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ou agréable aux hommes en général, nous connoiffons alors fans autre lumiere que celle qui vient du fentiment, fi le fçavant a réuffi. L'ignorant en Aftronomie connoît auffi-bien que le fçavant, fi l'Aftronome a prédit l'Eclipse avec précifion, ou fi la machine fait l'effet promis par le Mathématicien, quoiqu'il ne puiffe pas prouver méthodiquement que l'Aftronome & le Mathématicien ont tort, ni dire en quoi ils fe font trompés.

S'il eft des arts dont les productions tombent fous le fentiment, c'eft la Peinture, c'est la Poëfie. Ils n'opèrent que pour nous toucher. Toute l'exception qu'on peut alléguer, c'est de dire qu'il eft des tableaux & des poëmes dont tout le mérite ne tombe pas fous le fentiment. On ne fçauroit connoître à l'aide du fentiment, fi la vérité eft obfervée dans le tableau hiftorique qui représente le fiége d'une place, ou la cérémonie d'un facre. Le fentiment feul ne fuffit point pour connoître fi l'Auteur d'un poëme de Philofophie raisonne avec jufteffe, & s'il prouve bien fon fyftême.

Le fentiment ne fçauroit juger de cette partie du mérite d'un poëme ou d'un tableau, qu'on peut appeller fon mérite étranger; mais c'eft

parce que la Peinture & la Poëfie elles-mêmes font incapables d'en décider. En cela les Peintres & les Poëtes n'ont aucun avantage fur les autres hommes. S'il fe trouve des Peintres & des Poëtes capables de décider fur ce que nous avons appellé le mérite étranger dans les poëmes & dans les tableaux, c'eft qu'ils ont d'autres connoiffances que celles que l'art de la Peinture & l'art de la Poëfie peuvent donner.

Quand il s'agit d'un de ces ouvrages mixtes qui reffortiffent à des tribunaux différens, chacun d'eux juge la queftion qui eft de fa compétence. C'est ce qui donne lieu quelquefois à des jugemens oppofés, & néanmoins équitables, fur le mérite du même ouvrage. Ainfi les Poëtes louent avec raifon le poëme de Lucrece fur l'Univers, comme l'ouvrage d'un grand Artifan, quand les Philofophes le condamnent comme un livre rempli de mauvais raifonnemens. C'est ainsi que les Sçavans en hiftoire blâment Varillas, parce qu'il fe trompe à chaque page, quand les lecteurs qui ne cherchent que de l'amusement dans un livre, le louent à cause de ses narrations amufantes & de l'agrément de fon ftyle.

Mais pour retourner à Lucrece, le public eft

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juge de la partie du mérite de fon poëme, qui est du reffort de la Poëfie, auffi-bien que les Poëtes mêmes. Toute cette portion du mérite de Lucrece tombe sous le fentiment.

Ainfi le véritable moyen de connoître le mérite d'un poëme, fera toujours de confulter l'impreffion qu'il fait. Notre fiécle est trop éclairé, &, fi l'on veut, trop philofophe, pour lui faire croire qu'il lui faille apprendre des Critiques ce qu'il doit penfer d'un ouvrage composé pour toucher, quand on peut lire cet ouvrage, & quand le monde eft rempli de gens qui l'ont lu. La Philofophie qui enfeigne à juger des chofes par les principes qui leur font propres, enseigne en même tems que, pour connoître le mérite & l'excellence d'un poëme, il faut examiner s'il plaît, & à quel point il plaît & il attache ceux qui le lifent.

Véritablement les perfonnes qui ne fçavent point l'art, ne font pas capables de remonter jufques aux caufes qui rendent un mauvais poëme ennuyeux. Elles ne fçauroient en indiquer les fautes en particulier. Auffi ne prétens-je pas que l'ignorant puiffe dire précisément en quoi le Peintre ou le Poëte ont manqué, & moins encore leur donner des avis fur la correction de chaque

faute;

l'in

faute; mais cela n'empêche pas que l'ignorant ne puiffe juger par l'impreffion que fait fur lui un ouvrage compofé pour lui plaire & pour téreffer, fi l'Auteur a réuffi dans fon entreprise, & jufqu'à quel point il y a réuffi. L'ignorant peut donc dire que l'ouvrage eft bon, ou qu'il ne vaut rien, & même il eft faux qu'il ne rende pas raifon de fon jugement. Le Poëte tragique, dira-t'il, ne l'a point fait pleurer, & le Poëte comique ne l'a point fait rire. Il allegue qu'il ne fent aucun plaifir en regardant le tableau qu'il refuse d'eftimer. C'est aux ouvrages à fe défendre eux-mêmes contre de pareilles critiques, & ce qu'un Auteur peut dire pour excufer les endroits foibles de fon poëme, n'a pas plus d'effet qu'en ont les éloges étudiés que fes amis peuvent donner aux beaux endroits. L'amour tyran. nique de Scuderi eft demeuré au nombre des mauvaises pièces, malgré la Differtation de Sarrazin. En effet tous les raifonnemens des Critiques ne fçauroient perfuader qu'un ouvrage plaise, lorfqu'on fent qu'il ne plaît pas, comme ils ne peuvent jamais faire accroire que l'ouvrage qui intéreffe, n'intéreffe pas.

Tome II.

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Du jugement des gens du métier. APRÈS avoir parlé des jugemens du public fur un ouvrage nouveau, il convient de parler des jugemens que les gens du métier en portent. La plupart jugent mal des ouvrages pris en général, par trois raifons. La fenfibilité des gens du métier eft ufée. Ils jugent de tout par voie de difcuffion. Enfin ils font prévenus en faveur de quelque partie de l'art, & ils la comptent dans les jugemens généraux qu'ils portent pour plus qu'elle ne vaut. Sous le nom de gens du métier je comprens ici, non-feulement les perfonnes qui compofent ou qui peignent, mais encore un grand nombre de ceux qui écrivent fur les poëmes & fur les tableaux. Quoi, me dira-t'on, plus on eft ignorant en Poëfie & en Peinture, plus on eft en état de juger fainement des poëmes & des tableaux! Quel paradoxe ! L'expofition que je vais faire de ma propofition, jointe à ce que j'ai déja dit, me justifieront pleinement contre une objection fi propre à prévenir le monde au désavantage de mon fentiment.

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