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bien pareffeufe. J'ai demandé à Dieu de me donner quelque bonne pensée pour m'aider à vaincre la pareffe, & depuis ce temps il me vient dans l'efprit en m'éveillant : Ton maître a la bonté de te donner ce jour pour l'aimer, pour travailler pour lui; ne perds pas un inftant de cette journée : hélas! il y a tant de gens qui font morts cette nuit ; que ne donneroient-ils pas, pour avoir encore un jour où ils puffent travailler à leur falut! On diroit que cette pensée eft comme un coup de fouet qui me réveille & me fait fauter au bas de mon lit. Quand je m'habille, il me vient dans l'efprit que ma pauvre ame eft toute nue, toute pauvre; je demande au bon Dieu de la revêtir de fa grace; en un mot, Mademoiselle, je dis tout ce qui me vient dans l'efprit, & fouvent je m'apperçois que cela n'a pas le fens commun. Je fuis bien honteufe de ne dire au bon Dieu que des platitudes, je fouhaite d'avoir de l'efprit pour faire

de belles prieres, & comme cela n'est pas poffible, je prie Jefus de prier pour moi. J'offre à Dieu les prieres de la Sainte Vierge & des Saints; je tourmente mon bon Ange pour qu'il prie à ma place. Enfuite je fais ma priere avec bien de la distraction, car on m'interrompt quelquefois à chaque inftant. La cuifiniere vient fe plaindre de ce qu'elle n'a rien trouvé au marché; le laquais vient me direqu'elle eft de mauvaife humeur & qu'il ne peut plus vivre avec elle; ou bien Madame fonne, & je fuis fouvent obligée de quitter cette priere dix fois.

LA BONNE.

Mais avant que d'aller voir ce que veut Madame, ou de répondre à ceux qui vous interrompent fi mal-à-propos, ne pourriez-vous pas achever votre priere & les laiffer gronder & murmurer tant qu'ils voudroient?

LISETTE.

J'ai voulu faire cela deux ou trois

que

fois, mais il ne m'a pas été poffible de continuer; c'eft peut-être une faute, mais j'ai des pensées à cet égard qui me tourmentent. Je n'entends jamais fonner Madame, fans qu'il ne me vienne dans l'efprit: Voilà Dieu qui t'appelle. Jugez après cela fi je puis refter un feul inftant fans y aller. Si je fais attendre ceux qui ont befoin de moi, je crois le bon Dieu me demande compte de leurs impatiences & de leurs murmures; fi ce font des fermiers, des ouvriers, des gens de campagne, je me crois refponfable du temps que je leur fais perdre, & j'aime mieux reprendre ma priere que de les mécontenter. C'est peut-être une faute, j'en demande pardon à Dieu, & je lui offre l'acte de charité que je fais en le quit tant, ou l'acte de patience, car fouvent on m'interrompt mal-à-propos, & j'aurois bien fouvent envie de gronder; & je le ferois fans de certaines pensées qui me viennent dans l'efprit. Dites

moi, s'il vous plaît, Mademoiselle, fi j'offense Dieu en quittant ainfi ma

priere.

LA BONNE.

Je ne le crois pas, ma chere; c'eft, ce me femble, quitter Dieu pour Dieu. Mais dites-nous, je vous prie, quelles font ces penfées qui vous viennent dans l'efprit ?

LISETTE.

Que je fuis la derniere des créatures, & que par conféquent il eft jufte que je fois leur fervante; que Jefus-Chrift recevoit patiemment les grands, les petits, les juftes & les pécheurs; qu'il fouffroit d'être interrompu dans fa retraite; qu'il ne fe rebutoit point des fortes questions de fes Apôtres que fainte Françoife, Dame Romaine, quitta quatre fois le même verfet en difant l'office, pour répondre à son mari.

LA BONNE.

Mais, puifque vous ne favez pas lire,

comment avez-vous pu favoir tous les faits que vous venez de citer?

LISETTE.

Madame la Marquise a une douzaine de filles qu'elle éleve par charité, & dont je fuis chargée; c'est ce qui prend tout mon temps. Ces filles ont à remplir une certaine tâche de travail ; nous nous fommes accoutumées à travailler vîte, en forte qu'il nous refte affez de temps, pour que ces filles lifent tour à tour de bons livres ; & comme Dieu m'a donné une bonne mémoire, je retiens tout.

LA BONNE.

Mais vous ne pouvez pas lire toute la journée, cela feroit trop pénible; à quoi occupez-vous le refte du temps?

LISETTE.

Comme ces filles font fort pieuses, elles m'engagent à dire l'office en trayaillant; nous difons auffi le chapelët,

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