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Éphèse devrait trouver une confirmation éclatante dans la lettre de saint Ignace aux Éphésiens. Pourtant, ce document ne contient aucune mention de l'apôtre. Certains auteurs ont tiré de là un argumentum a silentio contre la croyance traditionnelle. S'adressant aux habitants d'Éphèse, l'évêque d'Antioche aurait-il omis de leur parler de saint Jean, si ce dernier avait réellement séjourné parmi eux? Il mentionne bien saint Paul; pourquoi saint Jean aurait-il été passé sous silence? - Tout en reconnaissant que l'épître de saint Ignace ne renferme aucun argument direct en faveur du séjour de saint Jean dans la capitale de l'Asie, nous refusons d'admettre que son silence autorise une conclusion négative. Il est même un passage susceptible d'être interprété dans un sens favorable à la tradition : ἵνα ἐνὶ κλήρῳ Ἐφεσίων εὑρεθῶ τῶν Χριστιανῶν, οἱ καὶ τοῖς ἀποστόλοις πάντοτε συνῆσαν ¿v duvápez 'Incoŭ Xpisto (11,2b). Ignace mentionne au pluriel les apôtres qu'il suppose avoir séjourné à Éphèse. Or, à part saint Paul, la tradition ne connaît aucun apôtre qui ait évangélisé cette ville, si ce n'est saint Jean. On dira, sans doute, qu'immédiatement après (12, 2), l'auteur de la lettre mentionne nommément l'apòtre des gentils, tandis qu'il s'abstient de nommer Jean. Mais l'on pourra répondre qu'Ignace a une raison spéciale de nommer Paul; c'est qu'au moment où il écrit il est dans une situation analogue à celle du grand apôtre passant par Milet (Act. Ap. 20, 17-38). Encore cette mention est-elle unique et incidente. S'il ne cite pas le nom de Jean, c'est qu'il n'en a pas l'occasion1.

Pour terminer l'inventaire des données traditionnelles, il nous reste à dire un mot du fait rapporté par Eusèbe (H. E., VII, 25). On raconte, dit-il, qu'il y a à Éphèse deux tombeaux, dont chacun rappelle le souvenir d'un personnage nommé Jean. Ce détail, en même temps qu'il confirme la distinction que l'historien de Césarée, se basant sur l'ouvrage de Papias, établit entre Jean l'apôtre et Jean le presbytre, corrobore les renseignements

1. L'éditeur auquel nous empruntons la citation, Th. Zahn, à propos des mots: Tois anostokos, ajoute la note suivante: Plures apostolos Ephesi diutius commoratos esse, scit Ignatius; unum subinde c. 12, 2 data occasione nominat, Paulum, alterum tacite innuit, Joannem. Patrum apost. opera 3, II, p. 17. Cf. Forschungen, VI, p. 190 ss.

fournis par Polycrate. Enfin, il convient de citer, pour mémoire, une tradition d'ailleurs assez tardive, d'après laquelle on aurait conservé dans l'Église d'Éphèse le texte original du IV Évangile, que l'on disait avoir été écrit de la main de saint Jean lui-même. Mais les Pères des premiers siècles ignorent complètement cette tradition1.

Il importe de remarquer que l'origine éphésienne du IVo Évangile, en tant que question particulière, considérée en dehors de l'authenticité apostolique du livre, est indépendante de la venue de saint Jean à Ephèse. Même les auteurs qui ont cru devoir nier ou révoquer en doute ce dernier fait, reconnaissent que l'Évangile johannique a vu le jour en Asie. C'est qu'en effet le caractère intrinsèque du livre prouve jusqu'à l'évidence qu'il a été écrit pour des Grecs, dans un milieu tout imprégné de culture hellénique. Le IVe Évangile est le livre le plus antijudaïque du Nouveau Testament. Il n'a certainement pas été rédigé pour un public palestinien. Les Juifs y sont présentés d'un bout à l'autre comme les ennemis de Jésus: leurs usages et leurs fêtes sont considérés comme des institutions étrangères (2, 6, 13; 5, 1; 7, 2, 19, 22; 8, 56;11, 55;19, 40); les noms hébreux ou araméens sont ordinairement expliqués en grec (1, 38, 41, 42; 4, 25; 9, 7; 20, 16), ou cités comme appartenant à une langue étrangère (5, 2; 19, 13, 17). Les théories métaphysiques, qui dominent tout le livre et que l'auteur a condensées dans le prologue, sont faites. des pour gens initiés à la philosophie grecque. De tout cela, il est aisé de conclure que l'auteur s'adresse à des Grecs. Or, l'évangéliste écrit, non pour un public éloigné ou pour l'universalité des chrétiens, mais pour son entourage, pour la communauté dans laquelle il vit (20, 31). Bien que le livre reflète les spéculations alexandrines, rien n'autorise à penser qu'il a été rédigé en Égypte. Il est donc impossible de lui assigner un lieu d'origine autre que l'AsieMineure.

9. But de l'auteur.

Dans quel but et à quelle fin le IVe Évangile a-t-il été écrit? —

1. Richard Simon, Réponse aux sentiments de quelques théologiens de Hollande (Rotterdam, 1686), p. 155.

On a parfois prétendu que l'auteur s'était proposé de compléter les récits de ses prédécesseurs. Il est vrai qu'il a apporté à l'histoire évangélique des éléments nouveaux; mais on doit reconnaître aussi que l'ensemble des événements est le même que dans les Synoptiques et que plusieurs faits se trouvent répétés avec les mêmes circonstances. Le but qu'il poursuit n'est pas historique, mais dogmatique Cela d'ailleurs résulte de la déclaration expresse de l'écrivain sacré Ceci a été écrit pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le fils de Dieu, et que, en croyant, vous ayez la vie en son nom (20, 31).

Il ne faudrait pas conclure de ce verset que l'Évangile s'adresse à des païens qu'il s'agit de convertir. A propos du miracle de Cana, l'auteur dit également que les disciples, à la vue de ce prodige, crurent en Jésus : καὶ ἐπίστευσαν εἰς αὐτὸν οἱ μαθηταὶ αὐτοῦ (2,11). Et cependant, à ce moment déjà, les disciples de Jésus, par cela même qu'ils sont ses disciples, croient en lui, sont convaincus de sa mission divine et l'ont reconnu pour le Messie (1, 41-49). Il en va à peu près de même des lecteurs pour lesquels le livre est écrit; l'auteur se propose, non de les amener à croire, mais de les confirmer dans leur foi. Pour lui, la messianité de Jésus est chose depuis longtemps admise et qu'il n'est plus question de démontrer. Mais ce point fondamental a provoqué dans l'esprit des chrétiens des problèmes subsidiaires, qui ont principalement pour objet la personne de Jésus et ses rapports avec la divinité et avec les hommes. C'est pourquoi l'évangéliste s'efforce avant tout d'éclairer et de compléter la foi de son entourage, en enseignant la préexistence du Christ comme Verbe de Dieu, sa génération éternelle, son rôle de médiateur entre le Père céleste et les hommes, la nature de la révélation chrétienne, ses développements successifs, grâce à l'intervention du Paraclet, qui a pour mission de continuer et d'achever dans l'âme des fidèles l'œuvre commencée par Jésus. Il est ainsi amené à exposer une théorie de la vie mystique, dont l'essence consiste dans l'union à Jésus. Par l'union à Jésus, les chrétiens sont unis au Père et unis entre eux; ainsi se consomme l'unité qui est le dernier mot de la révélation chrétienne. Sur tous ces points, qui constituent le fond du IVe Évangile, les développements de l'auteur offrent un caractère positif et doctrinal. On

peut donc affirmer que le but principal du livre est d'enseigner. Mais tout enseignement soulève des difficultés et provoque des objections. De là un caractère polémique, qui se révèle en maints endroits de l'Évangile johannique, et qui a fait croire parfois que l'ouvrage avait été rédigé pour confondre certaines erreurs ou réfuter certaines hérésies.

C'est une opinion généralement acceptée par les Pères de l'Église et reproduite par un bon nombre de commentateurs modernes, que saint Jean écrivit son Evangile pour réfuter les doctrines hérétiques, qui pullulaient autour de lui. Ce sentiment paraît avoir son point de départ dans saint Irénée, d'après lequel le IVe Évangile serait spécialement dirigé contre les Cérinthiens, qu'il donne comme les héritiers des doctrines professées par les Nicolaïtes1. Mais, comme aucune de ces deux sectes n'est clairement désignée dans l'Évangile, il faudrait, pour connaître le bien fondé d'une telle appréciation, avoir une idée assez nette des doctrines qu'elles représentent. Malheureusement, les Cérinthiens et les Nicolaïtes, comme du reste la plupart des hérétiques primitifs, se trouvent représenter pour nous des doctrines bien vagues. Nous croirions volontiers que la notice de l'évêque de Lyon est le résultat d'une double confusion. Les témoignages traditionnels s'accordent à nous montrer Cérinthe en lutte avec saint Jean. Irénée, comme tous les hérésiologues, est un esprit ardent et passionné; il lui est difficile de concevoir que l'apôtre, en écrivant son livre, se soit proposé autre chose que de confondre son adversaire. D'ailleurs, si nous en croyons saint Irénée lui-même (I, 26, 1), Cérinthe aurait enseigné une doctrine qui n'a rien de commun avec celle du IVe Évangile, et il est curieux de constater que les Aloges, refusant de reconnaître ce livre pour l'œuvre de saint Jean, en auraient attribué la composition précisément à celui contre lequel il était dirigé. Quant aux Nicolaïtes, ils sont pris à partie dans l'Apocalypse (2, 6,15). Or, pour saint Irénée, saint Jean est l'auteur de l'Apocalypse et du IVe Évangile; d'où il aura été porté à conclure

1. Hanc fidem annuntians Joannes Domini discipulus, volens per Evangelii annuntiationem auferre eum, qui a Cerintho inseminatus erat hominibus, errorem, et multo prius ab his qui dicuntur Nicolaitæ... Contra Hær., III, 11, 1.

que la secte ouvertement attaquée dans l'un de ces écrits était visée aussi dans l'autre. En outre, il y a lieu de répéter, à propos des Nicolaïtes, ce que nous avons dit au sujet des Cérinthiens : si l'Évangile était dirigé contre eux, il porterait quelque trace de leurs doctrines; or, il n'en est rien. En effet, ce qui caractérise les Nicolaïtes, au témoignage d'Irénée (I, 26, 3), c'est qu'ils pratiquent la fornication et mangent des viandes immolées aux idoles. Le IVe Évangile ne fait allusion à aucun de ces deux abus. Saint Jean aurait-il eu en vue de réfuter les gnostiques? Certains critiques modernes ont trouvé que son livre était lui-même empreint de gnosticisme. Sans vouloir prétendre que l'Évangile johannique contienne aucun des traits qui caractérisent l'hérésie de Marcion et de Valentin, nous constatons qu'il offre un certain nombre d'expressions qui rappellent d'une manière frappante la terminologie des écrits gnostiques. Qu'on relise le prologue, et qu'on se demande si ce langage est celui d'un théologien qui veut réfuter la Gnose. Le IVe Evangile n'est pas une réfutation systématique, mais plutôt un traité, dans lequel l'auteur expose ses théories théologiques et mystiques. Cependant, on ne saurait méconnaître que plusieurs points de doctrine y revêtent une forme tendencieuse et que maints passages trahissent une intention polémique.

Notons en première ligne le trait qui constitue, de l'aveu de tous, la note la plus caractéristique du livre. Nous voulons parler de l'antijudaïsme. Pour l'auteur du IVe Évangile, les Juifs ne sont pas seulement des étrangers, ils sont des ennemis. A lire certains passages, on serait tenté de croire que pas un seul Juif n'a embrassé la doctrine de Jésus. Mais telle n'est pas la pensée de l'évangéliste. A y regarder de près, on reconnaît que son dessein se borne à combattre les prétentions exagérées du parti judaïsant. Les Juifs ennemis de l'Évangile sont ceux qui se scandalisent à l'idée que Jésus peut aller répandre son enseignement parmi les Grecs (7, 35), qui voudraient retenir l'Église dans l'enceinte de la Synagogue, et refusent de reconnaître ces«< autres brebis » que le Seigneur veut amener au bercail (10, 16). L'antijudaïsme de saint Jean n'est pas autre chose, au fond, que l'universalisme. La mise en scène des Grecs venus à Jérusalem, qui demandent à voir Jésus (12, 20-22), suppose que les Israélites

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