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capables de leur rendre justtice, (a) Virtutes iifdem temporibus optimè æftimantur quibus facillimè gignuntur? Ne fçauroit-on croire donc qu'il eft des tems où dans le même pays, les hommes naiffent avec plus d'efprit que dans les tems ordinaires? Peut-on penfer, par exemple, qu'Auguste, quand il auroit été fervi par deux Mécenes, auroit pû, s'il eût regné au tems où regna Conftantin, changer par fes libéralités les Ecrivains du quatriéme fiécle en des TitesLives & en des Cicérons? Si Jules II & Leon X avoient regné en Suede, croit-on que leur munificence eût formé dans les climats hiperborées, des Raphaëls, des Bembes & des Machiavels? Tous ces pays font-ils propres à produire de grands Poëtes & de grands Peintres ? N'eft-il point des fiécles ftériles dans les pays capables d'en produire ?

En méditant fur ce fujet, il m'eft fouvent venu dans l'efprit plufieurs idées que je reconnois moi-même pour être plutôt de fimples lueurs. que de véritables lumieres. J'ignore donc encore après toutes mes réflexions, s'il eft bien vrai que les hommes qui naiffent durant certaines années, furpaffent autant leurs ancêtres & leurs (a) Vit. Agric.

neveux en étendue & en vigueur d'efprit, ces premiers hommes dont parle l'Hiftoire fai & l'Hiftoire profane, & qui ont vécu plufic fiécles, furpaffoient certainement leurs defc dans en égalité d'humeurs & en bonne co plexion. Mais il fe trouve affez de vraisembl ce dans mes idées pour en difcourir avec le 1

teur.

Les hommes attribuent fouvent aux cau morales, des effets qui appartiennent aux ca fes phyfiques. Souvent nous imputons a contre-tems, des chagrins dont la fource uniquement dans l'intempérie de nos humeur ou dans une difpofition de l'air qui afflige not machine. Si l'air avoit été plus férein, peu être aurions-nous vu avec indifférence une cho qui vient de nous défefpérer. Je vais donc e pofer ici mes réflexions d'autant plus volo tiers, qu'en fait de probabilité & de conject res, on se voit réfuter avec plaifir, quand c apprend dans une réponse des chofes plus fol des que celles qu'on avoit imaginées. Comm dit Cicéron: (a) Nos qui fequimur probabilia, n ultra id quod verifimile occurrerit progredi poffumus & refellere fine pertinacia & refelli fine iracundia pa rati fumus.

(a) Tufcul. qu. lib. 2.

Ma premiere réflexion, c'eft qu'il eft des pays & des tems où les Arts & les Lettres ne fleuriffent pas, quoique les caufes morales y travaillent à leur avancement avec activité. Les Achilles qui paroiffent dans ces tems-là, ne trouvent point un Homere digne de chanter leurs belles actions. « Tout ce qu'ils font, c'est » de fournir aux Poëtes à venir, des fujets pro» pres à les exciter & à les foutenir. »

La feconde réflexion, c'eft que les Arts & les Lettres ne parviennent pas à leur perfection par un progrès lent & proportionné avec le tems qu'on a employé à leur culture, mais bien par un progrès fubit. Ils y parviennent, quand les causes morales ne font rien pour leur avancement qu'elles ne fiffent déja depuis longtems, fans qu'on apperçût cependant aucun fruit bien fenfible de leur activité. Les Arts & les Lettres retombent encore, quand les caufes morales font des efforts redoublés pour les foutenir dans le point d'élévation où ils étoient montés comme d'eux-mêmes.

Enfin les grands Peintres furent toujours contemporains des grands Poëtes, & les uns & les autres vécurent toujours dans le même tems que les plus grands hommes leurs compatriotes. Il

Tome II.

T

a paru que, de leurs jours, je ne fçai quel prit de perfection fe répandoit fur le genre main, 'dans leur patrie. Les profeffions avoient fleuri en même tems que la Poëfie que la Peinture, font encore déchues avec elle

PREMIERE REFLEXION.

Il feroit inutile de prouver fort au long qu'il eft des pays où l'on ne vit jamais de grand Peintres, ni de grands Poëtes. Par exemple tout le monde fçait qu'il n'eft forti des extrê mités du Nord que des Poëtes fauvages, de Verfificateurs groffiers & de froids Coloriftes La Peinture & la Poëfie ne fe font point appro chées du pole plus près que la hauteur de la Hollande. On n'a guéres vu même dans cette Province qu'une peinture morfondue. Les Poëtes Hollandois ont montré plus de vigueur & plus de feu d'efprit que les Peintres leurs compatriotes. Il femble que la Poëfie ne craigne pas le froid autant que la Peinture.

On s'eft apperçu dans tous les tems que la gloire de l'efprit étoit tellement réfervée à de certaines contrées, que les pays limitrophes ne la partageoient guéres avec elles. Paterculus

dit, (a) qu'il ne faut pas plus s'étonner de voir tant d'Athéniens illuftres par leur éloquence, que de ne pas trouver à Thebes, à Lacédémone & dans Argos, un homme célébre en qualité de grand Orateur. L'expérience avoit accoutumé à voir fans furprise cette diftribution inégale de l'efprit entre des contrées fi voifines. Les différentes idées, dit un Auteur moderne, (b) font comme des plantes & des fleurs qui ne viennent pas également bien en toutes fortes de climats. Peutêtre notre terroir de France n'eft-il pas propre pour les raifonnemens que font les Egyptiens, non plus que pour leurs Palmiers: & fans aller fi loin, peut-être que les Orangers qui ne viennent pas ici auffi facilement qu'en Italie, marquent-ils qu'on a en Italie un certain tour d'efprit que l'on n'a pas tout-à-fait femblable en France. Il est toujours für que par l'enchaînement & la dépendance réciproque qui eft entre toutes les parties du monde matériel, les différences de climats qui fe font fentir dans les plantes, doivent s'étendre jufques aux cerveaux, & y faire quelque effet. Il feroit à défirer que cet Auteur eût bien voulu prendre la peine de développer luimême ce principe. Il auroit éclairci bien mieux

(a) Patercul. lib. hift. prim.

(b) M. de Fontenelle, Difgreff. fur les Anciens.

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