Ah Lifette, vous aviez raifon; je n'étois pas vraiment dévote. Je n'ai jamais pensé que pour l'être il ne falloit pas chercher à occuper les autres de foi. LA BONNE. Si vous n'êtes pas humble, Madame, au moins êtes-vous bien franche, & il y auroit bien du malheur fi vous deveniez hypocrite. Ah! ça, Mefdames, vous triomphez de mes répugnances, & je facrifie à la charité les fuites défagréables que ces entretiens pourront avoir à mon égard. S'ils transpiroient, je ferois perdue de réputation, & l'on me mettroit au rang de Marie à la Coque & de fon hiftorien, honneur que je ne mériterai de ma vie; mais auffi ce n'est pas là ce que je crains: voici le fujet d'une appréhension mieux fondée. Les profanes blafphémeroient ce qu'ils ne connoiffent pas. D'ailleurs, la dévotion que je veux vous faire connoître, n'a aucun trait, aucun rapport à ce que vous connoiffez; vous ferez découragées à la peinture que je veux vous faire. Si vous changez de conduite, les faux dévots m'accuferont de votre désertion. En fecond lieu, on trouvera fort mauvais que je traite cette matiere; on dira que je m'érige en directeur, que je n'ai ni caractere, ni grace pour cela. Cela m'attirera une perfécution fâcheufe. On ne confidérera pas que la plupart de vous, Mefdames, vivant dans une campagne la moitié de votre vie, êtes hors de la portée des bons confeils. On me répondra qu'il y a affez de livres qui traitent de la vie fpirituelle: mais ces livres vous ne les avez pas, ou ils font d'un ftyle trop relevé, ou vous ne favez pas les appliquer à vos circonftances particulieres. Il me femble pourtant que la confiance que Dieu vous infpire à mon égard eft une marque de vocation ; il connoît la droiture de mon intention & après tout, ce fera lui qui me jugera & non pas les hommes. Que ces derniers frondent ma conduite & mes leçons, que m'importe : fi une feule de vous peut faire un feul acte de vraie vertu, en conféquence de ces converfa. tions; je ferai amplement dédommagée. Une perfonne qui croit que Dieu l'appelle à la perfection, ne doit rien épargner pour répondre aux vues de la miféricorde divine à fon égard; & le premier pas qu'elle doit faire pour cela, est de prendre une jufte idée de ce que l'on appelle perfection. On cherche à s'en inftruire ordinairement en lifant une multitude d'Auteurs qui en ont traité, & l'on néglige celui de tous les livres où l'on trouve le chemin de la perfection le mieux tracé & en moins de mots. C'eft de la Sainte Ecriture que je vous parle, Mesdames, & fur-tout du faint Evangile. Nous trouvons dans la vie de Jefus le vrai modele de la perfection, & c'eft à ce divin modele que doivent chercher à reffembler toutes celles qui veulent devenir de parfaites chrétiennes. Mais, Mefdames, avant de devenir dévotes, il faut être juftes; c'eft-à-dire, que l'obfervation des Commandemens de Dieu doit précéder celle des confeils, car les confeils ne tendent qu'à éloigner & diminuer les obftacles à l'accompliffement des préceptes. Mlle. DOROTHÉE. Je n'entends pas bien cela, Mademoifelle, & je vous prie de nous l'expliquer par quelque exemple. LA BONN E. J'entends tous les jours les gens du monde fe plaindre des dévots. Leurs fujets de plaintes font légitimes, & ils n'ont de tort réel, qu'en ce qu'ils appellent dévots des gens qui ne font pas même dignes de porter le nom de chrétiens. Cette femme, dit-on, depuis qu'elle eft dévote, fait tourner la tête à fon mari par fa mauvaise humeur. Elle critique tout, fe fâche de tout, s'accorde tout à elle-même, & refuse tout aux autres. Mais cette personne n'eft pas une dévote. Le quatrieme commandement de Dieu ordonne d'obéir à fes fupérieurs. S. Paul ordonne aux femmes d'obéir à leurs maris; on ne peut être chrétienne & négliger ces devoirs. Cette femme eft bien loin de la pratique des confeils, puifqu'elle néglige les préceptes. LA PRÉSIDENTE. Un mot d'explication à cet égard, s'il vous plaît; faut-il obéir à fon mari quand il commande des choses mauvaifes ? LA BONNE. Non affurément, Madame; il faut alors lui défobéir. Mais qu'entendezvous, je vous prie, par ces chofes mauvaises? |