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elle oppose la ruse, la seule arme dont elle puisse user. Comme elle le dit en s'excusant : « Un homme injuste parviendrait à faire une rusée de l'innocence même ». La scène de désespoir et de passion indignée à laquelle elle s'abandonne en se croyant trahie par Lindor mêle un moment le pathétique à la gaité. Mais tout s'éclaircit bientôt, et Rosine, généreuse dans le bonheur, implore d'Almaviva la grâce de cet odieux Bartholo, qui l'a si longtemps tyrannisée :

Non, non, grâce pour lui, cher Lindor. Mon cœur est si plein que la vengeance ne peut y trouver place 2.

Bartholo n'est point un de ces tuteurs imbéciles et crédules comme ceux de la farce italienne : les Cassandre, les Pandolfe ou le vieil Albert des Folies amoureuses, pauvres dupes qui se jettent dans le panneau. Maître Bartholo est un docteur en ruse comme en médecine, prenant ses précautions, et avec qui l'on doit lutter de finesse. Ce n'est pas trop contre lui de toute la diplomatie de Figaro. Quand Rosine, à propos de ce papier tombé de sa fenêtre et qui a disparu, lui répond :

Le vent peut bien avoir éloigné ce papier, le premier venu, que sais-je ?

Bartholo n'en croit pas un mot.

:

Le vent, le premier venu!... Il n'y a point de vent, Madame,... point de premier venu dans le monde et c'est toujours quelqu'un, posté là exprès, qui ramasse les papiers qu'une femme a l'air de laisser tomber par mégarde 3.

1. Acte II, scène XVI. 2. Acte IV, scène vi. 3. Acte II, scène Iv.

La tache d'encre au doigt, la feuille de papier trouvée en moins, vont devenir autant de pièces de conviction pour ce terrible inquisiteur auquel rien n'échappe. Cependant, avec son habileté, il se laisse prendre comme un niais aux larmes et aux évanouissements simulés de Rosine. Il redevient plus ridicule que jamais en s'avisant d'être amoureux :

Si tu pouvais m'aimer, comme tu serais heureuse !

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Si vous pouviez me plaire, comme je vous aimerais!
Je te plairai, je te plairai; quand je te dis que je

Nous n'y comptons guère, ni Rosine non plus. Pour compléter le portrait de Bartholo, le peintre en fait un conservateur rétrograde, un ennemi des idées nouvelles, n'ayant point assez de malédictions contre. toutes les sottises du siècle : la liberté de penser, l'attraction, l'électricité, le tolérantisme, l'inoculation, le quinquina et les drames, autre fléau du temps pour lequel Beaumarchais a toujours un faible, en mémoire d'Eugénie.

Après Figaro, le personnage le plus nouveau, le plus original de la pièce est sans contredit Bazile. Si mince qu'il soit, ce friponneau besogneux, prêt à tomber à genoux devant un écu, ce maître à chanter qui court le cachet, n'en est pas moins à craindre comme un reptile venimeux : c'est qu'il n'est pas seul, c'est qu'il est en même temps légion. Il représente cette puissance occulte, mystérieuse, invisible, qui frappe ses adversaires dans l'ombre et qui s'appelle la calomnie. Pour Figaro comme pour Beaumarchais, c'est là l'ennemi : c'est lui qui chuchote à l'oreille les mauvais bruits; lui qui a répandu contre l'auteur toutes ces infamies sur l'origine véreuse de

sa fortune, sur l'empoisonnement de ses ses deux femmes, etc. Aussi Beaumarchais a-t-il plaisir à le flageller le morceau fameux sur la calomnie semble une page détachée des Mémoires. Il se venge ici comme se vengeait Molière, par la bouche d'Alceste. dans le Misanthrope.

Bazile est un proche parent de Macette et de Tartufe. Comme l'entremetteuse de Régnier, il a le costume ambigu, tenant à la fois de l'Église et du monde ; être hybride et amphibie qui glisse sur les limites des deux sociétés, les exploitant l'une et l'autre; type le plus antipathique qui soit au génie et au caractère français, amis du grand jour et de la clarté avant tout. Policier, espion, délateur, Bazile, quoiqu'étant l'agent de Bartholo,,n'en signera pas moins le contrat de mariage du comte Almaviva avec Rosine. Et quand Bartholo lui en fait reproche : « Que voulez-vous? ce diable d'homme a toujours ses poches pleines d'arguments invincibles 1». Une bourse lui produit l'effet d'un gâteau de miel sur Cerbère. Figaro a donc eu raison de dire au début : « De l'or, mon Dieu, de l'or; c'est le nerf de l'intrigue 2 ». C'est peut-être aussi le côté peu moral de la comédie mais Beaumarchais exprime franchement et crûment ce qu'il pense et ce qu'il voit.

Parmi tant de points curieux à noter, il nous reste encore à signaler ce style bigarré, bariolé, pittoresque, mêlé d'archaïsmes et de néologismes, où la correction et le bon goût laisseraient parfois à désirer, si la gaieté n'emportait tout avec elle ces dialogues, véritables jeux de raquettes où le mot lancé et renvoyé semble

1. Acte IV, scène VIII.

2. Acte I, scène vi.

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une balle qui rebondit; où la réponse, comme dit Grimm, est souvent le seul motif de la question. Joignez-y cet esprit qui s'impose à tous les rôles avec ses pointes acérées et ses bons mots; si bien que Bartholo devient parfois aussi mordant que Figaro; enfin, ces imbroglios si vivement noués et dénoués, et cette amusante scène où Bazile est tout étonné d'apprendre qu'il a la fièvre, une des situations les plus comiques qui soient au théâtre.

Aux yeux de La Harpe le Barbier de Séville est la meilleure pièce de Beaumarchais. M. Nisard la regarde comme la plus spirituelle et la plus gaie. Pourtant ce n'est pas celle qui a fait le plus de bruit, qui a soulevé le plus de tempêtes. Elle n'est, pour ainsi dire, que le prélude du grand combat qui va s'engager avec le Mariage de Figaro.

CHAPITRE XXV

BEAUMARCHAIS (suite).

Le Mariage de Figaro.

Histoire de la représentation.

position de la pièce. Les personnages.

rales.

Conséquences.

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Impressions géné

Le Mariage de Figaro ou la Folle Journée : tel est le titre donné à la seconde partie de cette trilogie, et jamais titre ne fut plus justifié. Folle journée en effet, de toute façon : l'auteur, le public, la Cour, tout le monde, dans ce quart d'heure d'ivresse, a sa part de délire et de responsabilité.

La représentation seule de cette pièce est déjà un tour de force, une surprise et une date historique importante, par le bruit qu'elle fait dans le monde et par les conséquences qu'elle entraîne à sa suite, par les idées et le mouvement qu'elle communique aux esprits. Depuis le Tartufe de Molière, aucune œuvre de théâtre n'avait causé pareille émotion, excité plus de craintes et d'espérances contraires. Elle devient un moment la grande affaire du jour pour la France et même pour l'Europe entière. Partout, dans les salons, les cercles, les cafés, à la Cour même, on se pose cette question: sera-t-elle ou ne sera-t-elle pas représentée? Tandis que le pauvre Louis XVI, comme s'il avait eu le pres

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