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motif « Je n'ai fait mention d'un si mauvais ouvrage que parce que son succès est un des scandales de nos jours ». La Harpe a-t-il complètement raison? Le public s'est-il tout à fait trompé?

La Noue est un acteur intelligent, qui a la prétention d'être un écrivain il vise à la finesse et à l'esprit dans son style comme dans son jeu. Mais le naturel manque autant que l'expérience littéraire. Il n'est malheureusement ni un lettré comme Gresset, ni un écrivain d'instinct et de haut vol comme Regnard, ni un dramaturge habile ou un comique de race comme Dancourt. Enfin, chose grave, il ignore le monde, comme beaucoup d'acteurs et même comme certains auteurs de nos jours; il ne l'a guère connu que de loin ou dans la société interlope à laquelle il s'est trouvé mêlé. De là, les mœurs singulières prêtées aux femmes: la modestie et la pudeur semblen être devenues pour elles les qualités les plus rares. Nous avons remarqué déjà dans Marivaux que les femmes y sont plus hardies que les hommes: c'est bien autre chose dans La Noue. La tante offre sa nièce à Clitandre; la nièce s'offre elle-même; la Présidente fait mieux, elle s'impose et réclame son amant, qu'elle prétend enlever de force. On croirait que l'auteur a pris ses modèles dans les coulisses du théâtre, parmi ces dames qui se disputent parfois la conquête d'une bourse plus encore que celle d'un cœur.

Orphise est une bonne tante, animée des meilleures intentions, qui, sous prétexte de corriger sa nièce, jeune veuve coquette et vaniteuse, voudrait la jeter dans les bras de Clitandre.

Entraîncz, séduisez, humiliez son cœur,

Et forcez son orgueil à connaître un vainqueur.

Vous le savez, Julie étincelle de charmes.

L'abus de tant d'appas tous deux nous inquiète ;
Mais qu'elle aime une fois, et la voilà parfaite.

C'est pour ce motif qu'elle s'est mis en tête de la marier, et dit à Clitandre en le quittant:

Adieu, mon cher neveu.

A quoi celui-ci, peu rassuré, répond avec assez de raison :

C'est aller un peu vite 1.

Si les femmes ne brillent ni par les mœurs, ni par la délicatesse du langage, il faut avouer que les hommes ne valent guère mieux. Le Marquis, petit fanfaron de vices, qui prétend former son oncle et consoler Éraste de l'abandon de Julie, est un partisan déclaré de l'amour volage et inconstant.

Une vous quitte? eh bien! une autre vous console.
On se convient? tant mieux ! entière liberté.

On se déplaît ? bonsoir; chacun de son côté 2.

Le Comte, vieux guerrier qui se flatte d'associer Mars à Vénus, en se faisant l'adorateur de Julie, n'est qu'un ingénu assez novice, malgré son âge, pour se croire aimé d'elle, parce qu'elle le lui a dit. Éraste, l'amant trahi, menaçant de faire imprimer les lettres anonymes et médisantes qu'il tient de Julie, est encore un assez pauvre personnage.

Il y a pourtant un honnête et galant homme dans

1. Acte I, scène I. 2. Acte I, scène v.

la pièce, c'est Clitandre, dont les principes contrastent avec ceux du Marquis et de la coquette :

En donnant tout mon cœur, j'en veux un tout entier,
Je hais autant que vous la fadeur pastorale;
Mais je hais encor plus le bruit et le scandale.
L'honnête me suffit; et, dût-on me blâmer,
J'estime ce que j'aime ou je cesse d'aimer 1.

Malgré les encouragements et les garanties que lui offre la confiante Orphise, Clitandre a des hésitations et des inquiétudes très légitimes à l'égard de Julie. Pourtant, vaincu à la fin par le repentir et la conversion de la coquette, il tombe à ses genoux.

De cette pièce assez médiocre que reste-t-il à citer? Deux vers, devenus proverbes, sur les infidélités des belles et le parti qu'on en doit prendre :

Le bruit est pour le fat, la plainte pour le sot,
L'honnête homme trompé s'éloigne, et ne dit mot 2.

Deux vers dans une comédie en cinq actes, c'est bien peu de chose. Aussi le double jugement de Grimm et de La Harpe a-t-il prévalu sur le succès de Mlle Gaussin, et confirmé une fois de plus cet arrêt de Buffon, que les ouvrages bien écrits passeront seuls à la postérité.

IV

Jusqu'ici les pièces que nous venons de voir, bâties. sur le fond mouvant de la société contemporaine, ap-partiennent, sinon par la valeur et la portée, au moins: par les proportions, au genre de la grande comédie. en trois ou cinq actes. Elles en ont l'apparence plus.

1. Acte II, scène IX. 2. Acte I, scène III.

que la réalité. Il est d'autres productions plus sobres qui, par leur exiguïté même, par leur trame légère et délicate, se rapprochent davantage du genre de Marivaux. Les Mœurs du temps de Saurin, l'Impertinent de Desmahis, les Fausses Infidélités de Barthe, le Cercle de Poinsinet, sont de simples levers de rideau, en même temps que des croquis de l'époque pris au passage.

Saurin, l'auteur de Spartacus et de Beverley (deux œuvres qui firent grand bruit un moment), après s'être exercé dans la tragédie romaine et le mélodrame anglais, laissant la pompe et le vacarme, s'essaye dans la peinture légère à l'estompe et au pastel, en écrivant les Mœurs du temps (1760). La main de Saurin, un homme de sapin, comme l'appelle Grimm, droit et raide, pouvait sembler un peu lourde pour saisir le fin crayon de Marivaux. Mais avec de l'étude, de la réflexion, de bons conseils, des touches patientes, il arrive à faire ce que Collé appelle une véritable comédie. Lui Collé, qui avait tant sué à Beverley, qui en était revenu avec une courbature, est bien autrement satisfait de cette œuvre courte et légère, une des plus jolies, dit-il, que le théâtre français ait données depuis longtemps'. Il est vrai qu'il a sa part d'amour-propre dans ce succès, ayant fourni à l'auteur l'idée du personnage de Cidalise.

La pièce, composée d'abord en deux actes et refusée par les comédiens, avait été réduite à un acte et reçue enfin grâce au marquis d'Argental, la Providence des gens de lettres : elle obtint un très grand succès. Cependant les Mœurs du temps n'offrent rien de bien

1. Journal historique, t. II.

neuf ni de bien original pour la fable, les situations et les personnages. Nous retrouvons là un marquis assez semblable au Moncade de d'Allainval, s'apprêtant à épouser la fille du riche financier Géronte, pour payer ses dettes, et s'en faisant un titre auprès de ses créanciers :

Ils ne savent donc pas que je me sacrifie pour eux, que je me marie.... Il me semble que c'est assez bien s'exécuter 1.

Pour contracter ce mariage, il lui faut trahir sa maîtresse Cidalise et son ami Dorante, un cousin de province ingénu, qui lui demande d'intervenir en sa faveur auprès de Julie. Mais qu'importe ! Fidèle à son rôle de petit-maître, et à l'exemple de ses devanciers, le Marquis affecte le mépris des principes inventés par les sots, et fait étalage d'immoralité. Il ne croit pas plus à l'amour qu'à tout le reste, et se moque du langage naïf de Dorante et de ses sentiments aussi gothiques au moins que son château.

L'amour,... l'amour.... Ce mot ne signifie plus rien.... Apprends donc les usages de ce pays-ci: on épouse une femme, on vit avec une autre, et l'on n'aime que soi 2.

Ce marquis est un représentant des mœurs nouvelles, un ennemi des vieilleries, au nombre desquelles il place la comédie de Molière, par exemple.

Eh mais! ton vieux Molière, si, comme tu dis, il revenait au monde, crois-tu que les gens comme il faut iraient à ses pièces 3?

Collé nous dit que le rôle du Marquis, le meilleur

1. Scène VIII.

2. Scène VI. 3. Ibid.

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