de la piété. Il me faut des vertus intérieures, fur- tout l'obéiffance qui est fille de l'humilité. Mais changeons de discours; voilà notre fainte fille qui revient, & elle ne doit pas entendre fes louanges. LA PRÉSIDENTE. Il faut que je vous encourage un peu, Mademoiselle; depuis notre derniere conversation, j'ai effayé de mettre en pratique les chofes que vous nous aviez recommandées. Nous avons eu un grand fouper; j'en ai fait les honneurs de fort bonne grace; Monfieur le Préfident en a été enchanté, & fut hier de la meilleure humeur du monde. Mais ce qui m'a furpris, c'est que j'ai eu la plus grande facilité du monde à faire mes prieres le foir; en vérité, au lieu de mes distractions, j'avois de la dévotion senfible. LA MARCHANDE. Et moi j'ai un vrai fcrupule. On prêcha hier aux Capucines; c'étoit un excellent prédicateur, & je me préparois à l'aller entendre; j'avois déjà pris ma coiffe, & mon mari levoit les épaules. Tout d'un coup je me fuis fouvenue que c'étoit un jour de marché, qu'il viendroit beaucoup de monde à la boutique, & que Dieu auroit plus agréable que j'y reftaffe que d'aller entendre fa parole. J'ai donc ôté ma coiffe & me fuis remife au comptoir. Eft-ce que vous ne fortez pas, Madame, m'a dit la fille de boutique ? Non, ma chere, lui ai-je répondu. Vous aurez beaucoup de monde ce matin, je veux vous aider. Mon mari a fait un grand figne de croix en criant miracle; au moins une fois en fa vie, ma femme aura été raisonnable! J'avois grande envie de me fâcher d'une telle exclamation, j'ai réprimé ce mouvement, & lui présentant la main, je lui ai dit : J'efpere, avec la grace de Dieu, que ce ne sera pas la derniere fois que je ferai mon devoir. llouvroit de grands yeux, & ne pouvoit en croire mes paroles. Déjà je me félicitois d'avoir remporté cette victoire; mais ma fille de boutique, qui a de la piété, m'a fait entendre qu'elle étoit fcandalifée de ma conduite. Effectivement, j'ai préféré un vil intérêt aux avantages que je pouvois espérer pour mon ame; cela m'inquiete beaucoup. LA BONN E. Etoit-ce par un motif d'intérêt, ou feulement pour remplir les devoirs de votre état que vous avez préféré votre boutique au fermon? LA MARCHANDE. J'ai d'abord cru que c'étoit par un bon motif que j'étois reftée chez moi; mais peut-être me trompé-je, LA BONNE. Soyez tranquille fur ma parole, Ma dame. Votre motif réel est le fecond. D'ailleurs, c'est une des vertus de votre état de vous fervir des moyens honnêtes de vous enrichir ; vous avez une famille qu'il faut établir, c'est un devoir, & cela ne vous empêchera pas de vous élever à la perfection, pourvu qu'en prenant tous les moyens légitimes de gagner du bien, vous abandonniez abfolument le fuccès à la Providence, & que vous foyez difpofée à recevoir également de la main de Dieu le gain ou Voilà une finguliere maniere de devenir dévote. C'eft donc dans une boutique, au milieu d'un grand repas, qu'on peut parvenir à la perfection. Ne feroit-elle pas par hafard dans les affemblées, les fpectacles, les bals? LA BONNE. Si vous étiez née Impératrice, & que votre époux l'exigeât abfolument ; que votre cœur fût abfolument détaché de ces plaifirs; que vous foupiraffiez après le moment d'en être affranchie; que vous employaffiez toute votre autorité pour en diminuer le nombre, pour en bannir l'excès; qu'au milieu de ces amufemens frivoles, vous euffiez la force de vous occuper de Dieu, de vous diftraire du plaifir; je ne balancerois pas à vous dire que cela ne nuiroit point à votre perfection. Mais grace au Ciel vous n'êtes pas dans ce cas, & avec les conditions que j'y mets, ou plutôt que les Saints y ont mis, il n'y a pas d'agrément à fe trouver à ces fortes de fêtes. Continuons à bien démêler la fauffe & la vraie piété. Je vous ai dit que le fondement de la dévotion eft l'amour de la justice, c'est-à-dire, l'accompliffement des devoirs de fon état. Ajoutez-y un cœur purgé du péché, & de l'affection au péché. Je ne parle pas feulement de ceux qui font confidérables, mais encore qu'on appelle mal-à-propos légers. La dévotion eft le produit d'un amour plus |