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A M. HALANZIER-DUFRÉNOY,

EX-DIRECTEUR DE L'OPÉRA,

PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION DES ARTISTES DRAMATIQUES.

Mon cher ami,

Ce n'est pas seulement parce que vous êtes l'homme de France qui connait le mieux le théâtre, que je vous offre ce livre, entièrement consacré au théâtre; c'est aussi parce que vous aimiez sincèrement mon excellent père, qui vous le rendait bien, m'avez continué l'affection dont il était l'objet de votre part.

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et que vous

Il me semble qu'en vous dédiant ces pages, je rends encore un hommage indirect à sa chère mémoire. Acceptez-les, je vous prie, comme un témoignage de dévouement sincère et de véritable attachement.

Paris, 30 octobre 1884.

A vous de cœur,

ARTHUR POUGIN.

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Un dictionnaire, même un dictionnaire littéraire et raisonné, n'est pas, à proprement parler, un livre. Ce n'est donc pas un livre, au sens strict du mot, que j'ai la prétention d'offrir au public; mais je crois lui présenter un ouvrage curieux, d'un caractère absolument neuf, et tel que jusqu'à ce jour il n'a son pareil dans aucune langue. On a publié depuis un quart de siècle, dans des conditions d'exécution matérielle superbes, d'excellents dictionnaires de tout genre, consacrés soit à la langue proprement dite, soit aux arts, soit aux sciences, soit à telle ou telle profession; dans le nombre pourtant le théâtre a été négligé, et cela peut surprendre dans un pays comme le nôtre, où l'amour de cet art merveilleux est porté à son extrême puissance et s'étend à toutes les classes de la société.

Cet amour de tout ce qui tient au théâtre n'est pas chez nous un effet du hasard. Il a sa cause et sa source première dans l'incontestable supériorité que nous n'avons jamais cessé d'exercer au point de vue de l'art scénique, tant en ce qui concerne les œuvres qu'en ce qui touche leurs interprètes. C'est en 1629 que Pierre Corneille, âgé seulement de vingt-trois ans, donnait à l'Hôtel de Bourgogne sa première comédie, Mélite, qu'il devait faire suivre de tant de chefs-d'œuvre; c'est en 1658 que Molière offrait au public du Petit-Bourbon son Étourdi, qu'il avait fait représenter à Lyon cinq ans auparavant. Depuis lors, c'est-à-dire depuis deux siècles et demi, notre théâtre, grâce à une superbe lignée d'écrivains, n'a cessé de s'enrichir de chefs-d'œuvre de tous genres, et l'on peut dire que jamais la production scénique n'a subi chez nous non seulement une éclipse, mais même un temps d'arrêt. Au dix-septième siècle, à côté de Corneille et de Molière, ou après eux, on voit briller, outre Racine, des poètes tels que Rotrou, Quinault, Thomas Corneille, Boursault, Regnard, Hauteroche, Dancourt, Campistron, Montfleury, Dufresny, La Grange-Chancel. Au dix-huitième siècle viennent Crébillon, Voltaire, Guyot de Merville, Marivaux, La Chaussée, Destouches, La Noue, Gresset, Piron, Le Sage, Boissy, Guimond de La Touche, Favart, Colardeau, Lemierre, Saurin, Barthe, La Harpe, Marmontel, De Belloy, Cailhava, Sedaine. Les approches de la Révolution voient surgir Beaumarchais, Ducis, Monvel, Andrieux, Damaniant, Népomucène Lemercier, Marie-Joseph Chénier, puis Fabre d'Églantine, Fenouillot de Falbaire, Pigault-Lebrun, Arnault, Laya, Picard, Legouvé, Alexandre Daval. Avec le dix-neuvième siècle se produisent Étienne, Casimir Delavigne, Soumet, Scribe, Ancelot, Mazères, Empis, le romantisme voit paraître Alexandre Dumas, Victor Hugo, Frédéric Soulié, Félicien Mallefille, Alfred de Vigny, et enfin l'époque

contemporaine nous présente Alfred de Musset, George Sand, Ponsard, MM. Émile Augier, Octave Feuillet, Ernest Legouvé, Alexandre Dumas fils, Labiche, Théodore Barrière, Henri Meilhac, Victorien Sardou, Ludovic Halévy, Édouard Pailleron, Edmond Gondinet... Et je ne parle ici que de ceux qui tiennent la tête du mouvement littéraire dans ses rapports avec le théâtre. Combien, depuis soixante ans, combien de talents tantôt puissants et vigoureux, tantôt charmants, délicats, ingénieux, prime-sautiers, ont brillé sur nos scènes de genre et ont maintenu fidèlement, avec honneur, avec succès, les nobles et saines traditions de leurs devanciers! La France est le seul pays qui, depuis deux cent cinquante ans, n'ait pas un instant, un seul instant, cessé de posséder une grande école théâtrale, elle est sans rivale pour cet art qu'elle chérit et dont elle a le sens le plus exquis, elle est enfin, sous ce rapport, le seul centre actif, inépuisable, de production, et l'on peut dire que les œuvres de ses écrivains défraient pour les neuf dixièmes les théâtres du monde entier. Elle est aussi le seul pays où l'exécution scénique soit accompagnée de tant de perfection : de l'aveu de tous, nos comédiens sont les premiers du monde.

Il peut donc paraître assez singulier qu'en un pays où le théâtre tient une si large place, où il est la grande et universelle distraction, où il est cultivé avec tant de succès et tant de supériorité, suivi par tous avec une attention si passionnée, on n'ait pas encore songé à établir avec certitude, avec précision, la technologie de cet art si généralement aimé, à fixer sa langue de telle façon que le public la puisse bien connaître, ce public, qui ne voit du théâtre que le côté extérieur, que le rendu, et à qui tout le reste doit forcément échapper.

Ce n'est pas que quelques essais n'aient été tentés en ce sens ; mais ces essais étaient ou trop timides, ou trop incomplets, ou renfermés dans un champ trop volontairement circonscrit. Chamfort et l'abbé de Laporte ont publié, en 1776, un « Dictionnaire dramatique, contenant l'histoire des théâtres, les règles du genre dramatique, les observations des maîtres les plus célèbres, et des réflexions nouvelles sur les spectacles, sur le génie et la conduite de tous les genres, avec les notices des meilleures pièces, le catalogue de tous les drames, et celui des auteurs dramatiques ». Mais il s'en faut bien que ce vaste plan ait été exactement suivi et mis à exécution dans les trois gros volumes qui composent cet ouvrage. Tandis que l'abbé de Laporte y accumulait les analyses de pièces, Chamfort se bornait à lui fournir un certain nombre d'articles, souvent fort intéressants d'ailleurs, mais qui n'avaient trait qu'à la poétique théâtrale, à la marche et à la conduite du poème dramatique d'une part, et, de l'autre, à divers renseignements sur les jeux scéniques des anciens. Du théâtre moderne considéré matériellement ou artistiquement, de la représentation scénique, du jeu du comédien, rien, absolument rien! Il fallut attendre un demi-siècle pour voir deux autres écrivains, Jal et Harel, publier (1824) un ouvrage ainsi intitulé : « Dictionnaire théâtral, ou Douze cent trente-trois vérités sur les directeurs, régisseurs, acteurs, actrices et employés des divers théâtres; confidences sur les procédés de l'illusion; examen du vocabulaire dramatique; coup d'oeil sur le matériel et le moral des spectacles, etc., etc., etc. » Ici, nous tombons à peu près en pleine fantaisie, et parfois dans l'inutilité. On en jugera par le premier mot qui se présente dans ce petit volume, et qui n'offre qu'un rapport assurément bien indirect avec le

PLACE AU THÉATRE !

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sujet choisi par les auteurs : « ABBÉ, ABBESSE. Personnages interdits depuis dix ans aux écrivains dramatiques. Certains ouvrages de l'ancien répertoire, où figurent des abbés, sont cependant encore représentés quelquefois; mais on ne représente plus les Visitandines. » Quelques mots techniques sont pourtant traités heureusement et avec assez de soin dans ce livre, qui est loin de manquer d'esprit ; mais comment les auteurs auraient-ils pu faire connaître vraiment le théâtre, et d'une façon complète, dans l'espace de 300 pages in-12? Plus fantaisistes encore et bien plus abrégés sont le « Manuel des coulisses ou Guide de l'amateur (1826), » le « Petit Dictionnaire des coulisses, publié par Jacques-le-Souffleur (1835), » et « l'Indiscret, souvenirs des coulisses (1836), » qui tous trois empruntent aussi la forme du dictionnaire, et dans lesquels on ne trouve que quelques définitions facétieuses, accompagnées de certaines plaisanteries d'un goût plus ou moins pur. Fantaisie toujours le vocabulaire de M. Joachim Duflot : les Secrets des coulisses des théâtres de Paris (1865), où l'imagination de l'auteur, aidée de quelques anecdotes amusantes, mais la plupart du temps apocryphes, joue le rôle le plus important. Deux écrivains ont essayé d'aborder la question d'une façon un peu plus sérieuse : l'un, Ch. de Bussy (Charles Marchal), dans son Dictionnaire de l'art dramatique à l'usage des artistes et des gens du monde (1866); l'autre, M. Alfred Bouchard, dans un petit volume attrayant qui porte ce titre : la Langue théâ- · trale, vocabulaire historique, descriptif et anecdotique des termes et des choses du théâtre (1878). Mais non seulement le travail de l'un et de l'autre est trop écourté, mais, en dépit de certaines qualités, il est facile de s'apercevoir que ni l'un ni l'autre ne connaissait assez le théâtre pour en parler comme il convient (1).

C'est qu'il ne suffit pas, en effet, pour écrire un Dictionnaire du théâtre, de connaître le théâtre historiquement ou littérairement, de l'avoir même beaucoup observé extérieurement, c'est-à-dire d'un point quelconque ou même de tous les points de la salle; s'il en était ainsi, tout homme un peu lettré, qui aurait bien étudié son sujet, pourrait s'acquitter d'une telle tâche, en se bornant à expliquer, à éclairer et à définir ce que chacun voit, chaque jour. Mais le côté intime, secret, mystérieux du théâtre, celui qui échappe à l'œil du public et qui excite précisément sa curiosité, c'est là ce qu'il faut dévoiler, et ce dont toutes les lectures du monde ne sauraient donner une idée. Les mœurs des comédiens, leur langage professionnel et particulier, les coutumes intérieures du théâtre, les détails du travail scénique, sa préparation, sa mise au point, en ce qui touche soit l'exécution humaine des œuvres, soit leur représentation matérielle, la vie du théâtre considérée dans ce vaste espace, fermé au spectateur, qui s'étend non seulement derrière le rideau, mais dans les coulisses, dans les dessus, dans les dessous, dans les foyers, dans les loges, dans les couloirs, dans les ateliers, dans les magasins, dans les cabinets de direction et de régie,

(1) Dans son gentil petit volume: Curiosités théâtrales, M. Victor Fournel, qui aime le théâtre avec passion, comme il faut l'aimer pour en parler, a consacré un chapitre à sa technologie spéciale. Mais combien cela est insuffisant! Une centaine de mots à peine, parmi lesquels certaines expressions imaginaires bénévolement empruntées à M. Joachim Duflot.

On ne doit pas, trompé par leur titre, prendre pour des dictionnaires du théâtre certains ouvrages publiés au dix-huitième siècle, tels que le Dictionnaire portatif, historique et littéraire des théâtres de De Léris, et le Diction naire des théâtres de Paris des frères Parfait. Ceux-ci ne sont autre chose qu'un catalogue de pièces, d'auteurs et d'acteurs, donnant une analyse raisonnée des unes et des notices biographiques sur les autres.

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