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D'une certaine Ode à la Postérité de Jean-Baptiste Rousseau, Voltaire a dit ce mot, souvent mal cité: «Gare que cet écrit in extremis n'aille pas à son adresse! » Il est certains écrits au moins de Jean-Baptiste Rousseau qui ne sont pas restés en route.

Le Sage aussi peut être considéré comme appartenant autant au XVIIe siècle qu'au XVIIIo, ou du moins comme ne rompant point la transition de l'un à l'autre. D'abord il aimait peu les nouveaux auteurs, et il n'a été tendre, en ses allusions du Gil Blas, ni pour Voltaire, ni pour Marivaux, ni pour Montesquieu, et dans ces mêmes passages, il vante avec insistance les anciens, que l'on peut prendre, selon le gré, ou pour Sophocle et Euripide ou pour Racine et Corneille. De plus, il a tout à fait le style et le meilleur style du XVIIe siècle, net, courant, de tour libre et pourtant étoffé encore et sans la moindre sécheresse. Enfin il est tout à fait dans la tradition du roman réaliste de Furetière, du Roman comique de Scarron, avec moins de trivialité, et du « portrait » de La Bruyère. On le considère, et avec raison, comme le créateur du roman réaliste, parce qu'il est le premier qui l'a décidément illustré; mais il n'en a pas moins ses racines en plein XVIIe siècle.

Ses romans secondaires, Le Diable boiteux, Le Bachelier de Salamanque, etc., feraient honneur à tout autre. Son chef-d'œuvre, Gil Blas, est un chef-d'œuvre. Une connaissance vraie du monde, une psychologie facile en même temps que pénétrante, et qui est la vraie, s'il est exact, comme l'a dit La Rochefoucauld, qu'il est plus malaisé de connaître les hommes que de connaître l'homme; un sens de la mesure et une absence d'esprit systématique qui fait que l'auteur ne penche jamais ni

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vers la complaisance ni même vers le dénigrement, et ne semble songer qu'à la vérité, et même semble n'y pas songer, tant il est lui-même la vérité même; un art exquis de conter, sans longueurs, sans précipitation non plus et sans effort pour être vif; un don de représenter et de faire vivre les personnages devant vous sans jamais « faire le portrait »; une satire douce, légère et comme réprimée au moment qu'elle deviendrait dure, et qui n'en est pour cela que plus forte, des éternels vices et travers de l'humanité; recommanderont toujours ce livre unique où semble vivre d'elle-même et sans qu'on se soit occupé de l'y transporter, l'humanité moyenne. Louis XIV disait à un courtisan : « Apprenez vite l'espagnol ». Ce n'était pas pour devenir ambassadeur, comme le courtisan s'en était naturellement flatté, c'était pour lire Don Quichotte. Tous les souverains étrangers, même le roi d'Espagne, quoi que les Espagnols aient dit du prétendu original espagnol du Gil Blas, auraient pu recommander à leurs amis d'apprendre le français, ne fût-ce que pour lire l'œuvre de Le Sage.

Il a écrit aussi pour le théâtre, et un peu trop, car il a fourni beaucoup plus qu'il n'était nécessaire au Théâtre de la Foire; mais Crispin rival de son maître est une très jolie comédie, et Turcaret est un des trois ou quatre chefs-d'œuvre comiques du XVIII° siècle. Le Sage y a attaqué une classe de gens que Molière avait épargnés, oubliés peut-être, et qui avaient pris, dès le XVII siècle et encore plus au XVIII° siècle, une immense et néfaste importance : les gens d'argent, traitants, banquiers et agioteurs. Il en fit, et aussi de ceux qui les exploitaient, un portrait d'une vigueur et d'un relief saisissants. La grande comédie de mœurs renaissait tout entière et avec un je ne sais

quoi de plus roide et de plus dru qu'à aucun moment. Il est regrettable que cette œuvre magistrale, toute pétillante d'esprit et comme éclatant en épigrammes, n'ait pas engagé l'auteur à poursuivre dans cette voie si largement ouverte. Le Sage avait en lui un grand dramatiste comique qu'il a répandu et quelquefois un peu délayé dans ses romans secondaires. Il reste un des plus remarquables des narrateurs et des peintres satiriques de tous les temps.

CHAPITRE II

RÉACTION POLITIQUE

Toute une littérature est née de la réaction politique contre le gouvernement de Louis XIV. Nous avons déjà dit un mot des nouveautés sociologiques de Fénelon. Une foule d'autres idées, les unes rétrogrades, les autres contenant en elles plus ou moins d'avenir, circulaient alors et avaient toutes un point commun: l'horreur du gouvernement de Louis XIV. L'abbé de Saint-Pierre, Montesquieu, le duc de Saint-Simon, s'ils se fussent rencontrés, ne se fussent entendus sur rien; mais après avoir beaucoup discuté sur toutes choses, ils se fussent réconciliés en disant du mal de Louis le Grand et de Louvois. L'abbé de Saint-Pierre était un « bel esprit chimérique » qui avait beaucoup plus de chimères que Fénelon et beaucoup moins d'esprit. Il était déjà assez avancé en âge, ayant passé la cinquantaine, lorsque, l'esprit poursuivi par le souvenir et la vision de tant de guerres continuelles, il lança son Projet de paix perpétuelle (1713), qui était au moins, comme le dit plus tard le cardinal

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