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par des événemens qui ne font pas de notre fujet, s'y étant encore multiplié plus qu'il ne l'a fait en aucun autre endroit de l'Europe, le befoin & la facilité d'avoir des légumes & du laitage dans une prairie continuelle, la facilité d'avoir du poiffon au milieu de tant d'eaux douces & falées, ont accoutumé les habitans à se fuftenter avec ces alimens flegmatiques, au lieu que leurs anciens prédéceffeurs fe nourriffoient de la chair de leurs troupeaux, & de celles des animaux domestiques devenus fauvages, dont on voit, par Tacite & par d'autres Ecrivains de l'antiquité, que leurs bois étoient remplis.

Le Chevalier Temple qui a été frapé de la différence du caractere des Bataves & des Hollandois, & qui a voulu en rendre raison, attribue cette différence au changement de nourriture (a). De pareilles révolutions fur la furface de la terre, qui caufent toujours beaucoup d'altération dans les qualités de l'air, & qui ont encore été fuivies d'un fi grand changement dans les alimens ordinaires, que les nouveaux habitans fe nourriffent en Pêcheurs & en Jardiniers, au lieu que les anciens habitans fe nourriffoient en Chaffeurs; de pareilles révolutions,

(a) Etat des Provinces-Unies, ch. 4.

dis-je,

dis-je, ne fçauroient arriver, fans que le caractere des habitans d'un pays ceffe d'être le même.

Après tout ce que je viens d'exposer, il est plus que vraisemblable que le génie particulier à chaque peuple, dépend des qualités de l'air qu'il refpire. On a donc raifon d'accufer le climat de la difette de génies & d'efprits propres à certaines chofes, laquelle fe fait remarquer chez certaines nations. La température des climats chauds, dit le Chevalier Chardin (a), énerve l'efprit comme le corps, & diffips ce feu d'imagination néceffaire pour l'invention. On n'eft pas capable en ces climats-là de longues veilles & de cette forte application qui enfante les ouvrages des Arts libéraux & des Arts mécaniques. C'eft feulement vers le Septentrion qu'il faut chercher les Arts & les Métiers dans leurs plus hautes perfections. Notre Auteur parle d'Hispahan, & Rome & Athenes font des villes feptentrionales par rapport à la Capitale de la Perfe. C'est le fentiment que donne l'expérience. Tout le monde ne convientpas d'attribuer à l'excès du froid comme à l'excès du chaud, la ftupidité des Négres & celle des Lapons?

il

(a) Defcrip. de la Perse, ch. 7.

Tome II.

Nn

SECTION X VI I.

De l'étendue des climats plus propres aux Arts & aux Sciences que les autres. Des changemens qui furviennent dans ces climats.

ON m'objectera que les Arts & les Sciences

ont fleuri fous des climats bien différens. Memphis, ajoutera-t'on, eft plus près du Soleil que Paris, de dix-huit dégrés, & cependant les Arts & les Sciences ont fleuri dans ces deux Villes.

Je réponds que tout excès de chaleur, & que tout excès de froid ne font pas contraires à une heureuse nourriture des enfans, mais feulement les excès outrés, foit du froid, foit du chaud. Loin de borner à quatre ou cinq dégrés la température convenable à la culture des Sciences & des beaux Arts, je crois que cette température peut comprendre vingt ou vingt-cinq dégrés de latitude. Ce climat fortuné peut même s'étendre & gagner du terrein, à la faveur de plufieurs événemens.

Par exemple, l'étendue du commerce donne aujourd'hui aux Nations Hyperborées le moyen qu'elles n'avoient point autrefois de faire une

partie de leur nourriture ordinaire, des vins comme des autres alimens qui viennent dans les pays chauds. Le commerce qui s'est infiniment accru dans les deux derniers fiécles, a fait connoître ces chofes où l'on ne les connoiffoit pas. Il les a rendues très-communes en des lieux où elles étoient fort rares auparavant. L'accroiffement du commerce a rendu le vin une boiffon d'un ufage auffi commun dans plufieurs pays où il n'en vient point, que dans les contrées où l'on pays fait des vendanges. Il a mis dans les du Nord le fucre & les épiceries au nombre de ces denrées, que tout le monde confomme. Depuis un tems les eaux-de-vie fimples & compofées, le tabac, le caffé, le chocolat & d'autres denrées qui ne croiffent que fous le foleil le plus ardent, font en ufage, même parmi le bas peuple, en Hollande, en Angleterre, en Pologne, en Allemagne & dans le Nord. Les fels & les fucs fpiritueux de ces denrées jettent dans le fang des nations Septentrionales une ame, ou, pour parler avec les Phyficiens, une huile étheré, laquelle ne fe trouve point dans les alimens de leur patrie. Ces fucs rempliffent le fang d'un homme du Nord d'efprits animaux formés en Espagne, & fous les climats les plus

ardens. Une portion de l'air & de la féve de la terre des Canaries, paffe en Angleterre dans les vins de ces Ifles qu'on y transporte en fi grande quantité. L'ufage fréquent & habituel des denrées des pays chauds rapproche donc, pour ainfi dire, le foleil des pays du Nord, & il doit mettre dans le fang & dans l'imagination des habitans de ces pays une vigueur & une délicateffe que n'avoient pas leurs ayeux, dont la fimplicité fe contentoit des productions de la terre qui les avoit vu naître. Conime on reffent aujourd'hui dans ces contrées des maladies qu'on n'y connoiffoit pas, avant qu'on y fit un ufage auffi fréquent d'alimens étrangers, & qui ne font peut-être pas affez en proportion avec l'air du pays, on y doit avoir pour cela même plus de chaleur & plus de fubtilité dans le fang. Il est certain qu'en même tems qu'on y a connu de nouvelles maladies, ou que certaines infirmités y font devenues plus fréquentes qu'autrefois, d'autres maladies ou font difparues ou font devenues plus rares. J'ai oui dire à M. Regis, célébre Médecin d'Amsterdam que depuis que l'ufage des denrées, dont je viens de parler, s'étoit introduit dans cette ville parmi les gens de toute condition, on n'y voyoit plus

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