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La grande difficulté était d'arriver au consentement de Madeleine. Pour l'amener, l'auteur a recours à une petite conspiration de famille à laquelle s'associent Mariette, très généreuse et très loyale, Jean Bonnin très zélé, d'autant plus qu'il y gagne la main de Mariette; enfin Jeannie, le fils du premier mari, celui d'où pouvait venir la résistance et qui insiste auprès de sa mère en faveur de François. Madeleine finit par se rendre à demi :

Mon Dieu, c'est comme un rêve, et vous ne me donnez pas le temps de me reconnaître! Allons, puisque tout le monde le veut ici, il faudra bien que je finisse par le vouloir moi-même 1.

Procédé analogue à celui dont use Corneille pour sauver les convenances et l'honneur de Chimène, en renvoyant à une époque ultérieure son mariage avec Rodrigue, impossible à résoudre dans les vingtquatre heures, en face du cercueil de Don Gomès :

Pour vaincre un point d'honneur qui combat contre toi
Laisse faire le temps, ta vaillance et ton roi.

II y moins d'un an que Madeleine est en deuil du peu regrettable et peu regretté Blanchet; nous attendons et nous sommes sûrs du dénouement. Grâce à ces réserves, l'obstacle est surmonté et le Rubicon passé.

Nous laisserons de côté Claudie, une autre paysannerie empreinte d'un caractère plus sombre et appartenant moins à la comédie qu'au drame. C'est maintenant au monde bourgeois que nous arrivons avec le Mariage de Victorine.

1. Acte III, sc. x.

III

Après Molière, qu'elle admire sincèrement et qu'elle met plus d'une fois en scène, sans trop de bonheur, il est vrai, Sedaine est un des grands éducateurs dramatiques de George Sand, un de ses auteurs préférés. Ce qu'elle aime en lui, c'est «< la sensibilité profonde et vraie de l'expression, la noblesse vaillante et simple des caractères », tout en reconnaissant ce qui lui manque pour le style, une partie où elle se sent elle-même si justement supérieure. Parmi ses pièces, il en est une surtout qui l'a ravie, transportée, par l'héroïsme bourgeois, paisible et contenu qu'elle met en relief: le Philosophe sans le savoir. Elle y a trouvé non seulement du charme, mais de la grandeur. Peut-être son imagination de poète a-t-elle un peu amplifié les proportions des personnages et la valeur des sentiments et des pensées. Mais qui pourrait se plaindre d'un enthousiasme aussi sincère? La reprise de cette œuvre au Théâtre-Français a été pour elle une révélation. A ceux qui se contentent d'y voir « une bonne petite vieillerie charmante, un tableau d'intérieur flamand, bien suave, bien frais et d'une harmonie bien agréable à regarder pour reposer la vue après les tons criards de la moderne littérature dramatique », elle répond qu'il y a autre chose dans. cette adorable comédie de Sedaine :

« Ces types ne sont pas flamands, dit-elle, j'en demande pardon aux critiques, ce sont les derniers bons Français du XVIIIe siècle, s'élançant avec tant de calme qu'on ne s'en aperçoit pas, vers le siècle nouveau. Le calme, c'est la force; mais ce ne sont pas là des

fumeurs paisibles absorbés dans la douceur du repos, ni dans le bien-être de la vie intérieure. Ce sont des hommes bien trempés, qui luttent contre les fausses idées de leur siècle, tout en conservant avec la même fermeté les idées éternellement bonnes et vraies. On respire l'honneur, le courage et la générosité dans l'atmosphère de M. Vanderke. On sent que rien de grand et de fort ne sera impossible dans cette famille; et en présence de ce chaste amour de la petite Victorine pour l'héritier d'un nom et d'une fortune, en présence de cette fierté puritaine du vieux Antoine. qui s'efforce d'étouffer l'amour de sa fille, on ne peut pas douter un instant du résultat que Sedaine a laissé prévoir, et que j'ai osé montrer. »

Là est le point de départ de la nouvelle pièce. L'amour latent, discret, de Victorine pour le fils de la maison, le stoïcisme rigide du vieux serviteur Antoine combattant, refoulant cette passion qu'il s'effraye de voir naître dans le cœur de sa fille, tel est le double élément du second drame greffé par George Sand sur l'œuvre primitive de Sedaine.

Ces deux personnages secondaires d'Antoine et de Victorine vont devenir les deux rôles principaux, bien que le père de famille, M. Vanderke, conserve toujours son rang par la dignité du caractère, la sagesse et la pondération des idées, le sang-froid en face des accidents de la fortune, et cette admirable égalité d'âme qui fait de lui le modérateur suprême de l'action et du dénouement. La grande difficulté, et le grand mérite de George Sand, est d'avoir su rester dans les tons moyens, sans se laisser aller à ces explosions si naturelles à l'auteur de Lélia c'est d'avoir, sur cette trame légère et délicate, sans péri

péties et pour ainsi dire sans action, construit une pièce en trois actes où tout l'intérêt repose sur des analyses de sentiment et sur une situation qui ne varie guère. Deux belles âmes s'immolant au devoir, Victorine en étouffant un amour qui la consume, Antoine en sacrifiant le bonheur de sa fille qu'il aime plus que lui-même, tel est le spectacle qui va se dérouler devant nous.

Peut-être ce cadre de trois actes est-il trop vaste pour un sujet si restreint : mais l'auteur a voulu donner un pendant au Philosophe sans le savoir, et lui prêter les mêmes proportions. Bien que les suites n'aient guère réussi, ni à Corneille dans la Suite du Menteur, ni à Beaumarchais dans la Mère coupable après Figaro, on ne saurait nier l'intérêt que présente ce décalque ou cette transposition ingénieuse d'un petit chefd'œuvre; la finesse et la grâce de l'exécution faites pour la lecture plus encore que pour la scène. George Sand, réagissant contre l'abus de la dramaturgie, contre ce qu'elle appelle elle-même le matérialisme du théâtre, tombe à son tour dans l'excès du spiritualisme. Un critique contemporain dit avec quelque raison :

<«< Ce que nous blâmerons dans la nouvelle pièce de Mme Sand, c'est qu'à force d'éviter les complications et les effets, de chercher dans l'analyse seule du sentiment, dans l'étude attentive d'un repli du cœur, cet élément de curiosité et de succès que le drame demandait jadis au fracas des péripéties, l'auteur finit par nous promener dans le vide, et le spectateur somnolent a besoin d'un effort pour saisir ce tissu léger, amoindri, où rien n'arrête plus les yeux ni la main 1. »

1. Revue des Deux Mondes, 15 décembre 1852, article d'Armand de Pontmartin.

La pièce de Sedaine, si simple qu'elle soit, a bien autrement de corps et, de muscles, de ressorts et de situations dramatiques.

Le fameux épisode des trois coups frappés à la porte est resté, avec le coup de canon d'Adélaïde Duguesclin, un des grands effets scéniques du XVIIe siècle. Nous ne trouvons rien de pareil dans le Mariage de Victorine.

On se rappelle, dans Sedaine, le moment où le jeune Alexis Vanderke, avant d'aller se battre en duel, confie sa montre à Victorine en lui recommandant de ne la remettre qu'à lui. « Qu'à moi! qu'à moi! que veut-il dire? » s'écrie la jeune fille. De là va naître l'action nouvelle : la montre reparaîtra bientôt comme un cher souvenir du passé.

Ce rôle de Victorine, que Sedaine s'est contenté d'esquisser au second plan, est devenu pour George Sand un curieux objet d'étude. Avec son œil pénétrant et sa délicate main de femme, elle s'est mise à fouiller, à disséquer cette âme candide et pure de jeune fille où l'amour est entré sans crier gare, et qu'il possède et ravage maintenant. Pourtant Victorine n'est point une rêveuse, ni une précieuse, ni un esprit chimérique ou romanesque. La nature l'a plutôt faite aimable, enjouée, expansive elle lui a donné une certaine dose de bon sens populaire ou bourgeois qu'elle tient de son père. Sa droiture, sa délicatesse, sa raison lui disent qu'elle ne peut songer à épouser le fils de ses maîtres. Les bontés mêmes dont la comblent chaque jour M. et Mme Vanderke, l'affection fraternelle dont l'honorent et leur fille Sophie mariée à un magistrat, et leur fils, le généreux et cordial Alexis, lui font une loi d'autant plus sévère de la réserve et de la dis

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