O mortel infortuné !
Soit que ton ame jouisse
Du moment qui t'est donné, Soit que la mort le finisse, L'un et l'autre est un supplice:
Il vaut mieux n'être point né.
Le néant est préférable
A nos funestes travaux, Au mélange lamentable
Des faux biens et des vrais maux, A notre espoir périssable Qu'engloutissent les tombeaux.
Quel homme a jamais su par sa propre lumière Si, lorsque nous tombons dans l'éternelle nuit, Notre ame avec nos sens se dissout toute entière, Si nous vivons encore, ou si tout est détruit?
Des plus vils animaux Dieu soutient l'existence; Ils sont, ainsi que nous, les objets de ses soins; Il borna leur instinct et notre intelligence; Ils ont les mêmes sens et les mêmes besoins.
Ils naissent comme nous, ils expirent de même: Que deviendra leur ame au jour de leur trépas? Que deviendra la nôtre à ce moment suprême? Humains, faibles humains, vous ne le savez pas.
Cependant l'homme s'égare
Dans ses travaux insensés: Les biens dont l'Inde se pare, Avec fureur amassés,
Sont vainement entassés Dans les trésors de l'avare.
Ce monarque ambitieux Menaçait la terre entière: Il tombe dans sa carrière; Et ce géant sourcilleux,
Ce front qui touchait aux cieux, Est caché dans la poussière.
La beauté dans son printems Brille, pompeuse et chérie, Semblable à la fleur des champs, Le matin épanouie,
Le soir livide et flétrie,
En horreur à ses amans.
Ainsi tout se corrompt, tout se détruit, tout passe Mon oreille bientôt sera sourde aux concerts; La chaleur de mon sang va se tourner en glace; D'un nuage épaissi mes yeux seront couverts;
Des vins du mont Liban la séve nourrissante Ne pourra plus flatter mes languissans dégoûts; Courbé, traînant à peine une marche pesante, J'approcherai du terme où nous arrivons tous.
Je ne vous verrai plus, beautés dont la tendresse Consola mes chagrins, enchanta mes beaux jours. O charme de la vie! ô précieuse ivresse!
Vous fuyez loin de moi, vous fuyez pour toujours!
Du tems qui périt sans cesse Saisissons donc les momens; Possédons avec sagesse, Goûtons sans emportemens Les biens qu'à notre jeunesse Donnent les cieux indulgens.
Que les plaisirs de la table, Les entretiens amusans Prolongent pour nous le tems; Et qu'une compagne aimable M'inspire un amour durable, Sans trop régner sur mes sens.
Mortel, voilà ton partage Par les destins accordé; Sur ces biens, sur leur usage Ton vrai bonheur est fondé : Qu'ils soient possédés du sage, Sans qu'il en soit possédé.
Usez, n'abusez point, ne soyez point en proie Aux desirs effrénés, au tumulte, à l'erreur. Vous m'avez affligé, vains éclats de la joie; Votre bruit m'importune, et le rire est trompeur. Tome XII.
Dieu nous donna des biens, il veut qu'on en jouisse; Mais n'oubliez jamais leur cause et leur auteur: Et lorsque vous goûtez sa divine faveur,
O mortels, gardez-vous d'oublier sa justice.
Aimez ces biens pour lui, ne l'aimez point pour eux; Ne pensez qu'à ses lois, car c'est là tout votre êtie. Grand, petit, riche, pauvre, heureux ou malheureux, Etranger sur la terre, adorez votre maître.
N'affectez point les éclats
D'une vertu trop austère; La sagesse atrabilaire
Nous irrite et n'instruit pas: C'est à la vertu de plaire; Le vice a bien moins d'appas.
Indulgent pour la faiblesse Que vous voyez en autrui, Qu'il trouve en vous un appui, Que son sort vous intéresse. Hélas! malgré la sagesse
Vous tomberez comme lui.
Favori de la nature,
Le climat le plus vanté Par les vents, par la froidure Voit son espoir avorté; Et la vertu la plus pure A ses tems d'iniquité.
Répandez vos bienfaits avec magnificence; Même aux moins vertueux ne les refusez pas: Ne vous informez point de leur reconnaissance; Il est grand, il est beau de faire des ingrats.
Laissez parler les cours, et crier le vulgaire; Leur langue est indiscrète, et leurs yeux sont jaloux; De leurs suffrages faux dédaignez le salaire: Dieu vous voit, il suffit; qu'il règne seul sur vous.
L'homme est un vil atome, un point dans l'étendue; Cependant du plus haut des palais éternels Dieu sur notre néant daigne abaisser sa vue: C'est lui seul qu'il faut craindre, et non pas les mortels.
EPRIS des charmes de Climène,
Dorimon lui disait un jour:
« Hélas! si vous saviez ce que c'est que l'amour, << Vous auriez pitié de ma peine.
Allez, répartit l'inhumaine,
Je ne suis pas à l'abri de ses coups: « Je porte un cœur sensible et tendre, << Et j'ai vraiment pitié de vous... << Depuis que j'adore Clitandre.»
Par M. C. TRIQUET.
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