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Eft-il décidé autrement que par le fentiment général, que certaines couleurs font naturellement plus gaies que d'autres couleurs. Ceux qui prétendent expliquer cette vérité par principes, ne difent que des chofes obfcures, & que peu de gens croyent comprendre. Cependant la chose eft réputée certaine dans tout l'Univers. On feroit auffi ridicule aux Indes, en foutenant que le noir eft une couleur gaie, qu'on le feroit à Paris, en foutenant que le verd clair & la couleur de chair font des couleurs triftes.

Il est vrai, que lorfqu'il s'agit du mérite des tableaux, le public n'eft pas un juge auffi compétent, que lorsqu'il s'agit du mérite des poëmes. La perfection d'une partie des beautés d'un tableau, par exemple, la perfection du deffein, n'eft bien fenfible qu'aux Peintres ou aux Connoiffeurs qui ont étudié la Peinture autant que les Artifans mêmes. Mais nous difcuterons ailleurs (a) quelles font les beautés d'un tableau dont le public eft un juge non-recufable, & quelles font les beautés d'un tableau qui ne fçauroient être appréciées à leur jufte valeur, que. par ceux qui fçavent les regles de la Peinture.

(a) Sett. 27.

SECTION XX II I.

Que la voie de difcuffion n'eft pas auffi bonne pour connoître le mérite des Poëmes & des Tableaux, que celle du fentiment.

PLUS les hommes avancent en âge, & plus leur raison se perfectionne ; moins ils ont de foi pour tous les raisonnemens philofophiques, & plus ils ont de confiance pour le fentiment & pour la pratique. L'expérience leur a fait connoître qu'on eft trompé rarement par le rapport distinct de ses fens, & que l'habitude de raifonner & de juger fur ce rapport, conduit à une pratique fimple & fure; au lieu qu'on fe méprend tous les jours en opérant en Philofophe, c'est-à-dire, en pofant des principes généraux, & en tirant de ces principes une chaîne de conclufions. Dans les arts, les principes font en grand nombre, & rien n'eft plus facile que de se tromper dans le choix de celui qu'on veut pofer comme le plus important. Ne fe peut-il pas faire encore que ce principe doive varier fuivant le genre d'ouvrage auquel on veut travailler? On peut bien encore donner à un prin.

cipe plus d'étendue qu'il n'en devoit avoir. On compte même souvent ce qui eft fans exemple, pour impoffible. C'en est affez pour être hors de la bonne route dès le troifiéme fyllogifme. Ainfi le quatriéme devient un sophisme fenfible, & lecinquième contient une conclufion dont la fauffeté fouleve ceux-là mêmes qui ne font point capables de faire l'analyse du raisonnement, & de remonter jusqu'à la fource de l'erreur. Enfin soit que les Philosophes phyficiens ou critiques posent mal leurs principes, foit qu'ils en tirent mal leurs conclufions, il leur arrive tous les jours de fe tromper, quoiqu'ils affurent que leur méthode conduit infailliblement à la vérité.

Combien l'expérience a-t'elle découvert d'erreurs dans les raisonnemens philofophiques qui étoient tenus dans les fiécles paffés pour des raifonnemens folides? Autant qu'elle en découvrira un jour dans les raisonnemens qui passent aujourd'hui pour être fondés fur des vérités inconteftables. Comme nous reprochons aux anciens d'avoir cru l'horreur du vuide & l'influence des aftres, nos petits neveux nous reprocheront un jour de femblables erreurs, que le raifonnement entreprendroit en vain de dé

mêler, mais que l'expérience & le tems fçauront bien mettre en évidence.

Les deux plus illuftres compagnies de Philofophes qui foient en Europe, l'Académie des Sciences de Paris & la Société Royale de Londres, n'ont pas voulu ni adopter, ni bâtir aucun systême général de Phyfique. En fe conformant au fentiment du Chancelier Bacon, elles n'en époufent aucun, dans la crainte que l'envie de justifier ce systême, ne fascinât les yeux des obfervateurs, & ne leur fit voir les expériences, non pas telles qu'elles font, mais telles qu'il faudroit qu'elles fuffent, pour fervir de preuves à une opinion qu'on auroit entrepris de faire paffer pour la vérité. Nos deux illuftres Académies fe contentent donc de vérifier les faits & de les inférer dans leurs regiftres, perfuadées qu'elles font, que rien n'eft plus facile au raisonnement, que de trébucher dès qu'il veut faire deux pas au-delà du terme où l'expérience l'a conduit. C'est de la main de l'expérience que ces compagnies attendent un systême général. Que penser de ces fyftêmes de poëfie, qui, loin d'être fondés fur l'expérience, veulent lui donner le démenti, & qui prétendent nous démontrer que des Ouvrages admirés

de tous les hommes capables de les entendre depuis deux mille ans, ne font rien moins qu'admirables. Mieux les hommes le connoiffent euxmêmes & les autres, moins, comme je l'ai déja dit, ils ont de confiance dans toutes ces décifions faites par voie de fpéculation, même dans les matieres qui font à la rigueur fufceptibles de démonftrations géométriques. Monfieur Leibnitz ne se hasarderoit jamais à paffer en caroffe par un endroit où fon cocher l'affureroit ne pouvoir point paffer fans verser, même étant à jeun, quoiqu'on démontrât à ce fçavant homme dans une analyse géométrique de la pente du chemin & de la hauteur, comme du poids de la voiture, qu'elle ne devroit pas y verfer. On en croit l'homme préférablement au Philofophe, parce que le Philofophe se trompe encore plus facilement que l'homme.

S'il eft un art.qui dépende des fpéculations des Philofophes, c'eft la navigation en pleine mer. Qu'on demande à nos Navigateurs, fi les vieux Pilotes qui n'ont que leur expérience, & fi l'on veut, leur routine, pour tout fçavoir, ne devinent pas mieux dans un voyage de long cours, en quel lieu peut être le vaiffeau, que les Mathématiciens nouveaux à la mer, mais qui,

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