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rémission des péchés de tous1». Ce réjouissant bourreau nous fait songer à Thomas Diafoirus offrant à Angélique de lui faire voir « un de ces jours, pour la divertir, la dissection d'une femme, sur quoi il doit raisonner >>.

Si contestée qu'elle ait été, la pièce de Don Juan d'Autriche n'en obtint pas moins un succès éclatant, qui s'est renouvelé depuis. Ce succès, elle le dut à des causes multiples :

1° Au mouvement, au brio, à l'habileté scénique dont l'auteur a fait preuve;

2o Aux réflexions libérales, aux traits mordants, lancés contre l'Inquisition et la vie monastique, toutes choses étrangères et presque contraires à la vérité historique, mais qui répondaient au goût d'un parterre bourgeois plus ou moins libre penseur ;

3o A certains coups de théâtre d'un effet saisissant, comme la scène où Dona Florinde fait reculer d'épouvante le Roi en lui jetant ce mot terrible: « Je suis une Juive! »; comme la rencontre de Philippe II et de Don Juan; comme l'apparition finale du grand Empereur, dont l'auguste fantôme rappelle celui du Commandeur dans le Don Juan de Molière ;

4o Enfin, aux mérites intrinsèques de l'œuvre, ajoutez la bonne fortune d'une interprétation telle qu'il serait difficile de la retrouver aujourd'hui ; une réunion d'acteurs incomparablement groupés: Ligier jouant Charles-Quint, Firmin Don Juan, Geffroy Philippe II, Samson Don Quexada, Mme Volnys Dona Florinde, Mlle Anaïs Peblo. Quand on a vu cette troupe dans ses beaux jours, on en garde

1. Acte V, sc. III.

une impression ineffaçable. Et à distance, tout en reconnaissant ce qu'il y a d'artificiel, de convenu, de faux même dans certaines parties, il est difficile de résister au charme des souvenirs. Une œuvre qui vous a remué, transporté de la sorte, n'est pas tant à mépriser.

II

Avec la Popularité1, nous allons nous trouver en face d'une pièce offrant un caractère tout différent. Le Don Juan d'Autriche, ce scénario brillant brodé sur l'histoire, gagne surtout à la représentation et court risque de perdre à la lecture. La Popularité, au contraire, froidement accueillie par le public, malgré des qualités littéraires supérieures, est plutôt un drame de cabinet. L'auteur, qui travaille lentement, comme le fait remarquer malignement Gustave Planche, dans sa vie paisible et retirée, étranger au tumulte de l'agora, n'est point assez l'homme de l'impromptu et de l'à-propos pour aborder la comédie politique à la façon d'Aristophane. Sheridan ou Beaumarchais, mêlés aux agitations et aux intrigues de leur temps, étaient mieux placés que lui pour ce genre de critique. Néanmoins, en dépit de la malveillance qu'elle rencontra, on peut dire que la Popularité est une des créations les plus sérieuses, les plus fortement pensées et les plus vigoureusement écrites de Casimir Delavigne, celle à laquelle il a consacré le plus de temps et d'étude, celle qui lui fait peut-être le plus d'honneur. Il y a mis non seulement son talent d'écrivain, mais sa conscience d'honnête homme.

1. Comédie en cinq actes et en vers représentée sur le ThéâtreFrançais le 1er décembre 1838.

La popularité! mot terrible et séduisant à la fois, qui inspirait à Auguste Barbier un digne pendant de sa Curée et de son Idole, un de ces tableaux étincelants qu'éclaire le soleil de 1830:

La popularité! c'est la grande impudique
Qui tient dans ses bras l'Univers !

C'est de cette idée que Delavigne a tiré un sujet, non pas de drame, mais de comédie. Indépendamment des Iambes enflammés du poète, son expérience personnelle eût suffi pour l'y pousser. L'auteur, qui a été si longtemps le Benjamin de l'opinion, qui en a connu toutes les caresses tant qu'il est resté dans les rangs de l'opposition, a vu la faveur du public s'attiédir et se retirer de lui à mesure que celle du Roi s'est accrue pour l'écrivain, devenu plus que jamais l'ami des Tuileries, sans s'abaisser au rôle de courtisan. Nature délicate et fière, Delavigne a souffert de ces exigences et de ces retours de l'esprit de parti, auquel il refuse de sacrifier sa conscience et ses affections. Homme de juste milieu par tempérament, par conviction, en politique comme en littérature, il laisse crier les violents, et ne craint pas de s'attaquer aux flagorneurs et aux corrupteurs de la popularité. Il sent trop à quel prix elle s'achète parfois, et n'hésite pas à le rappeler aux politiciens, aux journalistes, à toute cette clientèle qui exploite et caresse les passions de la foule, au lieu de chercher à la modérer et à l'éclairer. Aussi sa pièce, remplie de vérités désagréables, lui valut-elle un accueil glacial ou hostile chez ceux qu'elle atteignait visiblement.

Il l'a dédiée à son fils, avec une sorte de mélan

colie, en songeant à l'avenir de cet enfant qui essayera peut-être un jour de mordre à ce fruit trompeur et doré de la popularité. Celui-ci ne vécut point assez pour tenter les hasards d'une fortune politique où il eût pu ne trouver, comme tant d'autres, que déceptions et dégoûts.

Parmi les nations de l'Europe, l'Angleterre a, la première, offert le spectacle du régime parlementaire et constitutionnel; la première elle a donné l'exemple de ces forces nouvelles qui s'appellent la souveraineté populaire, les élections, les meetings, la presse, l'opinion, la réclame. Aussi est-elle devenue le champ préféré de la comédie politique. C'est là qu'Alexandre Duval a placé jadis son Orateur parlementaire, là que Scribe a découvert son Ambitieux avec Walpole, là que Casimir Delavigne va mettre en scène le héros et la victime de la Popularité.

Bien que les noms et les personnages soient Anglais, il n'y a point cependant à s'y tromper. C'est de la société française qu'il s'agit, des opinions et des partis qui la divisent au lendemain de 1830, avec toutes les rancunes, les déceptions, les espérances, les intrigues avouées ou secrètes, les germes de guerre et de révolution qu'elle porte dans son sein. Légitimistes, bonapartistes, républicains, libéraux et conservateurs pourront tous s'y reconnaître, et sauront peu de gré à l'auteur de les avoir si fidèlement dépeints. Premier écueil pour la réussite.

Il en est d'autres encore à signaler. Sans doute nous trouvons là un talent d'observation incontestable, de fines et malignes critiques, de spirituels portraits, des élans généreux, de beaux vers d'une allure libre et fière, mais tout cela ne saurait racheter la froideur

native qu'apporte avec elle la politique prise au sérieux, et le manque d'action dramatique.

Un mince rayon d'amour vient se mêler aux passions des partis qui l'étouffent bientôt. Risquer une comédie sans femmes sur notre théâtre était une entreprise hasardée. Or lady Strafford, la seule femme de la pièce, est moins une amante enfiévrée qu'une habile et ardente conductrice d'intrigues et de complots, qui sacrifie son amour à la cause de ses princes et de son parti, comme Édouard, lui aussi, sacrifiera sa maîtresse aux devoirs de l'homme d'État.

Édouard Lindsey est un jeune orateur politique dans tout l'éclat et dans toute l'ivresse de sa popularité, qu'il se flatte de maintenir intacte et pure jusqu'au bout, sans rien abdiquer de ses principes, sans concessions ni compromis. Chef de l'opposition libérale, dont il est l'oracle et l'idole, acclamé, applaudi par la foule dès qu'il ouvre la bouche, il se croit maître de l'opinion au moment même où il va en devenir l'esclave. Jaloux et fier de son indépendance, il a compté sans les exigences des partis, sans les caprices et la sottise de ses électeurs, sans la double pression de son ami Mortins, un républicain, et de son amante lady Strafford, une jacobite, qui viendront ébranler sa volonté. Une première fois, il cède pour l'élection du lord-maire, où il oublie la promesse faite à son père, Sir Gilbert Lindsey, de voter pour l'honnête Nelbroun, un bon citoyen quoique candidat du ministère; il appuie de son vote un ami des Stuarts, lord Derby, le candidat de la coalition1,

1. La pièce était représentée au moment où la coalition de MM. Thiers, Guizot, Odilon Barrot, amenait la chute du ministère Molé.

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