ses jugements toujours droits. On ne s'égarait point en suivant ses conseils; ils étaient précédés par ses exemples. Sa mort a été tranquille, comme

1. On appelle gentils les polytheistes contemporains des apòtres et des pre

miers chrétiens.

Bossuet écrivait le mème jour un billet à madame d'Albert de Luynes. 3. La seur Anne-Marie de Jésus, fille du duc d'Épernon, sous le nom de laquelle Du Guet composa une Lettre à une protestante, apprecies de Bos

suet,

4. Judith de Bellefonds, tante du maréchal, en religion la mère Agnès de Jesus-Maria.

sa vie, et elle s'est réjouie au dernier jour. Je vous rends grâces du souvenir que vous avez eu de moi en cette triste occasion. J'assiste avec vous en esprit aux prières et aux sacrifices qui se feront pour cette âme bénie de Dieu et des hommes. Je me joins aux pieuses larmes que vous versez sur son tombeau, et je prends part aux consolations que la foi vous inspire.

(Lettres de Piété et de Direction. — Lettres à des religieuses de différents monastères. Lettre LVII).

BOURDALOUE
(1632-1704)

Né à Bourges, le 20 août 1632, Louis Bourdaloue entra dans la Compagnie de Jésus en 1648, et resta jusqu'en 1669 en province, enseignant et prêchant. Dès qu'il se fit entendre à la cour en 1670, il conquit la réputation. C'est lui qui fut, après la révocation de l'édit de Nantes, chargé d'aller apaiser les esprits dans le Languedoc. Ses dernières années se passèrent dans l'exercice de la charité. Ses mœurs, austères comme sa parole, ont été, disait-on, la réfutation des Provinciales. Il a donné le modèle des vertus qu'il prêchait aux ecclésiastiques dans son Sermon pour la fête de saint François de Sales, et l'hypocrisie qui a souillé la fin du grand siècle n'a jamais rencontré de censeur plus fougueux.

LA FAUSSE PIÉTÉ

Un homme a ses heures et ses temps marqués pour la prière 1, pour la lecture des bons livres, pour la fréquentation des sacrements: c'est un ordre de vie qu'il s'est tracé, ou qu'il a reçu d'un directeur; il y est attaché, et toutes les affaires du monde ne lui feraient pas omettre un point de ce qu'on lui a prescrit, ou de ce qu'il s'est prescrit lui-même. Mais, du reste, entendez-le parler dans une conversation, il tiendra les discours les plus satiriques et les plus médisants; d'un ton pieux et dévot il condamnera l'un,

L

.....Il est, Monsieur, trois heures et demie :
Certain devoir pieux me demande là-haut,
Et vous m'excuserez de vous quitter sitôt.

(MOLIÈRE, Tartuffe, IV, 1.)

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