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Par une heureuse et habile combinaison, il mène de front une double intrigue politique et amoureuse, qui se trouve mêlée à des aventures de chasse et à des scènes de vie rustique. Il s'agit à la fois de renverser un grand ministre, dont on convoite la place, et d'enlever à un brave garçon, le fils du meunier Michau, sa fiancée, dont un grand seigneur a envie de faire sa maîtresse. Le conducteur de ces deux complots est ce Concini dont le peuple de Paris traînera un jour le cadavre à travers les rues. Le roi finit par embrasser son ministre avec lequel on a voulu le brouiller; Agathe épouse Richard, au lieu d'aller remplir le sérail de Concini. Tout est moral, honnête et patriotique, malgré quelques pointes de gaillardise et quelques maximes risquées, familières aux gentilshommes d'alors, qui ne croient guère à la vertu des femmes.

Le premier acte, qui se passe au château de Fontainebleau, nous offre une sorte de lanterne magique, où défilent les personnages transportés de l'histoire sur le théâtre. Ce sont, si l'on veut, des silhouettes plutôt encore que des caractères. Cependant Collé a bien saisi et marqué les traits généraux. Henri IV a le mérite d'être exempt de la boursouflure et de la majesté solennelle qu'on prête si volontiers aux rois. Il apparaît dans son naturel et sa simplicité, boudant un peu Sully, comme cela lui arrivait quelquefois, mais bon et affectueux. L'auteur se rappelle peut-être cette anecdote popularisée par la gravure, le jeu du cheval en famille interrompu par l'ambassadeur d'Espagne, lorsqu'il peint le Roi avant de partir pour la chasse, s'écriant, comme un bon bourgeois : « Il faut que j'aille voir la reine,

que j'aille embrasser mes enfants je m'en meurs d'envie1».

Bellegarde a toute la hauteur, la raillerie et l'impertinence dédaigneuse du grand seigneur à l'égard de Concini, de ce parvenu italien qui s'avise de l'appeler « mon cher duc », comme s'il était son égal. Favori du roi, confident et compagnon de ses aventures galantes, il est jaloux de Sully, l'ami solide et sérieux, le Mentor que Henri consulte dans les cas graves, ne laissant à Bellegarde que le partage des plaisirs. Il y a là une nuance très finement comprise et bien marquée.

Concini a le rôle odieux du traître, de l'intrigant, du suborneur en politique comme en amour. Il personnifie la tortuosité italienne, la politique pleine d'embûches, de réticences, de sous-entendus et de mensonges ce qu'il y a de plus opposé à la vraie politique française, telle que l'entend Sully. Collé a gardé pour Concini toute la haine d'un vrai Parisien : on voit qu'il est de la famille de Henri Estienne, d'Étienne Pasquier, des auteurs de la Ménippée, un Français de la vieille roche, ennemi des influences étrangères et ultramontaines.

A ce caractère du caméléon politique il oppose la franchise, la droiture et la brusquerie de l'honnête et loyal Sully. Le patelinage insidieux de Concini, rappelant au ministre les services qu'il a rendus au dedans et au dehors, finit par l'agacer. L'Italien espère lui arracher quelque explosion de mauvaise humeur qu'il ira reporter au roi; mais Sully, plus fin et plus habile que lui, ne laisse échapper que des paroles de

1. Acte I, scène IV.

dévouement et de confiance dans l'affection de son maître. La scène d'explication entre le roi et son ministre est une page d'histoire mise en action. Elle se termine par le triomphe de Sully, que Henri IV embrasse en lui disant: « Appelle-moi ton ami, mon cher Rosny, ton ami! >>

Après ce premier acte préliminaire, tout rempli d'allusions et de conversations politiques, nous arrivons à la partie de chasse, en pleine forêt de Sénart. Ici l'unité de lieu est rompue. Tout a changé de face. Ce ne sont plus des seigneurs élégants et spirituels, mais des paysans qui causent entre eux c'est Lucas et Catau. Le patois rustique des environs de Paris, déjà mis en usage par Molière dans le Festin de Pierre, et plus tard par Dancourt et Dufresny, est repris avec beaucoup de naturel par Collé, quoi qu'en pense Grimm, qui l'accuse d'employer le style grivois. Le pittoresque de la mise en scène s'ajoute à l'intérêt dramatique. On entend le bruit du cor dans le lointain. La nuit arrive. Le roi, perdu dans la forêt, se rencontre d'abord avec des braconniers qui viennent de tuer une biche, puis avec le meunier Michau, qui l'arrête en lui demandant son nom.

Tacite, dans une belle page de ses Annales, nous montre Germanicus déguisé, le soir, sous le manteau d'un simple milicien, se promenant autour du bivouac, écoutant les propos des soldats sur leur général, et jouissant ainsi de sa propre renommée : Fruiturque fama sui. Cette douce joie des belles âmes, Henri l'éprouve lorsqu'il entend Michau rappeler l'amour avec lequel ils défendent et gardent

1. Annales, liv. II.

tous la chasse de leur bon roi. Depuis Molière et La Bruyère, le paysan a fait de singuliers progrès. Le travail et l'économie l'ont conduit à l'aisance et à la liberté. Quand Henri, qui se donne pour simple gentilhomme, promet à Michau de lui payer son hospitalité, et lui offre en acompte une pièce d'or, le vilain lui répond fièrement : « Appernais que je n'sis pas courtisan, moi; que je m'appelle Michel Richard, ou plutôt qu'on me nomme Michau; que je sis meunier de ma profession; que je n'ons que faire de vot' argent; que je sons riche ». Il a le sentiment de sa dignité: chose nouvelle chez le paysan. Quand Henri lui dit : « Tu me parais un bon compagnon; et je serai charmé de lier connaissance avec toi, » le meunier se rebiffe et se redresse: « Morgué! ne m' tutoyais pas, j'n'aimons pas ça1», ce dont ne se fût jamais avisé le Pierrot de Molière".

...

Agathe, la fiancée de Richard, une simple paysanne élevée dans la maison de Leonora Galigaï, une femme de chambre dont Concini veut faire l'instrument de ses plaisirs, menaçant de se percer d'un poignard plutôt que de se rendre aux désirs impurs de son maitre, défendant son honneur avec toute la fierté d'un gentilhomme, et venant demander justice au roi, est un type qui nous transporte bien au delà des Charlotte et des Mathurine, dans l'ordre moral et social.

Richard, le fils du meunier, est déjà un villageois dégrossi et cultivé, qui a fait ses études à Melun, et qui songe à devenir curé, s'il lui faut perdre l'amour

1. Acte II, scène xi.

2. Molière lui-même trouvait tout simple d'ètre tutoyé par Louis XIV comme serviteur de sa maison.

d'Agathe brave et honnête garçon, plein de confiance dans la parole de sa promise.

Lucas, le paysan défiant, qui met en doute la vertu des filles trop bien vêtues, et qui soupçonne fort Agathe de n'être pas restée si longtemps pour rien chez le seigneur Concini, n'est pas méchant, mais il est bête, et admet plus volontiers le mal que le bien : trait commun à beaucoup de campagnards, et que M. Sardou a retracé dans Nos bons villageois, accueillant tous les mauvais bruits qui courent sur les gens de Paris. Il y a là nombre d'épisodes plaisants et atten- · drissants à la fois : celui du manant, qui rencontre pendant la nuit les courtisans à la recherche du roi, les prend pour une troupe de voleurs, et offre à Sully de lui laisser sa bourse, pour avoir la vie sauve. La scène du repas, qu'on reprochait à Sedaine d'avoir supprimée dans son imitation de la comédie anglaise, occupe une large place et remplit presque tout le troisième acte. Il est vrai qu'elle est pleine d'incidents, d'allusions et de souvenirs historiques intéressants.

Henri IV, toujours inconnu, rentre avec Michau pour aider la belle Catau, la fille de la maison, la fiancée de Lucas, à mettre le couvert. Le Vert-Galant ne peut se défendre d'une petite pointe de tentation; mais il respecte le toit de son hôte, et ne songe qu'à se faire l'avocat des deux amants auprès du bonhomme Michau. On se met à table, on boit, on rit, on trinque à la santé du roi, dont le nom est dans toutes les bouches et dans tous les cœurs. Le repas se termine par des couplets gaillards, que chantent Richard, Margot et Catau, sur la Belle Jardinière, la Belle Gabrielle, etc. Tout cela n'est pas très édifiant, si l'on veut, ni d'une morale très sévère pour de futurs époux, mais se

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