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dix ans, & que nous avons retenues, feront chantées par la postérité.

Les fautes que les gens du métier s'obstinent à faire remarquer dans les ouvrages eftimés du public, retardent bien leur fuccès, mais elles ne l'empêchent point. On répond aux gens du métier, qu'un poëme ou un tableau peuvent avec de mauvaises parties, être un excellent ouvrage. Il feroit inutile d'expliquer au lecteur, qu'ici, comme dans toute cette differtation, le mot de mauvais s'entend rélativement. On fçait bien, par exemple, que fi l'on dit que le coloris -d'un tableau de l'Ecole Romaine ne vaut rien, cette expreffion fignifie feulement que ce coloris eft très-inférieur à celui de plufieurs autres tableaux, foit Flamands, foit Lombards, dont la réputation eft cependant médiocre. On ne pourroit pas fentir la force des expreffions d'un tableau, fi le coloris en étoit abfolument faux & mauvais. Quand on dit que la verfification de Corneille eft mauvaise par endroits, on veut dire feulement qu'elle eft moins foutenue & plus négligée que celle de plufieurs Poëtes réputés des Artifans médiocres. Un poëme dont la verfification feroit abfolument mauvaife, dont chaque vers nous choqueroit, ne

parviendroit jamais à nous toucher. Car, comme le dit Quintilien (a), des phrases qui débutent par bleffer l'oreille en la heurtant trop rudement, des phrases qui, pour ainfi dire, fe préfentent de mauvaise grace, trouvent la porte du coeur fermée. Nihil intrare poteft in affectum, quod in aure velut quodam veftibulo ftatim offendit.

Les décifions des gens du métier, bien que fujettes à toutes les illufions dont nous venons de parler, ne laiffent point d'avoir beaucoup de part à la premiere réputation d'un ouvrage nouveau. En premier lieu, s'ils ne peuvent pas faire blâmer un ouvrage par ceux qui le connoiffent, ils peuvent empêcher beaucoup de gens de le connoître, en les détournant de l'aller voir, ou de le lire. Ces préventions qu'ils répandent dans le monde, ont leur effet durant un tems. En second lieu, le public prévenu en faveur du difcernement des gens du métier, penfe durant un tems qu'ils ont meilleure vue que lui. Ainfi comme l'ouvrage auquel ils veulent bien rendre juftice, parvient bientôt à la réputation bonne ou mauvaife qui lui est due, le contraire arrive, lorfqu'ils ne la lui rendent pas, foit qu'ils prévariquent, foit qu'ils (a) Quint. Inft. lib. 9, cap. 4.

fe

trompent de bonne foi. Quand ils se partagent, ils détruifent leur crédit, & le public juge fans eux. C'est à l'aide de ce partage qu'on a vu Moliere & Racine parvenir fi promptement à une grande réputation.

Quoique les gens du métier n'en puiffent pas impofer aux autres hommes affez pour leur faire trouver mauvaises les chofes excellentes, ils peuvent leur faire croire que ces chofes excellentes ne font que médiocres par rapport à d'autres. L'erreur dans laquelle ils jettent ainfi le public fur un nouvel ouvrage, eft longtems à fe diffiper. Jufqu'à ce que cet ouvrage vienne à être connu généralement, le préjugé que la décifion des gens du métier a jetté dans le monde, balance le sentiment des perfonnes de goût & défintéreffées, principalement fi l'ouvrage eft d'un Auteur dont la réputation n'eft pas encore bien établie. Si l'Auteur eft déja connu pour un excellent Artisan, fon ouvrage eft tiré d'oppreffion beaucoup plutôt. Tandis qu'un préjugé combat un autre préjugé, la vérité s'échappe, pour ainfi dire, de leurs mains: elle fe montre.

Le plus grand effet des préjugés que les Peintres & les Poëtes fement dans le monde contre un nouvel ouvrage, vient de ce que les per

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fonnes qui parlent d'un poëme ou d'un tableau
fur la foi d'autrui, aiment mieux en paffer par
l'avis des gens du métier, elles aiment mieux le
répéter,
, que de redire le sentiment de gens qui
n'ont pas mis l'enseigne de la profession à la-
quelle l'ouvrage reffortit. En ces fortes de chofes
où les hommes ne croyent point avoir un inté-
rêt effentiel à choifir le bon parti, il se laissent
éblouir par une raison qui peut beaucoup fur
eux. C'est que les gens du métier doivent
avoir plus d'expérience que les autres. Je dis
éblouir: car, comme je l'ai exposé, la plupart
des Peintres & des Poëtes ne jugent point par
voie de fentiment, ni en déférant au goût na-
turel perfectionné par les comparaisons & par
l'expérience, mais par voie d'analyse. Ils ne
jugent pas en hommes doués de ce fixième fens
dont nous avons parlé, mais en Philofophes fpé-
culatifs. La vanité contribue encore à nous faire
époufer l'avis des gens du métier, préférable-
ment à l'avis des hommes de goût & de fenti-
ment. Suivre l'avis d'un homme qui n'a pas
d'autre expérience que nous, & qui n'a rien ap-
pris que nous ne fçachions nous-mêmes, c'est
reconnoître en quelque façon qu'il a plus d'ef-
prit que nous. C'eft rendre une espece d'hom-

mage

mage à fon difcernement naturel. Mais croire l'Artifan, déférer à l'avis d'un homme qui a fait une profeffion que nous n'avons pas exercée, c'eft feulement déférer à l'art, c'est rendre hommage à l'expérience. La profeffion de l'art en impose même tellement à bien des personnes, qu'elles étouffent du moins durant un tems leur propre fentiment, pour adopter l'avis des gens du métier. Elles rougiroient d'ofer être d'un avis différent du leur. Pudet enim diffentire, & quafi tacita verecundia inhibemur plus nobis credere (a). C'est donc avec bienveillance qu'on écouté des perfonnes de la profeffion qui font méthodiquement le procès à une Tragédie, ou bien à un tableau, & l'on retient même ce qu'on peut des termes de l'art. C'eft de quoi fe faire admirer, ou du moins écouter par d'autres. (a) Quint. lib. x. cap. prim.

SECTION XX VI I.

Qu'on doit plus d'égard aux jugemens des Peintres qu'à ceux des Poëtes, De l'art de reconnoître la main des Peintres.

LE public écoute avec plus de prévention les Peintres qui font le procès à un tableau, que

Tome II.

Aaa

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